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La guerre de Gaza, danger mortel pour Israël ?

Par François Martin

Il est très étonnant (ou caractéristique de la lâcheté des « grands » médias) que l’on continue à présenter la guerre de Gaza comme purement militaire, alors qu’elle est aussi une guerre insurrectionnelle et, si l’on peut dire, « dé-coloniale » ; et que l’on ne voie pas, y compris quand on est attaché à la pérennité de l’Etat d’Israël ( ce à quoi se doit par principe tout Français, en se souvenant que la France fut, en 1948, l’un des grands parrains du nouvel Etat ), le danger mortel que représente pour ce pays, à la fois la politique extrémiste de Benjamin Netanyahou  (qui tente de construire, depuis l’assassinat du dernier homme d’Etat qu’ait eu Israël, Yitzhak Rabin en 1995, un « Grand Israël » entièrement différent de celui de ses Pères Fondateurs, au premier rang desquels David Ben Gourion), et son attitude à proprement parler déraisonnable depuis le 7 octobre. De toute façon, il était inévitable que, tôt ou tard, l’insoutenable « prison à ciel ouvert » dans laquelle l’occupation israèlienne relègue deux millions et demi de pauvres hères, donne lieu à des drames. François Martin détaille ici, avec la netteté de jugement qu’on lui connait, les raisons pour lesquelles Israël est une nouvelle fois mise en danger par elle-même. Un « point vue » assez radical, mais toujours argumenté, et qui, s’il ne reflète pas celui de tous les membres de l’équipe du Nouveau Conservateur, mérite d’être écouté, parmi tant d’autres. Encore François Martin, en homme prudent qu’il est, ne formule-t-il pas une vérité aujourd’hui scandaleuse à dire : en ce qu’il est censé le représenter, Israël engage de plus en plus directement l’Occident, qui n’est plus majoritaire dans le monde et qui, après avoir détruit plusieurs pays arabes, alimente comme à plaisir la haine et l’esprit de vengeance d’un milliard et demi de musulmans répartis sur trois continents – exposant en particulier la sécurité d’une Europe plus que jamais noyée dans le suivisme atlantique. C’est en cela aussi, en cela surtout, que le destin d’Israël et de l’Europe sont liés – en cela qu’il est urgent qu’émerge sur cette scène de misère une voix authentiquement tierce, impartiale et équanime venue d’Europe – dont on voit mal qu’elle puisse être autre que celle de la France, laquelle manque tant. Hélas, hélas, hélas ! (pmc).

Tout comme dans l’affaire d’Ukraine, la propagande occidentale s’évertue, depuis le début de la guerre de Gaza, à enfermer sa lecture et sa compréhension dans un verbatim parfaitement taillé, et répété à loisir. L’affaire commence le 7 Octobre, avec l’attaque du Hamas. C’est le point de départ obligé. A partir de là, il est instamment demandé, à tous les interlocuteurs, de reconnaître que « le Hamas est un mouvement terroriste ». Puis, de ce fait, que « Israël a le droit de se défendre ». Quand ces « bases » sont posées, la question suivante est de savoir si, dans ce cadre, Israël « fait le maximum » ou non pour « épargner les civils ». Or, de toute évidence, il n’est pas sûr du tout que le gouvernement de Benjamin Netanyahou « épargne les civils » -non parce qu’il aurait la main trop lourde, ou qu’elle serait « maladroite », tout en faisant « ce qu’elle peut », mais parce que tout le récit, depuis le départ, est mensonger.

De la propagande avant toute chose

Comme dans le cas de l’Ukraine, il suffit, pour dévoiler la supercherie, de se replacer un tant soit peu dans l’Histoire, même récente, ce que la plupart des journalistes superficiels ou incultes se gardent bien de faire. Pour l’Ukraine, il fallait montrer qu’avant l’entrée en guerre russe, Kiev avait bombardé les populations civiles du Donbass russophone, au mépris des accords de Minsk, jamais mis en œuvre pendant 8 années. Si l’on regarde les choses ainsi, force est de reconnaître qu’au minimum, la Russie n’a pas attaqué par prédation, mais par défense, ayant volé au secours de ses minorités opprimées, après avoir épuisé tous les recours possibles (1). Quel que soit le raisonnement que l’on tienne ensuite, ce n’est donc déjà plus « l’agression barbare des Russes ». En réintroduisant l’Histoire, on est dans l’interprétation des faits, qui peut varier, mais on s’échappe de la propagande.

