0,00 EUR

Votre panier est vide.

Israël/Palestine : la fin du grand mensonge

François Martin

Depuis près de 70 ans, l’occident a pu imposer aux pays et opinions de la prétendue « communauté des nations » le narratif mensonger d’un Etat d’Israël « assiégé » par les pays arabes et « rempart du monde libre » contre les « hordes barbares » du Moyen Orient et d’ailleurs. La guerre de Gaza a fait voler en éclat ce « grand mensonge » fondateur d’une certaine image de domination du nord sur le sud. Aujourd’hui, ni le mensonge, ni la domination n’existent plus.

Comment on fausse un récit

Si l’on observe attentivement le traitement médiatique de la guerre de Gaza, on voit que les médias occidentaux, pour la plupart, ont tenté, comme dans la guerre d’Ukraine (1), d’imposer un récit « frelaté », avec la même technique : faire commencer le « film » au moment où l’actualité immédiate se déclenche, sans prendre en compte ni la géopolitique, ni l’Histoire. Selon cette méthode, et quels que soient les événements, il s’agit de saturer, tout de suite, les médias du monde entier, et d’abord ceux de l’occident, avec des images de femmes et d’enfants en pleurs, afin de faire sortir les spectateurs du cadre de la raison pour les enfoncer de force dans celui de l’émotion, puis d’asseoir ainsi un récit manichéen où des « bons » sont attaqués, voire martyrisés, par des « méchants » (des barbares, des terroristes, ou même des « animaux »), sans qu’aucune cause ne soit analysée, ce qui fondera pour les « bons » le « droit de se défendre », par tous les moyens ou presque, la seule limite morale étant qu’ils « n’aillent pas trop loin », et encore… S’ils le font, et même si les victimes de la réponse excèdent 100 fois ceux de l’attaque initiale, ce seront des « dommages collatéraux », qui ne seront pas assimilables au « terrorisme » ou à la « barbarie ». N’ont-ils pas été outrageusement attaqués ? C’est ainsi qu’il faut comprendre le fait que presque tout le débat français depuis le début de l’attaque du Hamas le 7 Octobre porte sur le fait de savoir s’il faut « condamner » ou ne pas « condamner » cette attaque, et si leurs auteurs sont ou non des « terroristes ». Personne, dans ces conditions, ne se demande ce qui s’est passé AVANT, si deux condamnations en regard ne sont pas nécessaires, et si le terrorisme du Hamas ne répond pas à un terrorisme d’Etat pratiqué par Israël, et depuis quand.

Par ailleurs, une remarque importante ici est à faire : la cruauté, illégitime, d’un mode opératoire pendant une guerre n’annule pas forcément la légitimité de l’auteur. Par exemple, personne ne pense que la cruauté effroyable du bombardement de la ville-hôpital de Dresde, pendant la dernière guerre mondiale, ni les bombes d’Hiroshima ni de Nagasaki, chacun de ces événements ayant fait plus de 200.000 morts, ne remet en cause la légitimité du combat des alliés contre le nazisme et le Japon. De même, ici, il nous semble que malgré la cruauté de son action, la légitimité propre du Hamas n’est pas remise en cause, puisque près de 50% des palestiniens, à ce jour, reconnaissent, selon un récent sondage, que seul le Hamas les défend dans leur « guerre de libération », l’Autorité palestinienne étant totalement impuissante. Par contre, on peut se demander si, par-delà son mode opératoire tout aussi cruel, le bombardement systématique des civils, l’Etat d’Israël, lui, est légitime lorsqu’il poursuit une guerre de conquête et de colonisation.

Cette lecture spécifique du conflit en cours en sous-tend évidemment une autre : celle qui affirme que depuis son origine jusqu’à nos jours, Israël est constamment en butte à l’hostilité des pays arabes alentour, qui ont toujours contesté son existence. Cette affaire de Gaza n’est, dans cette perspective, que la suite d’un long processus de haine vis-à-vis d’Israël, haine contre laquelle ce pays, la « victime éternelle », se défend courageusement.

Le Hamas, une création d’Israël

Or cette lecture et ce narratif ne correspondent nullement à la vérité historique. L’analyse des faits et des dates, celles de la naissance et de la croissance du Hamas (2), tout comme celles du Fatah (3) de Yasser Arafat (4) et celles de la construction de l’Etat d’Israël, suffisent à le prouver :

D’abord, il n’est un secret pour personne que jusqu’à la proclamation de l’Etat d’Israël, le 15 Mai 1948, les organisations de la Haganah (5) (qui signifie défense) et de l’Irgoun (6) se sont comportées comme des organisations « terroristes » (s’attaquant aux civils, selon la définition du terrorisme), se combattant entre elles, et commettant des attentats, dont le plus célèbre est le coulage par la Haganah du paquebot Patria (7), qui fait 300 morts juifs, des réfugiés qui devaient être réembarqués vers l’Ile Maurice. Ces organisations étant l’ossature primitive de l’Etat d’Israël, cela montre que dans le cadre d’un conflit global, résistance et terrorisme sont souvent très proches, rendant un peu spécieuse cette différenciation (8).

Si l’on observe par ailleurs l’histoire du Hamas (qui signifie résistance islamique), on voit qu’avant même sa création officielle par le Cheikh Ahmed Yassine en 1987, toutes les étapes antérieures, depuis l’annexion de la bande de Gaza par l’Egypte en 1948 et l’emprise initiale des Frères Musulmans, puis la Guerre des 6 Jours de Juin 1967 (où Israël accepte la demande des Frères Musulmans gazaouis de financer un  important réseau de mosquées), puis le développement, à partir de là, dans les années 70, d’institutions caritatives, d’écoles, de jardins d’enfants, des « graines plantées dans le but de moissonner plus tard les cœurs, les esprits et les âmes » (et qu’Israël accepte), puis la création en 1973 par Yassine du Centre Islamique (qu’Israël approuve), toutes choses qui seront la base, ensuite, du mouvement idéologique, puis armé gazaoui, toutes ces étapes donc sont soutenues par l’Etat d’Israël, qui entretient avec Yassine, apparemment, d’excellentes relations. Alors même que ce dernier construit patiemment les éléments de son futur pouvoir, on voit que les israéliens l’approuvent et même le « bichonnent ». Pourquoi ? Difficile, pourtant, de penser qu’Israël a la moindre illusion ou naïveté vis-à-vis d’un mouvement islamique (donc fondamentalement hostile au judaïsme) qui prône « la destruction de l’Etat d’Israël et l’instauration d’un Etat islamique palestinien sur tout le territoires de l’ancienne Palestine mandataire », bien que « l’établissement d’un Etat palestinien entièrement souverain dans les frontières du 4 Juin 1967 (ligne verte), avec Jérusalem pour capitale, puisse aboutir à une trève ». Pourquoi donc une telle politique, apparemment parfaitement contraire aux intérêts et à l’existence même d’Israël ?

Le Fatah, véritable ennemi d’Israël – La colonisation, véritable objectif

Si Israël agit de la sorte, c’est précisément parce que dès le début, il considère que son véritable ennemi est le Fatah, un mouvement politique nationaliste palestinien, fondé dès 1959 par Yasser Arafat, qui prône une « Palestine démocratique non confessionnelle », de type socialiste. En effet, de par sa philosophie fondatrice, qui porte dans ses flancs la possibilité d’un Etat palestinien où, à cause de son caractère laïc, même des juifs seraient acceptés, le Fatah est soit une opportunité formidable si Israël cherche le partage de la terre et la paix, soit un risque très dangereux si ce même Etat vise à terme une domination totale, qui ferait des palestiniens les « indiens d’une future Amérique », réfugiés à l’extérieur ou parqués dans des réserves de plus en plus grignotées. Il est certain que si Israël veut avoir un jour, comme l’espèrent certains de ses membres, le contrôle total de la Palestine (la « Terre promise ») dans un « Grand Israël » (Eretz Israël), selon un rêve sioniste et biblique radical, il existe un intérêt presque vital à faire grandir par ailleurs un embryon de mouvement islamique tout aussi radical qui s’attaquera en priorité, le pensent-ils, au Fatah, et qu’on fera disparaître ensuite, lorsqu’on n’en aura plus besoin. Et ceci d’autant plus que ce mouvement restera géographiquement circonscrit à un territoire minuscule et enclavé, la bande de Gaza, à partir de laquelle il ne pourra jamais envahir Israël ni faire tomber son régime. Ce calcul est la base de « l’entente non cordiale » entre Israël et Gaza, entente qui a perduré globalement, malgré la parenthèse relative de la première Intifada et des accords d’Oslo (9) et suivants, jusqu’à présent. C’est cet « accord » que le Hamas vient de faire voler en éclat.

La suite des événements de l’Histoire palestinienne confirme cette thèse. En regard des « efforts » israëliens pour la recherche de la paix, tout au long de ces difficiles négociations, ce pays poursuit en parallèle deux objectifs inverses visant à rendre cette paix impossible : l’un est l’instrumentalisation permanente du Hamas, qui n’a jamais véritablement cessé, l’autre est la poursuite permanente de la colonisation des terres dans la zone de Cisjordanie dévolue, selon les accords d’armistice de 1949 (appelés ensuite « frontière de 1967 » ou « ligne verte »), aux palestiniens, en violation totale de toutes les résolutions de l’ONU, à commencer par la célèbre Résolution 242 du 22 Novembre 1967 (10) qui affirme pourtant « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre et la necessité d’oeuvrer pour une paix juste et durable permettant à chaque Etat de la région de vivre en sécurité ».

Pour ce qui est du Hamas, on constate qu’il organise, durant les années 70 et 80, des actions violentes dirigées principalement contre les partisans de la gauche laïque dans les territoires palestiniens. Non seulement Israël ne les arrête pas, mais il va même jusqu’à réprimer l’opposition aux islamistes dans ces territoires ! Ainsi, il arrêtera 11 fois, entre 1981 et 1986, Mohamed Dahlan, le chef du mouvement de jeunesse du Fatah,  Pendant cette même époque, il permettra par ailleurs le financement de ce mouvement par l’Arabie Saoudite et la Syrie, des pays qui s’opposent pourtant directement, à l’époque, à l’Etat d’Israël.

La première Intifada et le processus de paix

Si le lancement, en Décembre 1987, de la Première Intifada n’est pas le fait de Yasser Arafat, alors exilé à Tunis, mais bien un mouvement spontané provenant, déjà, des multiples humiliations subies par les palestiniens (11), cette insurrection ne s’accompagnera pas d’une « trahison » de la cause palestinienne par Ahmed Yassine. Ayant peur d’être débordé par la rue gazaouie, il créera l’entité du Hamas pour se démarquer et s’affirmer. Sans pour autant appuyer Arafat, il tentera de profiter de la situation en se « retournant » contre son « protecteur » israélien, qui le fera arrêter en 1989.

La conséquence de ce soulèvement, largement sous-estimé au début par les autorités israéliennes, sera l’enclenchement d’un processus de paix qui aboutira à la déclaration d’indépendance de l’Etat palestinien à Alger, le 15 Novembre 1988, confirmée par la résolution 43/177 de l’ONU, le 15 Décembre suivant, puis à la conférence de Madrid de 1991, puis aux accord d’Oslo de 1993, puis à l’accord de Jéricho-Gaza, en Mai 1994, puis aux accords de Taba-Washington, en Septembre 1995. Enfin, en 1996, viendra la modification de la charte de l’OLP, qui refusait jusque là l’existence de l’Etat d’Israël. Si ces accords restent fragiles, et sont entachés de déclarations ambigües de part et d’autre, ils n’en demeurent pas moins un  chemin vers le bien et la paix. Ce chemin s’arrêtera certainement avec l’assassinat d’Yitzhak Rabin, le 4 Novembre 1995, et l’incapacité de Shimon Peres, qui lui succède, à conserver le pouvoir (qu’il perd face à Nethanyahu dès 1996), donc à poursuivre le processus de paix. La question est dès lors pratiquement pliée, malgré les négociations avec Ehud Barak à Camp David en 2000, puis à Taba en 2001, qui buteront sur la question des réfugiés palestiniens.

Le « règne » de la droite israélienne et la deuxième Intifada

Ensuite, viendra le « règne » de la droite israélienne, d’abord avec Ariel Sharon (12), de 2001 à 2003, puis avec Netanyahu (13) à partir de 2009 jusqu’à nos jours. L’un et l’autre ayant affirmé que « les accords d’Oslo sont la pire catastrophe pour Israël ». il y avait peu de chances, alors, que le processus de paix aboutisse. Yasser Arafat aura beau lancer, de 2000 à 2005, la seconde Intifada, le résultat en sera, cette fois-ci, désasteux : enfermement d’Arafat dans son palais de Ramallah par l’armée israélienne, jusqu’à sa mort, le 11 Novembre 2004, construction du mur de séparation israélien, affaiblissement du Hamas en Cisjordanie, mais aussi, il faut le noter, désengagement d’Israël de la bande de Gaza, assassinat de Cheikh Yassine en 2004, puis prise de contrôle de Gaza par le Hamas et blocus complet du territoire par Israël à partir de 2007.

Conformément à cette stratégie, le traitement de Gaza sera ensuite très « particulier », s’apparentant plus à la gestion d’un camp de concentration de 2 millions de personnes (14) qu’à autre chose… Un médecin expliquait récemment que l’une des maladies les plus répandues dans le territoire est le cancer du sein chez les femmes, parce qu’Israël y a interdit l’importation du matériel de radiothérapie (15)….

Ainsi seront en place tous les ingrédients d’une politique israélienne qui, par-delà les « vicissitudes » du processus de paix, n’aura jamais cessé :

  • maintien du Hamas dans une position à la fois radicale et contrôlée, de telle sorte qu’il affaiblisse constamment l’autorité palestinienne,
  • « posture » du Hamas comme « ennemi islamique irréductible » d’Israël, telle qu’avec lui, il soit certain qu’aucune paix ne sera jamais possible (16), ni aucun accord pour une solution à deux Etats
  • enfin, utilisation de ce « conflit » pour, à la fois, masquer et justifier le véritable but : le vol des terres palestiniennes et la colonisation, une politique qui, il faut le remarquer, n’a jamais varié, même durant les négociations de paix (17)

Qui pouvait s’étonner de l’attaque du 7 Octobre ?

Aujourd’hui, après plus de 70 ans d’une stratégie folle et diabolique, patiemment poursuivie, le résultat est là : une situation politique devenue pratiquement ingérable, une tragédie sociale, avec des pauvretés immenses et des haines réciproques qui n’ont fait que grandir, et plus de 700.000 colons répartis dans les territoires palestiniens, formant des centaines de colonies, certaines « légales » (au regard du droit israélien), d’autres illégales, qui n’attendent que le moment d’être légalisées (18) et, au bout du compte, un risque mortel, à cause de cet appât du gain sans limite, pour la survie d’Israël lui-même. Et tout cela au mépris de toutes les règles internationales… Quel affreux gâchis !

En d’autres termes, à part aux yeux des naïfs dirigeants actuels, qui étaient persuadés d’avoir définitivement instrumentalisé la « marionnette » gazaouie, rien ne pouvait être moins étonnant pour les observateurs que cette réaction violente, un jour, du Hamas, comme si l’on pouvait penser qu’il suffisait de visser suffisamment fort une cocotte-minute pour empêcher, après avoir mis le feu dessous avec beaucoup de soin et très longtemps, qu’elle explose. Si Netanyahu a été trompé à ce point, c’est bien parce qu’il pensait que sa marionnette était trop affaiblie, trop bien achetée (19) ou trop bête pour lui échapper des mains. Par ailleurs, il pensait aussi, compte tenu de sa politique de colonisation maximaliste, que le risque d’explosion était au nord et non au sud. Quelle incroyable erreur d’appréciation !

Comme conclusion de cette partie, il convient de dire que :

  • mis à part en occident où il est imposé par la doxa, le discours justificateur d’Israël comme une « victime éternelle » n’est cru nulle part dans le reste du monde, et pas pour des raisons de « racisme » ou d’antisémitisme, mais parce que, nous l’avons montré, il est tout simplement faux. Personne d’autre que nous n’est dupe de ce « grand mensonge », même pas certains juifs ultra-orthodoxes qui considèrent que le sionisme est une trahison du judaïsme.
  • Par ailleurs, si l’attaque du 7 Octobre était certainement monstrueuse, il faut se demander qui sont les monstres qui ont enfanté de tels monstres. Il y en a de deux sortes : ceux qui ont conçu ce camp de concentration gazaoui et y ont enfermé, pendant 16 ans, des milliers d’enfants, jusqu’à en faire des fous de violence, et par ailleurs ceux qui ont lâchement détourné la tête et ont justifié les mensonges, c’est-à-dire nous-mêmes. Nous faisons donc partie des monstres au même titre que les têtes pensantes d’Israël et les tueurs de la rave party et des kibboutz.

En fin de compte, l’affaire semble compliquée, mais elle est en réalité assez simple : au départ, deux peuples et deux puissances se sont partagé la même terre. L’ONU a fixé les limites, mais depuis 70 ans, l’une des deux puissances occcupe et colonise la terre de l’autre. Là-dessus se greffe une vendetta qui n’a pas de fin. Si l’on essaye de démêler la vendetta, comme toujours, les choses sont inextricables. La seule solution consiste à revenir à la faute de départ. Celui qui a pris la terre doit la rendre, il n’y a pas d’autre issue.

Et maintenant ?

Il ne nous appartient pas ici d’analyser les chances de Tsahal de vaincre le Hamas, certainement très bien caché dans des galeries copieusement minées. Ce sera certainement très difficile. Nous ne savons pas non plus si les véritables plans israéliens consistent à forcer à l’exil la totalité de la population gazaouie, comme le suggère Seymour Hersch (20), ou bien si une issue négociée est possible, comme l’explique Malbrunot (21).

Il nous semble cependant pouvoir dire qu’aujourd’hui, Israël est dans une impasse, pour plusieurs raisons :

Israël a perdu la guerre médiatique

D’ores et déjà, on peut affirmer qu’Israël a perdu la guerre médiatique. Dans ce domaine, les images nouvelles effaçant les anciennes, c’est le dernier qui se montre comme une victime qui gagne. Et si, pourrait-on dire, Israël a su « mettre en scène » dès le début la souffrance de son peuple, aujourd’hui, les médias ne peuvent qu’être saturés par la souffrance des gazaouis, pour lesquels Israël a commis la faute, pour se justifier apres l’humiliation subie, d’annoncer « urbi et orbi » qu’ils allaient priver les civils gazaouis d’eau, d’élecricité, de nourriture et de soins. Or on ne pourra pas cacher les images de ce peuple en agonie. Le narratif « Israël, une victime qui se défend » ne tient plus. Et comme ni l’Egypte, ni la Jordanie n’accepteront d’ouvrir leurs portes pour accueillir 2 millions de plus de réfugiés, plus le conflit va durer (et il va durer !), plus l’agonie des gazaouis va pouvoir, à son tour, être « mise en scène ».

De plus, les pays occidentaux, aujourd’hui, sont beaucoup plus « arabisés » qu’autrefois. Il est de plus en plus difficile pour nos gouvernements d’adopter un discours trop pro-Israël et anti-palestinien. Ils sont obligés à un certain équilibre. Et par ailleurs, les pays du « sud » ne sont pas dupes du « grand mensonge » et sont largement pro-palestiniens, à l’exception notable de l’Inde, où Modi a bâti son unité sur l’anti-islamisme.

Enfin, pour les USA, qui sont sans doute satisfaits de revenir aujourd’hui « dans le jeu » (Netanyahu avait tenté de s’éloigner de Biden qu’il n’apprécie pas), il n’est sans doute pas utile d’être trop pro-israéliens. Bien sûr, en ce moment, ils ne peuvent pas lâcher leur allié. Mais la fracture Nord/Sud augmentant fortement du fait de la guerre ukrainienne (où la majorité des pays du sud suivent la Russie), il n’est pas bon pour les USA de se faire enfermer dans une posture trop « nordiste », où ils seraient isolés avec la pauvre Europe. S’ils ne veulent pas renouveler leur erreur ukrainienne (celle du soutien excessif à ce pays, dont ils pâtiront s’il est battu), s’ils veulent tenter d’affaiblir le mouvement des Brics et de la « dédollarisation » en cours, ils se doivent de rester un peu « centristes ». On peut penser qu’ils ne devraient pas pousser leur allié israélien à la surenchère, pour ne pas risquer, si les choses vont trop loin, une réprobation mondiale avec lui, qui les isolerait plus encore. Feront-ils ou non cette erreur ? S’ils agissent intelligemment, il se peut qu’ils ne le soutiennent pas autant qu’autrefois. Là aussi, le monde change.  

Pour Israël, cette bataille médiatique est donc sans issue.

Les choix stratégiques d’Israël

Israël se trouve, aujourd’hui, devant un choix stratégique fort important.

D’abord, remarquons-le, si Israel a perdu la face lors de cette attaque, celle-ci n’a pour autant pour ce pays (sauf si la contre-attaque était suffisamment brutale pour attirer dans le conflit les pays voisins) aucune importance stratégique. C’est bien pour cela qu’Israël a cru intelligent de maintenir le Hamas en vie pendant si longtemps. C’est parce qu’il sait que son adversaire n’a pas les ressources militaires pour le faire tomber. Il n’est pas une véritable menace pour Israël.

Par contre, si défaite stratégique il peut y avoir, c’est si cette contre-attaque israélienne détruit définitivement les efforts de rapprochement entrepris avec les pays arabes, à travers les accords d’Abraham (22), et en premier lieu avec l’Arabie saoudite. Car c’est là qu’est le véritable enjeu.

En effet, si l’on regarde les choses de haut, qu’a rapporté jusqu’ici la « posture » d’Israël comme « rempart du monde libre » imposée par l’occident, et d’abord par les USA ? En réalité, la désolation. Dans une telle perpective, Israël restera de plus en plus seul, proche d’un occident fortement en déclin, et loin du grand mouvement de développement de l’est et du sud impulsé par le « basculement du monde » et les BRICS, dont l’Arabie saoudite fait maintenant partie. On sait que Mohamed Ben Salman a d’immenses ambitions. Il veut transformer l’économie de son pays, pour faire du « vendeur de pétrole » qu’il est aujourd’hui un futur grand exportateur d’industrie et de services, en conservant chez lui les valeurs ajoutées de la transformation de son énergie. Et dans cette perspective, avec ses ingénieurs et chercheurs de haut niveau, Israël a toute sa place. Demain, le couple Israël-Arabie saoudite peut devenir le leader d’un Moyen Orient qui redémarre, et tirer toute la région vers la prospérité.

