L’autre Collaboration. Les origines françaises de l’islamo-gauchisme par Michel Onfray aux éditions Plon.
Recension de Jean-Gérard Lapacherie

Michel Onfray est un philosophe qui examine tout librement, aussi bien les penseurs matérialistes de l’Antiquité que les errements de Sartre sous l’Occupation, aussi bien la psychanalyse et Freud que Proudhon, aussi bien l’oeuvre de Camus que le Coran, aussi bien Nietzsche que Démocrite. Souvent l’examen auquel il se livre produit des feux d’artifice d’insolence, en particulier quand il déboulonne les statues que des admirateurs aveugles ont érigées à Sade, Platon, Freud, Mitterrand et à tous ces soi-disant penseurs de gauche, Alain, Sartre, Beauvoir, Genet, Ricoeur, Garaudy, Badiou, Lacoue-Labarthe, Nancy, qui fricotent dans leur oeuvre avec l’antisémitisme et sont engagés aux côtés de l’islam dans la lutte que cette idéologie religieuse mène contre l’Occident. Dans la conclusion de ce livre, Michel Onfray écrit page 407 cet aveu : « [E]n commençant ce livre, je n’imaginais pas que je découvrirais autant d’ordures… ». Il explique de quoi sont formées ces ordures : haine de l’Occident, du judéo-christianisme, de la technique, de la raison et, réciproquement, fascination pour l’islam et pour l’impérialisme de cette « idéologie ». Ainsi, le marxisme-léninisme à bout de souffle retrouve de la vigueur dans l’islamisme ; les prolétaires de jadis, ouvriers et paysans, sont remplacés comme classe élue par les mahométans partis à la conquête du monde, financés par les milliardaires arabes ; la charia d’Allah se substitue peu à peu en Europe aux règles de vie librement choisies par les hommes. « Je comprends mieux aujourd’hui pourquoi l’antisémitisme revient porté par la gauche ». Comme l’indique cette dernière citation, le livre oscille entre deux môles : celui de l’antisémitisme en partie masqué derrière l’antisionisme et celui de l’islamophilie militante qui nourrit la haine de l’Occident, de la démocratie et des libertés.
Une cléricature
Onfray a compris que les « intellectuels » (de gauche, évidemment), qu’ils soient professeurs, écrivains ou journalistes, se sont constitués depuis plus de deux siècles en une cléricature avide qui a remplacé l’ancien clergé catholique et qui perdure grâce aux mythes qu’elle a elle-même créés. Ce sont ces mythes qu’Onfray tourne en dérision, souvent dans des termes féroces, comme dans le chapitre consacré à Sartre, intitulé ironiquement « Sartre résiste dès 1946 ». À la différence de ce clergé, Onfray ne se meut pas dans l’abstraction des concepts : c’est un philosophe réaliste, au sens où il pense que les idées ne descendent pas du ciel, mais viennent d’hommes réels, vivant dans leur siècle, connaissant des échecs et dont la célébrité peut avoir des origines douteuses. Dès son deuxième ouvrage paru en 1989, Le Ventre des philosophes : Critique de la raison diététique, il a exposé les règles de sa méthode : réalisme, retour aux textes, défiance vis-à-vis de la légende et de l’hagiographie, lecture attentive de ce qui est écrit, références indiquées, sources citées, attachement aux faits, dont la biographie des penseurs étudiés.
L’ironie tourne parfois au jeu de massacre. Ainsi, les deux heideggériens forcenés que sont Nancy et Lacoue-Labarthe ont publié « Du ressentiment à l’effondrement de la pensée : le symptôme Onfray » (Libération, 3 août 2012). Onfray leur répond en lisant scrupuleusement ce qu’ils ont écrit : admiration fanatique pour Heidegger, occultation de son antisémitisme, atténuation de son engagement en faveur d’Hitler. Il est vrai que ces heideggériens « de gauche », comme la gauche culturelle des médias, de la pub et des divertissements, comme tous les déconstructeurs disciples de Derrida, sont, après Alain, Sartre et Beauvoir, les piliers de la nouvelle collaboration. Un peu à la manière de l’essayiste Etiemble (cf. ses volumes intitulés Hygiène des lettres : littérature dégagée), Onfray a entrepris une « hygiène de la philosophie » et qui consiste à mettre en lumière les engagements inattendus des penseurs qui se disent ou que l’on croit progressistes. Pages 193-194, à propos de Foucault, qui est tombé en pâmoison amoureuse devant l’islam, Khomeiny, les tchadors, les gardiens de la Révolution, il joue à Candide : « Il est toujours étonnant de voir combien les intellectuels qui refusent la tradition en France, sous prétexte qu’elle serait conservatrice, réactionnaire, vichyste, contre-révolutionnaire, lui trouvent les plus grandes vertus quand il s’agit d’autres peuples ! Sorti de Saint-Germain-des-Prés, le philosophe devient bigot, cagot, dévot – pourvu qu’il s’agisse d’islam, donc de haine de l’Occident ». De même, il développe une critique acerbe des « universitaires », bardés d’un savoir supposé objectif ou prétendument « scientifique », mais qui dissimulent les textes ou les pensées qui feraient tache dans l’oeuvre qu’ils étudient. La « gauche » universitaire ne se contente pas de censurer ; elle tripatouille, elle cache, elle déforme. Rien de nouveau sous le soleil. Il en allait ainsi en URSS ; il en va ainsi en Chine, au Vietnam, à Cuba, en Algérie. Pour Onfray, ce savoir, quand il émane de Normaliens, est tout en rhétorique et en enflure : (p. 388) « À Normale Sup, on sait comment régler son compte à un livre de mille pages avec un sophisme troussé à l’aide de quelques paralogismes parfumés de
quelques formules ».
Les faiblesses d’Onfray
Toute nécessaire qu’elle soit, cette hygiène de la philosophie n’est pas sans quelques faiblesses : par exemple les points d’exclamation sans cesse répétés. On comprend qu’Onfray, qui se dit « de gauche », soit indigné par les vilenies qu’il lit dans les écrits d’intellectuels « de gauche » et qu’il met en parallèle avec les vilenies des années noires où communisme et nazisme structuraient la vie des idées. Pourtant, l’indignation répétée ne fait pas toujours pensée et une ironie mordante aurait pu avantageusement suppléer ces bouffées d’indignation mal contrôlée. Rien ne justifie le chapitre consacré à Jean Guitton, qui est sourd à l’islamo- gauchisme et est étranger à l’intelligentsia de gauche ou germanopratine. Certes, Jean Guitton a admiré Pétain et il est resté pétainiste sans se renier ni le regretter jusqu’à sa mort. Mais, de 1940 à 1945, il était prisonnier dans un oflag en Saxe et n’a pas été à proprement parler un collabo. Certes, il a accordé un soutien verbal au Maréchal en dépit de l’antisémitisme de son régime. Mais cela n’en fait pas une bête immonde, comme Badiou ou Garaudy, d’autant plus que sa conception de la communauté pourrait être revendiquée aujourd’hui par les Français qui observent consternés la déliquescence de leur pays. Voici cette conception : « [Guitton] oppose l’individu égoïste à la personne généreuse : le premier ne se reconnaît que des droits et manifeste un esprit victimaire, la seconde donne, partage et se reconnaît des devoirs ; le premier incarne l’esprit de jouissance, la deuxième l’esprit de sacrifice ; l’un ne connaît que son intérêt particulier, l’autre aspire au Bien commun, la notion essentielle de ce projet de société ; ici le nihilisme ferment de décomposition de la société qui aliène, là le sens du service qui libère ; d’une part, l’égocentrisme narcissique, le repli sur soi, l’égotisme immoral, d’autre part, le sens du travail, de la famille et de la patrie ». Les Français désireux de sauver leur pays et qui prendraient connaissance de cette opposition opteraient tous pour le second terme de l’alternative : la générosité, les devoirs, le sacrifice, le Bien commun, le sens du service, qui, contrairement à ce que croit Guitton et à ce que laisse entendre Onfray, sont à l’origine entre 1940 et 1945 des engagements de De Gaulle, des gaullistes, des résistants.
Achetez L’autre Collaboration. Les origines françaises de l’islamo-gauchisme par Michel Onfray aux éditions Plon.