De même, dans le cas de Gaza, il faut au moins rappeler qu’Israël est une puissance occupante d’une grande partie de la terre palestinienne depuis 1967, date de la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a fixé le partage de la terre, si ce n’est depuis 1948, date de la création de son Etat, qui n’a jamais respecté les frontières que lui assignait la dite résolution, à laquelle, pourtant, il devait sa propre existence. Dans ce cadre-là, c’est bien les mouvements palestiniens qui, à l’origine de cette épineuse affaire, se défendent. Comme pour l’Ukraine, il faut refuser le prémisse bêtifiant selon lequel le film commence le jour de l’attaque, sans jamais chercher à savoir ce qui s’est passé avant -en misant comme toujours sur l’ignorance et l’émotivité d’une opinion qui est, sur ce sujet comme sur tant d’autres, largement conditionnée.

Le douteux récit officiel du 7 Octobre

Pour commencer, le récit du 7 Octobre doit être soumis à l’examen. A ce titre, de nombreux débats ont eu lieu, et surtout en Israël, sur la réalité des faits. D’abord, comme on le vit souvent autrefois (cf le « faux charnier de Timisoara », les « couveuses de Koweît City », la fiole d’anthrax de Colin Powell, etc…), le récit sur les « 40 bébés décapités » est très vraisemblablement un montage, ressortant à la nouvelle (et effrayante) propagande de guerre. Notons que Joe Biden, qui affirmait avoir vu les photos, s’est d’ailleurs fait recadrer par ses propres services. Après que l’histoire initiale avait été racontée par un soldat de Tsahal devant une journaliste en pleurs, les journaux israéliens, et d’abord le très sérieux Haaretz, ont voulu, en l’absence de preuves, autres que la déclaration d’un simple soldat, en savoir plus, sommant Tsahal de les apporter. Acculée, l’instance militaire a dû répondre qu’elle « ne pouvait pas confirmer ». Signe que l’affaire était sans doute montée de toutes pièces… On remarquera que la presse occidentale n’en parle plus (elle se doute qu’il s’agit d’un montage, sans pour autant s’être rétractée, les preuves manquant en somme des deux côtés) ; hélas, comme dans le cas de l’anthrax ou des couveuses, l’expression « le Hamas qui décapite les bébés » continue à être régulièrement utilisée.

De même, il existe d’autres éléments troublants : par exemple, on a aujourd’hui de nombreux témoignages d’habitants des kibboutz ou de militaires (pilotes d’hélicoptères en particulier) que l’Etat n’a pas réussi à faire taire, assurant qu’une partie des civils, y compris ceux de la « rave party » ont été tués par l’armée qui, prise au dépourvu, paniquée par l’événement qu’elle n’avait pas anticipé, a « tiré dans le tas ». C’est l’application d’une directive connue sous le nom de « doctrine Hannibal » (2), qui spécifie que pour Tsahal, le mal absolu est la prise d’otages par l’ennemi, qui coûtera cher au gouvernement, le contraignant à échanger de nombreux prisonniers palestiniens pour les récupérer (3). Si les soldats sont confrontés à ce risque, selon cette doctrine, il leur est ordonné de tout faire pour empêcher les prises d’otages, et de tirer sur les ennemis, au risque de tuer les otages eux-mêmes. C’est ce qui s’est fait dans ce cas, selon plusieurs témoins qui ont assisté à la mort de proches,« arrosés » par leur propre armée alors que, de façon non moins barbare, le Hamas s’en servait de rempart. Une guerre est toujours une guerre : affreuse.

De même, les reportages et les photos diffusés par les soldats de Tsahal eux-mêmes montrent des traces de chenilles et des maisons totalement eventrées, qui montrent la présence de chars, qui ont tiré sur les maisons indistinctement sur le Hamas et sur leurs otages. Ainsi est-il fortement sujet à caution que des Gazaouis, sortis de l’enclave sur des mobylettes ou des parapentes, avec des Kalachnikov en bandoulière, aient pu commettre de tels dégâts. Pour la même raison, ils n’ont pas pu être les responsables des centaines de voitures calcinées près de la « rave party ». Là aussi, ce sont les hélicoptères de Tsahal qui ont « tiré dans le tas » (certains pilotes l’ont attesté), ainsi que les soldats qui ont mitraillé indistinctement les voitures fuyant le carnage, ca qu’a attesté l’un des témoins directs. Il n’est pas plus logique que des combattants gazaouis aient « rôti un bébé dans un four », comme Netanyahu l’a affirmé pour impressionner l’opinion. Selon les analyses de plusierus journalistes d’investigation, il s’agit probablement de restes calcinés dont les photos ont forgé la trame de cette histoire. Tous ces points ont été discutés dans la presse israélienne elle-même (4). Pourquoi sont-ils passés sous silence en France ? On en connaît la raison : il s’agit de démarrer le « verbatim » de la façon la plus émotive possible…

Un autre point ne « colle pas ». On a bien vu, à travers l’entraînement et la préparation de l’attaque, puis son déroulement sur le plan militaire, puis le « rituel » du retour des otages, et ce qu’ont dit ces derniers de leurs captivités, que les combattants du Hamas semblent disciplinés et professionnels. Pourquoi donc, dans ces conditions, auraient-ils fait l’erreur, alors que, on l’a bien compris, leur mission, consistait, connaissant la « doctrine Hannibal », à « récolter » le plus de prisonniers possibles, de massacrer ceux-ci au lieu de les ramener en vie ? Ce sont ces otages, justement, qui fournissent aujourd’hui à l’organisation un levier politique décisif ! De même, pourquoi auraient-ils mis en scène eux-mêmes, en les filmant, l’assassinat de leurs prisonniers ? Il n’est pas logique qu’ils se comportent ainsi. Ce qui est probable, par contre, c’est qu’une fois les murs enfermant Gaza percés, d’autres « bandes » palestiniennes (n’oublions pas que le Hamas n’était pas seul à la manœuvre, et que neuf autres organisations palestiniennes, quelquefois civiles – se réclamant pour trois d’en entre elles du communisme- se sont jointes à lui dans l’opération du 7 octobre; rien n’est simple, décidément…) aient massacré des civils. C’est ainsi que s’explique le déchaînement de haine : non par une « barbarie intrinsèque » des palestiniens (c’est le message que la propagande tente de faire passer), mais par la vengeance provoquée par l’enfermement.

La responsabilité de Benjamin Netanyahou 

Par ailleurs, faut-il croire le gouvernement et l’armée lorsqu’ils disent qu’ils appliquent une doctrine défensive, contre une menace existentielle ? On peut en douter. D’abord, la bande Gaza n’est pas une menace existentielle pour Israël. Le pays se défend très bien, avec le « dôme de fer », contre les roquettes « bricolées » lancées depuis Gaza. Par ailleurs, et surtout, la bande de Gaza est minuscule, et totalement encerclée. C’est pour cette raison que des gouvernements israéliens, droite et gauche confondus, ont plusieurs fois aidé le Hamas à s’imposer alors même qu’il professait une doctrine islamiste anti-israélienne radicale (5). Les israéliens savaient que le premier ennemi du Hamas, en vérité, n’était pas Israël, mais bien l’organisation laïque du Fatah (6) ; et qu’ils ne feraient qu’une bouchée du Hamas lorsque, le moment venu, ils voudraient s’en débarrasser. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé lorsque, trahis par Cheikh Yassine, son fondateur, ils ont décidé sa mort. Un seul missile tiré d’un hélicoptère, alors qu’il partait à la mosquée, a suffi. En somme, l’alliance des extrémistes des deux camps contre celle, qu’aurait dû conforter l’Europe, des modérés des deux camps – c’est hélas le résumé de la situation au Proche-Orient, malheureux résultat d’une montée aux extrêmes voulue par les Etats-Unis – Henry Kissinger s’en était plaint lui-même…