Mais pour ce faire, il faut que la sortie du conflit gazaoui soit « intelligente » et diplomatique, et qu’à la clef, un changement complet de politique soit imposé par rapport au problème palestinien, même s’il doit inclure des révisions « déchirantes » au sujet de la colonisation. En d’autres termes, il faudra revenir aux droits palestiniens de 1967. Le conflit gazaoui vient de montrer que rien ne se fera sans cela. Comme l’a déjà dit un expert israélien : « Il faut penser à l’après-Gaza, en coordination avec les pays arabes ». Dans cette courte phrase, tout est dit. 

Quel avenir possible ?

On comprend assez bien qu’aujourd’hui, Israël ne peut faire autre chose que de « laver l’affront », ne serait-ce que pour se justifier tant bien que mal vis-à-vis de son opinion furieuse. Mais combien de temps ? Et après ? « Eretz Israël » dans la misère et la guerre civile pour l’éternité, ou bien, renoncer au rêve religieux utopique et, en partageant la terre, gagner la prospérité avec les Brics pour 100 ans, dans la reconnaissance réciproque et la paix ? Quel sera le choix ? Aujourd’hui, l’argument de la haine des pays arabes pour Israël ne tient plus, les accords d’Abraham l’ont montré. Beaucoup de juifs, en Israël et dans le monde, sont scandalisés par ce qui se passe (23). Ils voudraient enfin une solution globale à ce conflit (24), qui aurait déjà été trouvée sans la folle politique de la droite israélienne depuis 20 ans. Si Charles de Gaulle avait si bien posé le problème depuis 1967 (25), c’est que les choses n’étaient pas si difficiles à comprendre. Et si le problème a si longtemps duré, c’est parce qu’on a fait semblant, et préféré lâchement les cacher. Ce temps aussi est terminé.

Une dernière chose est très importante à dire : aux yeux du monde presque entier que représente aujourd’hui le « sud global », l’occident s’est profondément discrédité par son hypocrisie, depuis la chute du mur en 1989, parce qu’il s’est drapé derrière le paravent de la vertu et de la démocratie, pour en réalité pratiquer une politique de mensonge et de conquête dont le sud ne veut plus. C’est le sens de leur choix de refus de la condamnation de la Russie dans la guerre ukrainienne, et aussi, d’une certaine façon, dans les « révolutions » africaines récentes. Dans ce processus tectonique de « libération » du sud, un règlement « humaniste » de la crise gazaouie par le nord (dont Israël est présenté comme le « dernier bastion ») représente peut-être la dernière chance pour le nord de conserver un peu de dignité aux yeux du sud. Si cette occasion est ratée, la fracture nord/sud sera irrémédiable, et un avenir très violent et très dangereux pour tous sera promis.

Paradoxalement, ce cruel conflit gazaoui, un de plus, porte peut-être en lui, si les hommes sont raisonnables de part et d’autre, une solution durable, la dernière, pour la paix. Derrière le drame, un espoir pour les palestiniens, enfin ? Pour Israël, une voie vers la reconnaissance et la prospérité ? (26)

« Si les hommes sont raisonnables… ». Toute la question est là.

François Martin

Voir aussi

  1. Encore du jus de cerveau qui à l’odeur des vieilles chaussettes. Imaginez : un capitaine qui analyserai tous les phénomènes qui ont créés l’ouragan le rendrai t’il plus habile à esquiver cet ouragan ?
    Peut-être, mais « en même temps (très à la mode en ce moment) preparer l’equipage à la tempête me semble opportun. Isn’t it ?(non je rigole)

  2. Démonstration brillante (comme d’habitude) de François Martin, d’autant plus qu’elle porte dans sa conclusion une formidable espérance, la possibilité d’une sortie de crise « par le haut ».

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici