0,00 EUR

Votre panier est vide.

Afghanistan : pour qui sonne le glas

Par Valentin Gaure

« Tu as dit la vérité, saute sur ton cheval et cravache! ». Proverbe afghan

J’ai rencontré l’Afghanistan vers mes quinze ans, guidé comme souvent par les seules étoiles de la littérature. Les Cavaliers de Kessel. Sublime roman où des chevaliers du désert s’affrontent et se confrontent dans une épopée flamboyante au travers d’un pays perdu dans le sillage de sa propre légende. En toile de fond, il y avait le Bouzkachi, ce sport équestre des seigneurs, ce terrible jeu de la violence, cette tradition vieille de cinq-mille ans, ce cantique de la fatalité. Son principe est la simplicité du couperet. Des cavaliers par centaines s’élancent à une vitesse terrible sur des terres arides. Chacun n’a qu’un rêve : s’emparer de la carcasse de chèvre qui gît au milieu du cercle central. Celui qui y parvient d’un effort héroïque doit ensuite ramener son étrange trésor à plus de deux kilomètres de là. Charge à la centaine de ses compétiteurs de le défaire en le renversant de son destrier à l’aide de fouets. Cette compétition ne se connaît pas d’arbitre ; sinon la mort elle-même. Il faut imaginer Kessel, les yeux ébahis par le spectacle de cette compétition à l’envoûtante brutalité.

Faut-il rappeler à nous, en ces heures noires pour le peuple afghan, ce terrible chant des origines ? Alors que les armées de Washington, suivies par l’Occident tout entier, fuient Kaboul dans la valse aérienne du déshonneur ; je pense encore à ces visages lointains.

Je pense aux traducteurs de l’armée afghane, partenaires abandonnés par mon pays la France, laissés seuls face à la menace talibane. Pauvres soldats, fidèles serviteurs d’un peuple orphelin. Leurs alliés s’envolent grâce aux avions qui se succèdent. Quant à leur président, prétendu chef des armées, Ashraf Ghani, il s’est lui aussi fait la malle. Exilé vers une destination inconnue, cet homme laisse les clefs de la nation à un groupe de fanatiques tout droit évadés de la boîte de Pandore. Étrange délitement des armées qui ne veulent plus combattre.

Je pense aux jeunes filles de ce pays étouffé par le sable et le sang : pauvres d’elles qui n’auront plus bientôt le droit si premier de se rendre le matin sous les pré-hauts de tôle qui abritent leurs écoles. Bientôt  »esclaves des chiens » ; elles seront recouvertes – comme les statues antiques – de voiles noirs et bleus. Images glaçantes de ces silhouettes fantomatiques perdues dans les rues d’un monde barbare que la civilisation déserte. Si souvent violées, violentées, affamées, elles n’auront plus pour elles que la seule compagnie du dernier silence.

Je pense aux étudiants et aux intellectuels qui, à Kaboul et ailleurs, ont eu le grand malheur d’ouvrir les livres interdits. Lu dans Le Monde de ce soir, le bouleversant témoignage de Ghazal Glshiri, journaliste exfiltrée en urgence – là encore par les airs : « Je suis dans l’avion. Un jeune afghan, brillant, étudiant en droit et réfugié à Kaboul après avoir fui les combats à Takhar m’écrit : « Bon voyage : moi je mourrais peut-être ».

Ce qui reste

Il faut désormais se poser la seule question véritablement politique. Elle tient en deux mots : que faire ? Devant le désastre de la déperdition, toute perspective militaire doit bien entendu être écartée. Nous vivons en ce jour la fin d’une époque que nous ne regretterons pas. Celle du tragique défilé des interventions américaines, du prétendu « droit d’ingérence » chanté en France par tous les bardes de la White House, de Kouchner à Cohn-Bendit. Voilà les Américains rendus à leur habituel isolationnisme. Une stratégie bien pratique lorsque deux océans vous tiennent à l’écart des dangers immédiats du monde, telles deux lignes Maginot des abysses. L’attitude du septuagénaire Biden est surprenante ; lui, jadis sénateur belliqueux, ardent soutien de la folle guerre d’Irak, semble désormais s’être éloigné des préceptes de Bush-fils. Le voilà plus proche sans doute de l’antique attitude de Ponce Pilate… Le malheur afghan, il s’en lave les mains. N’est-ce pas lui pourtant, aidé de ses soldats de plomb, qui a fait surgir le diable de sa boîte ? Son unique problème, nous apprennent les médias de la côte Est, concerne désormais le rapatriement de ses compatriotes, qu’il feint d’organiser lui-même depuis la cellule de crise de Camp David. Le voilà condamné à constater à la télévision la fin d’un monde dont il fut l’acteur. Alors que les Talibans s’emparaient dimanche quinze août du palais présidentiel de Kaboul, un barbu féroce s’installait dans le grand fauteuil du chef. C’était un ancien détenu de Guantánamo. Dernier sursaut de l’immondice.

Que faire donc, puisqu’il n’est plus l’heure de combattre ? Et bien les issues ne sont pas glorieuses. Gardons-nous pour une fois des fièvres lyriques. Non, nous ne pourrons pas sauver l’Afghanistan des foudres talibanes. La vie n’est pas une série américaine. Sans doute, les chancelleries occidentales n’ont elles plus qu’à tenter de négocier en sous-main, à Doha ou ailleurs, avec le régime nouveau. Ces paysans pachtounes aux airs de fous d’Allah ont promis aux Américains, avant que ces derniers ne fassent leurs adieux à Kaboul, de faire preuve d’humanité. Damned ! Il reste à espérer que nous pourrons parvenir à bâtir un corridor humanitaire pour conduire les intellectuels dissidents, certains des soldats de l’armée régulière, le plus de femmes et d’enfants possibles, en dehors des griffes malsaines de l’islam frelaté. Rien ne peut le garantir.

Le Premier ministre Johnson affrontera cette semaine la Chambre des Communes. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies étudiera sans doute la question afghane « avec la plus grande attention ». Le Président Macron s’enivrera de ses formules creuses depuis Brégançon. On agitera les bras, on froncera les sourcils, on fera des promesses et on lancera de grands appels mondiaux, universaux, intersidéraux qui sait. En l’espèce, cela ne sert qu’à la parure. Seuls nos services de renseignement et nos actions souterraines nous permettront désormais de retrouver quelques marges de manœuvre. Il nous faudra aussi, si nous voulons vraiment obtenir un résultat, dialoguer avec la Chine, la Russie, l’Inde et le Pakistan. Quatre nations décisives.

Et puis il reste à regarder notre ciel et d’y espérer une réponse.
Pour qui sonne le glas ?

Valentin Gaure

© AREF KARIMI – AFP

Voir aussi

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici