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Charles, reviens, ils sont tous devenus fous !

Par François Martin

Par sa politique étrangère, le Général de Gaulle assurait à la France une mission indispensable à la paix du monde. Cette mission n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui.

La guerre d’Ukraine, chacun en est convaincu maintenant, a profondément accéléré le basculement du monde (1). Ce changement « tectonique » est une étape de plus du processus « décolonial » du sud par rapport au nord. Tous les conflits actuels en sont la marque (2). C’est évident pour les « révolutions » africaines récentes, que l’on peut lire comme une vélléité d’indépendance supplémentaire par rapport à l’ex-puissance coloniale française (3). Ca l’est encore plus concernant le conflit de Gaza, qui n’est autre qu’une guerre de décolonisation parfaitement classique, le couple Israël/USA représentant le colonisateur du « nord », dont la Palestine, symbole du « sud », cherche à se libérer (4). C’est même vrai lorsqu’on examine la guerre d’Ukraine, qui ne doit pas être lue comme un conflit du fort au faible (Russie contre Ukraine), mais bien du faible au fort (Russie contre tout l’occident). Poutine est parfaitement positionné dans ce référentiel, ayant, à de multiples reprises depuis sa prise de fonction en 2000, dénoncé l’hégémonie américaine insupportable sur le monde. C’est sur cette base, bien plus encore que sur l’option militaire, qu’il a construit sa victoire, en attirant autour de lui, dès le début du conflit, la plupart des pays du monde, qui n’ont pas voté les sanctions. En effet, ne pouvant vaincre militairement la première puissance nucléaire du monde, l’objectif des occidentaux était de l’affaiblir, très fortement pensaient-ils, par l’isolement diplomatique et économique. L’échec de cette politique a, dès les premiers mois de 2022, indiqué qui allait être le véritable gagnant de cette guerre, et la victoire militaire en cours n’a fait que le confirmer.

A travers ces multiples conflits se dessine une fracture, déjà béante, dont l’occident est clairement la cause, et que l’évolution prévisible du monde, soit un enrichissement très important du « sud » dans les décennies prochaines, par rapport à un appauvrissement programmé du « nord », va considérablement augmenter (5).

L’occident est bien la cause de cette évolution inquiétante. En effet, si l’on examine l’Histoire, certains des griefs qui lui sont faits ne sont pas tenables, mais d’autres sont manifestes. Ainsi, les deux accusations « traditionnelles » que l’on fait au nord, l’esclavage d’une part, la colonisation d’autre part, nous semblent tenir plus d’une fabrication idéologique et d’un slogan politique que véritablement de la réalité historique.

Pour ce qui est de l’esclavage, le grand spécialiste Olivier Pétré-Grenouilleau (6) montre suffisamment que d’abord, la traite négrière arabe a été plus importante et bien plus meurtrière que la traite occidentale (à cause de la castration systématique des jeunes esclaves), mais surtout que 97% des prédations furent faites par des noirs sur d’autres noirs, avant que certains de ces prisonniers ne soient vendus ensuite aux négriers (les autres restant dans la traite africano-africaine). Ainsi, si repentance il devait y avoir, celle-ci devrait à tout le moins inclure tous les acteurs, noirs y compris, ce que peu d’entre eux ont reconnu (7).

Pour ce qui est de la colonisation, il faut remarquer que si celle-ci a été, dans de nombreux cas, aussi facile, cela ne tient pas tant à la supériorité technique ou militaire des colonisateurs qu’au fait que, souvent, les populations autochtones ont adhéré spontanément à ce projet politique, préférant largement la loi, même dure, injuste ou raciste, imposée par ces nouveaux maîtres, plutôt que la cruauté insigne et l’arbitraire des régimes qui prévalaient antérieurement. La meilleure preuve de ce fait est sans doute la conquête par Pizarre du Pérou en 1531, avec un minuscule contingent de 180 hommes et 37 chevaux (8). Les historiens péruviens insistent eux-mêmes sur le fait que s’il a pu mener son affaire aussi bien et aussi vite, c’est parce qu’il a largement bénéficiée de l’appui des populations primitives rurales, les chavin, excédées par la domination totalitaire des Incas venus par la montagne (9). Pour ce qui est de la cruauté, que l’on pense, par exemple, au dernier roi du Bénin Béhanzin (en 1890 ! ), et au sacrifice innommable de ses esclaves (10).

Il faut noter par ailleurs que d’une façon générale, à part la guerre d’Algérie et celle du Vietnam, les décolonisations se passent globalement assez bien et que, peut-être à cause de cela, l’image de l’occident chez les nouveaux peuples indépendants et chez leurs leaders reste longtemps plutôt bonne. On ne trouve pas, chez Soeharto, Nehru, Nasser ou Bourguiba de discours anti-occidental très agressif. Bien au contraire, les deux expériences de gouvernement, la socialiste en Union soviétique à l’est, et la libérale à l’ouest, leur offrent un éventail de modèles, pour la construction de leurs Etats et le fonctionnement de leurs économies, dont ils peuvent utilement faire leur miel. Ils restent, d’une certaine façon, admiratifs d’une certaine forme de politique (issue, n’en doutons pas, de notre héritage chrétien !) capable de concilier performance, ordre, justice et humanité. Dans leur tête, ils sont en partie « occidentaux ».

C’est après que les choses se gâtent, à partir des années 80, avant et après la chute de l’Union soviétique. Et ce sont les USA qui, à chaque fois, sont la source de ce « désamour » et de cette perte de confiance du sud par rapport au nord. Deux stratégies américaines en sont la cause :

La première est l’action au Moyen Orient, par deux actions différentes :

  • L’une, c’est le remplacement du Shah d’Iran, considéré comme trop peu « loyal », par Khomeini, à partir de 1979 (11), l’autre, la même année, est le financement et la promotion des tribus pachtounes afghanes, à partir du Pakistan, pour faire pièce à l’Union Soviétique (12). Les américains parviendront à leurs fins, en éliminant le socialisme de tous les pays où il avait une influence, et en faisant tomber leur ennemi en 1991.
  • Par ces deux actions, les USA (et les israéliens, en encourageant la montée progressive du Hamas à Gaza !) réussiront à ressusciter l’islam radical qui menace aujourd’hui la paix du monde, dans ces pays et également en Europe, alors que des régimes musulmans socialistes « laïques » avaient triomphé à peu près partout. Ils récidiveront avec la présidence d’Obama, lorsque, non contents d’avoir profondément islamisé le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, ils en rajouteront encore avec les révolutions arabes de 2010 et 2011 (13), qui donneront une « nouvelle jeunesse » aux Frères Musulmans.

L’autre stratégie, plus manifeste encore aux yeux des pays du sud, a été, de la part des USA, la gestion de leur leadership à partir de 1991. En effet, à ce moment-là, ils deviennent « les maîtres du monde » ou presque. Ils ont, aux yeux de tous, la possibilité de prouver la supériorité de leur système de valeurs, de leur modèle libéral et démocratique. Ils ont en main, enfin, la véritable responsabilité qui provient, croient-ils, de leur destinée insigne.  Or, alors même qu’ils se présentent comme les parangons de la liberté et de la paix, ils démontreront tragiquement le contraire, avec une série impressionnante de guerres et de « coups-fourrés » : Irak (1990-1991), Kosovo (1998), Afghanistan (2001 à 2021), Irak à nouveau (2003), Libye (2011), sans compter, sur d’autres continents, des événements comme la guerre du Rwanda (1994) et celle du Congo (1996), deux conflits liés où leur responsabilité semble fortement engagée (14). Partout, la « liberté » a engendré la guerre. Chaque fois, derrière le paravent de la « promotion des valeurs démocratiques », apparaîtra, en filigrane ou explicitement, une volonté prédatrice et impérialiste, quand ce n’est pas une sordide piraterie (15). A travers ces politiques, les USA se décrédibiseront progressivement aux yeux du sud, et l’Europe suiveuse avec eux.

Le pire sera atteint le 5 Février 2003, lorsque Colin Powell, afin de justifier la deuxième guerre d’Irak (16) et son objectif, pétrolier et mafieux, pour tous les néo-conservateurs qui composaient l’entourage de Georges W Bush (17), brandira devant le Conseil de Sécurité de l’ONU sa petite fiole d’anthrax. Ce jour-là, aux yeux de tous les autres pays, les USA seront définitivement délégitimés, en prouvant à la fois leur incompétence, leur faible respect des institutions internationales (qu’ils ont pourtant eux-mêmes fondées !) et l’hypocrisie de leur « combat pour les valeurs ». A la suite de cela, le reste du monde cherchera d’autres modèles, et se détournera de l’exemple occidental. Aujourd’hui, et sauf à considérer les choses dans l’enfermement de son ego, l’occident n’inspire plus la confiance et le respect aux yeux de ces pays, et les guerres d’Ukraine (où il est en train de perdre militairement) et de Palestine (où il est incapable de condamner, malgré ses « principes », une entreprise de « nettoyage ethnique » pourtant manifeste), ne font que le confirmer chaque jour un peu plus.

Par ailleurs, les USA poursuivent encore, partout où ils le peuvent, leur guerre idéologique progressiste, tout en menant à bien, dans le cadre de la guerre d’Ukraine, le pillage de l’Europe, et en particulier de l’Allemagne, ce qui était, dans ce conflit, leur second, sinon leur premier objectif (18). Une drôle de façon de restaurer la confiance perdue, ce qu’un « leader du monde » digne de ce nom (et prônant en plus la morale !) devrait pourtant avoir à cœur de faire en toute priorité.   

Pour toutes ces raisons, le fossé entre nord et sud ne cesse de grandir, et parmi les différents aspects (géographique, économique, matières premières et main d’oeuvre, conservatisme/progressisme, spiritualité/matérialisme, mode de leadership), le moindre de tous n’est pas l’aspect psychologique : l’incompréhension mutuelle, due au regard que le nord porte encore sur lui-même, en dépit de ses innombrables contradictions (« nous apportons au monde la liberté et la démocratie »), par rapport à celui que le sud porte désormais sur le nord (« vous dites apporter la liberté, mais vous ne voulez que la prédation. Vous donnez des leçons que vous n’appliquez pas, vous n’êtes que des hypocrites »).

Cette fracture de plus en plus béante, dans un avenir bien possiblement bipolaire, plutôt que  multipolaire,  est le plus grand danger auquel le monde doit faire face aujourd’hui. Si nous laissons faire, ce sont des guerres et des malheurs de plus en plus grands que ce futur porte dans ses flancs. Comment y remédier ?

Nous savons tous que de par sa position géographique, géopolitique, son Histoire, son statut de leader vieillissant, sa faible capacité et qualité diplomatique, et surtout son lobby militaro-industriel surpuissant,  belliciste et maximaliste, la puissance américaine est incapable de combler ce fossé. Bien plus, saisie par l’hubris, conséquence de la peur de l’échec qui peu à peu la saisit, elle aura, demain, tendance à se raidir, plutôt qu’à chercher des compromis intelligents. En face, ce ne sont pas les nouveaux géants, comme l’Inde et la Chine, ni les puissances grandissantes pleines de vitalité et de promesses, comme la Russie, l’Indonésie ou l’Arabie Saoudite, qui vont ralentir leur expansion pour lui faire plaisir. Si l’on veut éviter, demain, de nouveaux affrontements toujours plus violents, il faut d’autres acteurs, plus modérés et impartiaux, connaisssant très bien les deux parties et rompus à la science et à l’art diplomatique, qui jouent le rôle de « ponts », de modérateurs, de « traducteurs » et d’arbitres. Ils ne peuvent venir que de l’Europe, et en Europe, ils ne peuvent venir que de la France.

En France, la gauche est discréditée. En effet, pour conserver son « magistère moral » issu des années 60, elle a, totalement ou presque, adhéré depuis au progressisme (wokisme, théorie du genre, LGBTisme, etc…), un ensemble de doctrines que le sud, dans sa globalité, rejette de toutes ses forces. Seule la droite serait capable de parler en confiance à la fois aux Etats et aux peuples du sud et à ceux du nord. Mais si l’on examine ses leaders, bien peu d’entre eux semblent avoir compris les vrais enjeux. D’abord, peu d’entre eux sont véritablement conservateurs. Ensuite, la guerre palestinienne, en ce qu’elle a révélé d’un affrontement nord/sud, a fait tomber les masques, et montré, pour beaucoup, leur atlantisme pro-sioniste. D’aucuns sont allés se faire photographier devant le Mur des Lamentations, ruinant leurs ambitions présidentielles, et apportant ainsi une caution directe, dans le conflit, à l’oppresseur israélien et à son parrain américain. D’autres sont allés défiler dans une manifestation prétendûment « contre l’antisémitisme », en réalité pour soutenir Israël dans sa guerre. D’autres enfin se sont affichés, au moment où il ne faudrait surtout pas le faire, dans des réunions politiques avec la droite américaine (19), un sérieux manquement à la nécessité, plus que jamais aujourd’hui, de retenue et d’impartialité. Ils disent aimer et défendre la France, mais ils sont incapables de refuser une invitation de ceux qui la détruisent. Demain, s’ils sont aux affaires, au moindre froncement de sourcil de l’Oncle Sam, ils se coucheront. Ce sont des patriotes de papier.

Qui reste-t-il pour défendre la France ? Et qui assumera, demain, ce rôle indispensable d’intermédiaire, prudent, lucide et légitime, sachant prendre de la hauteur, entre sud et nord ? Tous attendent ce repositionnement stratégique de la France, et la paix du monde, véritablement, en dépend. Ne le voit-on pas ?

Charles de Gaulle l’avait essayé :

  • Dès 1960, il testait la bombe atomique française, première étape vers son indépendance stratégique.
  • En 1963, par le traité de l’Elysée, il tentait d’arrimer l’Allemagne convalescente à une Europe indépendante. Il ne l’obtint pas (20).
  • En 64, il redonnait ses lettres de noblesse à la « grande » politique internationale par une série incroyable de voyages en Amérique latine, dans le « pré carré » autoproclamé des américains : Mexique au printemps, puis, à l’automne, Venezuela, Colombie, Equateur, Pérou, Bolivie, Chili, Argentine, Paraguay, Uruguay et Brésil ! (21)
  • En Mars 1966, quelques années seulement après la crise des missiles de Cuba (1962), il quittait le commandement intégré de l’OTAN. Quelques mois plus tard, il se rendait à Moscou pour bien marquer son « non alignement » (22).
  • En Septembre 1966, depuis Phnom Penh, la capitale du Cambodge, il prononçait son discours de politique étrangère peut-être le plus célèbre, devant plus de 100.000 personnes, où il affirmait, à propos de la guerre du Vietnam, et sous les yeux des USA ; « Bref, si longue que doive être l’épreuve, il est certain aux yeux de la France qu’elle n’aura pas de solution militaire. Dès lors, et à moins que le monde ne roule vers la catastrophe, seul un règlement politique pourrait rétablir la paix » (23).
  • En Février 1967, il effectuait son célèbre voyage au Québec (24)
  • En Novembre 1967, lors d’une conférence de presse, il résumait la situation en Israël/Palestine. Il en prédisait le développement futur, et les ambitions conquérantes d’Israël, que personne n’aura le courage d’arrêter (25).

Si De Gaulle avait décidé de consacrer, dans cette œuvre de redressement monumentale, autant de temps et d’efforts inouïs à la politique étrangère (26), c’est parce qu’il prédisait évidemment la chute à venir de l’URSS, et l’avènement, ce jour-là, de la toute puissance hégémonique américaine, désormais sans freins (27). Il savait qu’un jour, du fait de la « force vitale » intrinsèque des « nouveaux peuples » en mal de liberté, le nord et le sud s’affronteraient directement, et que ce jour-là, seul le prestige de la France, peut-être, pourrait éviter que « le monde ne roule vers la catastrophe ». Nous y sommes. Or où est la France ? Et où sont partis les gaullistes ?

Charles, reviens, ils sont tous devenus fous !

François Martin 

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