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L’odyssée Chateaubriand

Par Valentin Gaure

Une tombe au bout du monde, seule contre le vertige de l’océan. Au sommet trône une croix, telle l’ancre tournée vers le mystère des cieux. Battue par les vents atalants, réchauffée parfois des feux inégaux du soleil breton, elle reste la fidèle vigie des éternités. Sic transit gloria mundi… Tout l’équilibre du monde repose sur le tombeau des ancêtres. Faut-il avoir vu de ses yeux les plaines de quatorze, les plages normandes aux sables battus par le sang, les champs vendéens qui pleurent en silence les crimes de la Révolution ? Terres sacrifiées qui chantent à jamais le requiem toujours renouvelé des tragédies humaines.

Dieu seul sait où tomberont en fracasse les foudres de la destinée. Sans doute un soir de gros temps se sont-elles abattues là, dans la beauté déchaînée de la cité malouine. Il faudrait demeurer seul, ici, à écouter le murmure de ces fougères baignées des sels du grand large, gardiennes fidèles de ce mausolée de pierre. Et voilà que soudain reviennent les prières mariales des aurores. Hymne des temps que le silence ravive dans la nuit des cimetières. Ceux qui ne fuient pas devant la mort peuvent l’entendre encore, dans la rumeur du lointain, comme le tocsin sublime d’un monde brisé par le crépuscule. Dans les contreforts de ce lit de granit, au bout, tout au bout de cette terre eurasiatique qui s’esquisse dans les glaces de Vladivostok pour ne s’achever qu’ici, dans l’étirement final de la péninsule armoricaine ; dort de son ultime sommeil le dernier chevalier des lettres françaises.

Son nom n’est gravé nulle part, comme si le temps l’avait effacé de son œuvre pernicieuse. Anonymat d’un éternel repos qui n’est que d’apparat ; puisque sans cesse troublé par l’infinie cohorte des pèlerins qui, à marée basse, s’avancent en procession de Saint-Malo vers cette île du Grand Bé. Il faut les voir cheminer de leurs pas malhabiles sur la plage du Bon-Secours, toute encore marquée du souvenir humide des hautes-eaux. Il faut les voir aussi, se rassembler en une foule disparate autour de cette stèle très chrétienne qui pourtant, par bien des aspects, rappelle les temples païens qui jalonnent comme des flambeaux mal-éteints la lande désolée des vieilles terres celtes.

« Un grand écrivain français a voulu reposer ici pour n’y entendre que la mer et le vent. Passant : respecte sa dernière volonté »

Seuls ces mots gravés dans une pierre apparente, toute proche de la tombe, donnent quelques indices aux voyageurs perdus. Chateaubriand, puisqu’il s’agit de lui, se cache dans les draps d’une apparente modestie post-mortem, qui, plus que tout le reste, renforce sa grandeur. N’écrivait-il pas, sous le faux air du bon mot : « Je ne suis pas de droite, je ne suis pas de gauche : je suis au plafond ». Le breton n’ignorait rien de son génie. L’auteur des Mémoires d’Outre-Tombe n’aura de cesse que de glorifier sa mort au point d’en faire l’apothéose de sa vie. Toute sa légende repose là. Dans cette espèce de sursaut innommable vers l’origine du monde.

Lui qui vint à l’existence sous les hospices d’une nuit de tempête, dans une noble demeure médiévale, à l’ombre des remparts de la cité corsaire ; repose pour toujours à quelques dizaines de mètres de sa maison natale. De la naissance au trépas passent et reviennent d’étranges soliloques aux airs de réminiscence… L’enfance bretonne, l’arrivée à Paris, les feux révolutionnaires, la mort du roi, l’exil forcé, la découverte de l’Amérique, le duel feutré puis féroce avec Napoléon, les déserts de Judée, les caves du Vatican, les oraisons amoureuses, les furies littéraires, les hurlements de la politique, le silence de la Vallée aux Loups, l’immanence des flammes de la foi et jusqu’au tout dernier coucher de soleil…

De Saint-Malo à Saint-Malo en passant par toutes les gloires du monde. Sorte d’éternel retour avant la lettre qui donne finalement raison à l’un de ses plus grands lecteurs, Charles de Gaulle, qui écrivit naguère dans ses Mémoires d’Espoir ce précepte indomptable que l’existence se fait un point d’honneur à vérifier sans cesse : « Tout recommence toujours ».

Valentin Gaure

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