Qui sommes-nous ?

Voici plus de trois siècles, les fondements classiques de la civilisation et de la politique françaises, qui avaient été admirablement constants au cours des siècles précédents, se voyaient remis en cause par une cosmogonie nouvelle, substituant peu à peu, aux anciennes guides de la tradition, la promesse d’un progrès indéfini, et d’une modernité qui, en quelques générations, disqualifia l’un après l’autre les fondements de ce qui dès lors passa pour « l’ancien monde ». 

​Paul Hazard a décrit ce bouleversement, qu’il situe dans les années 1680-1720, dans un livre fameux : La Crise de Conscience européenne. : « La majorité des Français pensait comme Bossuet ; tout à coup, ils pensent comme Voltaire »

Le phénomène fut brutal : l’ «ancien monde » qu’avaient forgé les cultures antiques puis chrétiennes, ainsi que les efforts de la monarchie française pour établir un Bien Commun capable de garantir, aussi imparfait fût-il, un ordre juste, n’eut dès lors pour seuls défenseurs que ces « Classiques » que les Modernes, conquérant l’un après l’autre les domaines de la pensée, puis les instruments de l’action, se mirent à nommer « Anciens », puis « Réactionnaires ». Il y en eut certes de brillants : sous la Restauration –quand fut créée, en 1818, la revue « Le Conservateur » autour de Libéraux comme René de Chateaubriand ou Benjamin Constant et d’ultra-royalistes comme Louis de Bonald, Joseph de Villèle ou du père de Lamennais que l’on peut tenir pour l’un des  fondateurs de la démocratie chrétienne. Il y en eut aussi dans la suite des grandes guerres : après Sedan, quand monarchistes et catholiques refleurirent en pensées fécondes ; après la Grande Guerre de 14-18, notamment autour de la puissante Ecole d’Action Française ; après le désastre de 1940, notamment dans le foisonnement intellectuel de la Résistance qui ouvrit la magnifique restauration gaulliste. Réactions chaque fois salvatrices mais chaque fois éphémères, la fantasmagorie du Progrès (paradigme commun à toute la gauche, comme il l’est aux fausses droites que son hégémonie intellectuelle a colonisées) reprenant toujours le dessus -avec sa petite soeurModernité, aux  séductions toujours trompeuses mais sans cesse renouvelées. 

​Or, après trois siècles de domination sur les esprits, renforcée par celle des puissances anglo-saxonnes, ce progressisme qui se donnait pour éternel, magique et quasi-divin, dissipe sous nos yeux ses sortilèges : peu à peu, depuis le tournant du troisième millénaire, la Modernité s’assimile de moins en moins aux éternelles promesses de l’ «avenir » et de plus en plus à une succession de menaces de tous ordres, sociales, financières, morales, militaires que le progrès scientifique et technique rend souvent effrayant -menaces multiformes sur la Nature aussi, notamment la nature humaine et jusqu’à l’humanité même de l’Homme.  L’arraisonnement progressif de toutes les activités humaines par la technique, le Commerce et la Marchandise, épuise l’homme d’aujourd’hui, écrasé par un matérialisme de plus en plus réducteur, angoissant, totalitaire.

Sous mille formes, l’effondrement du modernisme redonne aujourd’hui la parole aux Classiques : un monde meurt, tandis que, à bas bruit, les racines du monde reverdissent, selon les invariants même de la condition humaine, nourries par un nostalgie nouvelle, mais puissante et féconde, pour les traditions, les valeurs, les saveurs et les savoirs qu’on aurait pu croire disqualifiées pour toujours –voire par exemple les reflexes de l’écologie, aussi contradictoires et désordonnés soient-ils. L’Histoire serait-elle plus cyclique que linéaire ? C’est cet étonnant basculement que la revue trimestrielle Le Nouveau Conservateur entend décrire ici, et par dessus tout instruire, pour que de nouvelles générations l’inscrivent dans le fil de notre longue histoire -tant il est vrai que l’Histoire n’est pas une ligne droite progressant mécaniquement vers l’on ne sait quel nirvana, et qu’elle est aussi faite de cycles, de décadences, de restaurations et de renaissances.

​Les fondateurs du Nouveau Conservateur, sûrs que d’immenses périls menacent aujourd’hui la France, l’Europe, et peut-être le monde dans son entier, entendent œuvrer à la création d’une force politique nouvelle, cœur et noyau dur d’une droite française aux héritages prestigieux mais qui, hélas, a peu à peu abandonné le terrain intellectuel, faute de savoir remettre en cause les paradigmes de ses adversaires ; ils appellent à la résurgence de la pensée française classique, que l’on peut dire conservatrice (sans référence aux conservatismes étrangers qui n’entrent pas toujours dans ses traditions propres), et qui, certes, ne sont pas sans lien avec des mouvements dont elles partagent bien des prémices : le souverainisme, qui pourrait être l’autre nom de la tradition politique capétienne ;le libéralisme aussi, bien qu’il soit traversé de sens fort contradictoires, ou encore ce vaillant « populisme » qui, s’il retrouve certes les réflexes de notre peuple, ne saurait suffire à créer une culture et, partant, une force de Gouvernement propre à redresser seul un pays qui s’abandonne –car telle est bien notre ambition.  

L’esprit conservateur (car il s’agit là davantage d’une manière de voir et d’être que d’une idéologie) se veut donc l’instituteur d’une double réconciliation :  de la droite avec elle-même, d’abord ; mais aussi des Français avec l’essentiel d’eux-mêmes. Tel est le projet d’une revue qui sollicitera des intellectuels, des politiques et des praticiens venus de divers horizons, et qui s’inscrit dans la grande réforme intellectuelle et morale sans laquelle il ne sera bientôt plus possible de redresser et perpétuer l’Etat, ni la nation, ni même ce que nous persistons à appeler, en ce que ses diverses sources sont plus que deux fois millénaires, la continuité de la civilisation française.

Directeur de la rédaction: Paul-Marie Couteaux

Directeur de la publication: Guillaume de Thieulloy