La mort de populations civiles lors de l’attaque a légitimement marqué nos esprits (7), car elle n’est pas justifiable. Tout autant n’est pas justifiable le traitement infligé en représailles à Gaza, qui horrifie la plus grande partie du monde, ce dont la majorité des voix à l’Assemblée générale des Etats-Unis, et de nombreux ambassadeurs au Conseil de Sécurité se font l’écho, ainsi que le Secrétaire général de l’ONU (que le gouvernement israélien, perdant le sens de la mesure, a  qualifié « d’obstacle à la paix » !), et alarmant à présent l’OMS, qui juge insupportable la situation sanitaire infligée aux malheureux habitants parqués à Gaza. Sachant qu’il est pratiquement impossible d’aller débusquer une « armée de fantômes » comptant entre 20 et 30.000 soldats aguerris cachés à la fois dans les tunnels et au milieu de la population ( les exemples de Stalingrad, de Fallouja ou de Bakmout l’ont montré), on peut conjecturer que le but n’est donc pas de détruire le Hamas, mais de faire « craquer » soit l’Egypte, soit la population elle-même, afin de déporter cette dernière entièrement dans des camps hors de la zone. Ainsi, on aura « réglé le problème » dans sa totalité. A l’appui de cette hypothèse sont pointés plusieurs indices.

  • il est aujourd’ui avéré que Benjamin Netanyahou et ses services connaissaient les plans gazaouis depuis plus d’un an (8). Pourquoi, dans cette hypothèse, les a-t-il ignorés ? D’abord, parce qu’il a sous-estimé son adversaire, ne pensant pas que son initiative pourrait avoir autant de succès. Ensuite parce que, cherchant un prétexte pour sortir de son impasse politique intérieure, une intervention à Gaza pouvait être très utile. Cela expliquerait que les avertissements adressés par les services égyptiens à Tel-Aviv dans les jours précédents l’attaque n’y aient trouvé aucun écho.
  • Les déclarations du gouvernement Netanyahou montrent qu’il ne craignait aucunement le Hamas. Il était persuadé de pouvoir en venir à bout facilement. Comment expliquer autrement le fait que certains membres du gouvernement aient traité les gazaouis d’« animaux humains », ou même aient affirmé qu’une bombe nucléaire sur l’enclave était « une option » ?
  • la « contre-attaque » de Tsahal s’accompagne d’une explosion des exactions des colons, appuyés par l’armée, en Cisjordanie (9) et à Jérusalem-est (10).
  • Surtout, le massacre d’une population civile de plus de 2,5 millions de personnes entassées dans une petite enclave, assortie de la privation d’eau, d’électricité, de nourriture et de médicaments, n’a aucune ressemblance possible avec une opération militaire visant à débusquer des ennemis. Il faut être d’une hypocrisie inouïe, ou terrorisé par la « doxa » médiatique, pour affirmer le contraire. Il suffit de regarder les choses pour se convaincre que ce n’est pas le Hamas qui est visé principalement, mais la population gazaouie (11).

Tout se présente donc, du côté israélien, au départ du moins, comme une opération planifiée, une nouvelle étape de la prédation sur les terres palestiniennes, dont on n’attendait plus que le moment, et qui n’est d’ailleurs que conforme à la vision qu’a Benjamin Netanyahou, ainsi que son père , historien partisan de l’option écartée lors du Congrès Juif mondial de 1961, mais qui revient en force chez les Faucons israéliens, désormais majoritaires, celle du «  Grand Israël », Mais les choses, pour Israël, seront-elles aussi simples ?

Une guerre insurrectionnelle classique

La guerre que mène le Hamas n’est pas une guerre purement militaire (du fort au fort), mais une guerre « asymétrique », insurrectionnelle (du faible au fort) ; or, celle-ci n’obéit pas aux mêmes règles que la guerre militaire « traditionnelle ». Depuis Gandhi et Mao, toutes les guerres « décoloniales » se mènent d’une façon spécifique : celui qui les a théorisées est un militaire français, David Galula (12). Selon sa thèse, le but du faible n’est pas de défaire le fort militairement (il est trop faible pour cela), mais de le délégitimer symboliquement, en montrant qu’il est stupide, ou cruel, ou ridicule, ou qu’il se contredit, etc… Dans tous les cas, qu’il est faillible et antipathique, et surtout qu’il n’assume plus son pouvoir « régalien » supposément légitime. Le faible doit, à l’inverse, montrer qu’il incarne le pouvoir légitime à la place du fort. Pour cela, il lui faut attirer la sympathie, puis l’adhésion des populations et opinions, à l’intérieur et à l’extérieur de son territoire, le principal moyen étant la victimisation. Dans cette optique, il faut, encore et toujours, des martyrs (13). Lorsque le faible a obtenu cela, même s’il ne gagne pas militairement, il gagne politiquement, parce que son adversaire est discrédité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur – et d’abord chez ses propres amis et soutiens. La chute politique du fort n’est alors plus qu’une question de temps. C’est ce qui est arrivé à la IVè République face à la guerre insurrectionnelle du FNL algérien. C’est ce qui est arrivé aux français, puis aux américains, au Vietnam.

Si l’on regarde les choses ainsi, Benjamin Netanyahu, comme l’en accusent nombre d’Israéliens mezzo voce, fait exactement ce qu’il faut pour perdre. Galula enseigne que dans ce genre de cas, la dernière des choses à faire, de la part du contre-insurgé, consiste à frapper la population. Car s’il fait cela, il répondra parfaitement aux objectifs de l’insurgé : d’abord il resserre la population, furieuse de la punition qu’elle subit, autour des insurgés, qu’elle protègera toujours plus, alors qu’il faut, au contraire, « acheter » l’amitié de celle-ci (14) ; ensuite, il construit, pour le compte de l’insurgé, la martyrologie dont celui-ci a tant besoin pour se légitimer et délégitimer son adversaire.

Or, si l’on observe les choses, qu’en est-il de la légitimation du Hamas ? Bien qu’Israël et ses soutiens internationaux, surtout aux USA aient tout fait pour imposer le récit d’un Israël défensif, on voit bien que chaque jour qui passe, cette stratégie perd pied, dans le monde entier, et même aux USA (15), face aux morts et aux blessés, mis en scène non pas par le Hamas, mais par Israël lui-même – et face à la réalité de sa stratégie offensive, à Gaza et en Cisjordanie, et même au Liban-sud.  Déjà, alors que Benjamin Netanyahu avait affirmé qu’il irait détruire le Hamas et délivrer les otages sans accepter aucune trêve, il a dû, sans doute sous la pression de l’opinion publique non-israélienne (américaine (16), et peut-être aussi européenne, notamment française), changer ses plans et accepter l’arrêt des combats pendant plusieurs jours. Ce sont ainsi, progressivement, les Palestiniens et leurs nombreux alliés  qui choisissent la méthode de la guerre,  de même qu’ils choisissent l’identité de ceux qu’il rendent peu à peu, et d’abord les étrangers, afin d’amadouer les pays spectateurs (17). De même qu’ils « soignent » habilement le retour des otages israéliens, qu’il traite avec une grande amitié, afin d’en faire, si possible, ses « ambassadeurs » pour couper Netanyahu de sa propre population. Dans cette affaire, pour le moment, c’est le faible qui dicte sa loi, conformément aux enseignements de Galula.

Le pire est à venir : un danger mortel pour Israël

Mais le pire est à venir. En effet, voulant absolument se justifier vis-à-vis de sa population, qui lui reproche sa légèreté et son incompétence, Netanyahu a montré « les gros bras », en annonçant orbi et orbi qu’il allait couper à la population gazaouie, hommes, femmes et enfants confondus, tous les moyens de vivre : eau, électricité, nourriture, médicaments, communications. Il l’a fait parce qu’il était poussé par la nécessité médiatique, et aussi parce qu’il pensait pouvoir gagner militairement assez facilement. Fatale erreur de communication ! Car ce faisant, il a enclenché la mécanique qui peut entraîner son pays, toujours si l’on suit Galula, dans une situation d’enfermement politique et diplomatique mortel. Et c’est l’eau, le symbole même de la vie, qui en sera l’instrument. En effet, ayant lui-même annoncé ses instruments d’action, que se passera-t-il si, demain, et alors que l’on dépasse déjà, aujourd’hui, les 15.000 morts (plus de dix fois les victimes du 7 octobre),  on double ou triple ce chiffre, non plus par des bombardements « collatéraux », mais par la soif, ou par maladie, épidémie de choléra ou autre (18) ? Quel gouvernement, parmi ceux qui le soutiennent encore, et qui sont de moins en moins nombreux, osera ne pas s’alarmer, lorsque les TV du monde entier (pour l’instant interdites dans tout le territoire de Gaza) relaieront les images des corps de milliers d’enfants morts de soif et d’épidémie ?

Si Netanyahu, pour éviter la catastrophe, remet l’eau et l’électricité, il perd une grande bataille symbolique ; s’il ne le fait pas, le risque pour lui est énorme. Celui, en réalité, de perdre une partie de ce que l’on pourrait appeler son crédit victimaire. De ce crédit, une bonne part est déjà perdue, dans une grande partie du monde. Si les Etats-Unis (19), ulcérés par l’horreur, le lâchent (hypothèse difficile à imaginer, tant sont intriqués les réseaux de faucons israéliens et états-uniens…), ou du moins sont contraints de mesurer leur soutien, comme Joe Biden est contraint d’en manifester quelques signes à l’approches de l’ élection de 2024, Israël est en danger. Pour Netanyahu, ce serait certainement, la fin politique (20). Les investisseurs s’en iront, les appuis internationaux se détourneront, la reconnaissance si espérée (et qui était en cours !) par les pays arabes, clé de l’avenir, sera morte. Le TPI (21) diligentera ses enquêtes. Les 102 résolutions de l’ONU ignorées par Israël, et d’abord la célèbre résolution 242 de 1967, ressortiront de leurs tiroirs, et colleront à la peau d’Israël comme la tunique empoisonnée par le sang du centaure Nessus sur le dos du pauvre Héraklès.

En face, le Hamas aurait trop beau jeu, même, de ne rien faire. Aujourd’hui, ce n’est pas, pourtant, la tactique qu’il semble appliquer. Au contraire, il attaque (22). Certainement très bien préparé, dans ses innombrables sous-sols, avec des groupes électrogènes, de la nourriture, des réserves d’eau et des armes, et les otages, il joue avec le temps. Il sort, semble-t-il, beaucoup la nuit, et va harceler les détachements ennemis dans une obscurité qui ne le gêne nullement, puisqu’il évolue, à l’instar des nord-vietnamiens dans leur jungle, dans un environnement qu’il connaît par cœur. Ces indices montrent que les pertes de Tsahal sont sans doute bien plus élevées que prévu, corroborant l’idée qu’il est extrêmement difficile de débusquer un ennemi en milieu urbain. On peut pense que c’était l’une des raisons de la trève, non pas pour que le Hamas se réorganise (23), mais pour que Tsahal le fasse (24).

Dans tous les cas, l’armée israélienne n’a que quelques semaines pour trouver la solution (25), avant que le compteur des morts ne s’emballe. Ce sera le véritable arbitre de cette affreuse affaire, et beaucoup le craignent (26). Comme dans les autres guerres décoloniales, les martyrs, si convoités, auront alors pleinement joué leur rôle dans ce processus de libération, un processus, comme dans les autres « guerres de libération », toujours d’une grande cruauté (27). La tâche, face à un tel risque, et à un adversaire tapi dans ses recoins, patient, professionnel et résilient, qui a le temps pour lui, est pratiquement insurmontable. C’est le Vietnam qui se profile pour Israël.

Quelques hommes seront-ils assez courageux et lucides, pour inspirer à Israël, dans son propre intérêt, la voie de la raison ? Avant le désastre, et peut-être à cause de sa perspective, certains dirigeants politiques ont remis sur la table la solution à deux Etats, la seule, véritablement, qui pourrait déboucher sur une paix durable. Mais Netanyahu vient de les renvoyer brutalement dans leur camp (28). Où allons-nous, dans de telles conditions ? Il reste très peu de temps pour le savoir.

François Martin

  1. Cf « L’Ukraine, un basculement du monde », François Martin, Editions Jean-Cyrille Godefroy, 2023
  2. Directive Hannibal — Wikipédia (wikipedia.org)
  3. Ainsi, en 2006, le jeune soldat israélien Gilat Shalit fut capturé par un commando palestinien et échangé, après 3 ans de négociations, contre plus de 1000 palestiniens. Gilad Shalit — Wikipédia (wikipedia.org)
  4. 7 octobre : révélations sur les massacres – Le MédiaMensonge du Jour – n°10 – YouTube
  5. https://lenouveauconservateur.org/rubriques/politique-etrangere/israel-palestine-la-fin-du-grand-mensonge/
  6. Tout comme le Fatah était le premier ennemi d’Israël, et non pas le Hamas
  7. L’opinion israélienne est, en effet, extrêmement sensible à la mort de ses soldats et de sa population. Cela montre, à tout le moins, un incroyable manque du sens des réalités. Car comment être aussi sensible à ses propres morts et, en même temps, aussi peu sensible à la mort des palestiniens et à la prédation sur leurs terres, ce qui cause l’insécurité dans laquelle les israéliens vivent ? Comment ne pas connecter l’un et l’autre ? Comment la droite israélienne, dans ces conditions, a-t-elle pu se maintenir au pouvoir depuis 22 ans ? Il y a là une forme très spéciale de schizophrénie. This is WHY Jews in the Occupied Territory are okay with it – YouTube
  8. https://www.youtube.com/watch?si=9UJBmc7y2oAgTJWL&v=meSQD7pkZO4&feature=youtu.be
  9. https://youtu.be/aKrasAJyOD4?si=1ShiR8MlXbsWSTmV
  10. https://www.france-palestine.org/Tensions-extremes-a-Jerusalem-Est-occupee-des-colons-s-en-prennent-a-la
  11. https://youtu.be/PgzKyr-oa70?si=6SOBNFH_vcbrjQFN
  12. Cf David Galula. https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Galula. Et son maître livre « Contre-insurrection, théorie et pratique », Editions Economica
  13. Gandhi disait à ses manifestants : « Je vous en supplie, laissez-vous massacrer ! ». Et Arafat : « Il nous faut des martyrs, encore des martyrs ! »
  14. Par l’action que l’on appelle « civilo-militaire »
  15. https://youtube.com/shorts/g0kjGN-z2Uo?si=gRqTGVpGu4KrriJC
  16. Joe Biden est en effet en train de perdre une partie de ses électeurs, et d’abord les noirs, très attachés à la cause palestinienne.
  17. Un « scandale » est d’ailleurs en train de se produire à bas bruit : alors que les otages franco-israéliens sont les plus nombreux, le Hamas libère en premier tous les autres. Il entend ainsi faire payer à la France son alignement trop important sur la droite israélienne, raison pour laquelle un groupe de diplomates francais ont récemment écrit au Quai d’Orsay pour se plaindre du fait que notre pays avait perdu son positionnement traditionnel « équilibré ». C’est donc bien le faible qui manipule l’un des forts dans cette affaire.
  18. En l’absence d’électricité, en effet, l’eau des puits est totalement croupie, et les déchêts (de 2,5 millions de personnes !) ne sont plus évacués. Une catastrophe humanitaire est imminente, sans aucun traitement possible. La situation à Gaza « est indigne », dénonce le commissaire général de l’Unrwa, Philippe Lazzarini – YouTube https://youtu.be/q9x5NcQGCGQ?si=6c2ephOUUZ70aRzP
  19. https://youtube.com/shorts/BrBe_kpfL5g?si=Q0MYQE2Wbd6nTsbk
  20. Ce n’est qu’une question de semaines. 85% de la population israélienne est contre lui.
  21. Le Tribunal Pénal International. Trois plaintes distinctes y ont déjà été déposées pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
  22. L’historien Edouard Husson montre qu’au contraire, Tsahal, contrairement à sa propre propagande, a beaucoup de difficultés à résister aux attaques du Hamas ? Dans le nord de Gaza, dit-il, 70% des troupes et des chars se sont retirés. Tsahal aurait de nombreux morts et blessés. Le journal Haaretz choisit le chiffre de 4500 blessés, indiqué par les hôpitaux israéliens, et non pas celui de Tsahal (1600 blessés).
  23. Le Hamas se semble pas désorganisé. En effet, c’est sous la terre, dans les rues, derrière des gravats, et la nuit, que les choses sérieuses se passent. Sur ces terrains, Tsahal n’est pas à son aise.
  24. C’est le conseil que les américains viennent de leur donner, pour reprendre le combat différemment après la « trêve ». Cela corrobore l’analyse d’Edouard Husson.
  25. https://youtu.be/Sgi_b_XgDqs?si=I8_HHb1hHZHPu1It
  26. US vice president: Images from Gaza are ‘devastating’ – YouTube
  27. Dans tous ces types de guerres, les chefs insurgés assument toujours ces pertes et cette cruauté, comme un sacrifice. Ils ne raisonnent pas selon notre “normalité”. Pour eux, le prix de la liberté et de l’indépendance est infini. C’est cela, en réalité, qui fait leur force. 

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