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Vivre dans la vérité

Par Francis Jubert

Contrairement à un Éric Zemmour qui a su trouver les mots justes sur sa chaîne YouTube pour souhaiter un joyeux Noël à tous les Français en insistant tout particulièrement sur la tragédie que vivent les chrétiens d’Orient, le président Macron a, quant à lui, préféré alimenter le dossier de Noël de L’Express consacré à « Dieu et la science » en précisant sa pensée sur une forme de laïcité qui rend possible la cohabitation à laquelle il veut croire de la rationalité et de la spiritualité.

Dans ce texte au titre évocateur, « Réenchanter le monde », écrit spécialement pour L’Express, on reste dans la logique du discours prononcé par le Président au Collège des Bernardins en avril 2018 devant les évêques de France et leurs invités sur les liens entre la République et l’Eglise qui, leur avait-t-il alors dit, devait s’en tenir au « questionnement » et renoncer à toute forme d’injonction contraire à la « laïcité de coopération » qu’il entend promouvoir entre elles. 

Au lendemain de l’adresse faite par le Président aux catholiques, l’abbé Grosjean avait cru bon de faire observer que « c’est aussi la mission de l’Église de rappeler qu’il y a des repères éthiques fondamentaux qui ne se négocient pas, sous peine de fragiliser ces « digues d’humanité » qui protègent les plus fragiles ou les plus petits. La France fait de même, rappelait-il, quand elle défend les droits de l’homme dans le monde. Il y a des droits qui ne se questionnent pas ! »

Mais passons. Ce qui questionne cette fois le Président, c’est la montée du complotisme dont « l’intégrisme religieux avec ses explications totalisantes » n’est à ses yeux qu’un avatar. Ce qui le préoccupe au plus haut point, c’est la remise en cause du discours scientifique qui perd de son aura et se voit remisé au rang de simple avis, l’émergence de discours qui privilégient « la croyance sur le savoir ».

Ce que l’on retiendra surtout de ce texte, c’est la conception du réel qui est celle d’Emmanuel Macron philosophe. Le Président a voulu partager sa conception épistémologique de la vérité avec les lecteurs de l’Express, et à travers eux avec tous les Français, espérant sans doute les convaincre de s’en imprégner pour mieux les gagner à la modernité. Il est « nécessaire, écrit-il, d’agir pour que la science demeure un idéal et une méthode, que le ‘vrai’ retrouve ce statut d’évidence lumineuse que décrivait Descartes ». 

Cette référence à l’auteur du Discours de la méthode ne doit rien au hasard. Les Français ont toujours été sensibles à cette idée d’une vérité immédiate se présentant à l’esprit avec la clarté de l’évidence (communicable comme telle : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement »), sorte d’illumination acquise sans trop de peine parce que relevant de l’intuition et non aboutissement d’un travail laborieux de l’intelligence aspirant à comprendre la complexité du réel par itérations successives. 

S’il est sensible comme ses concitoyens à la méthode cartésienne, Emmanuel Macron l’est davantage au stratagème de Descartes qui a jugé opportun de s’avancer masqué pour pouvoir mieux subvertir la pensée (scolastique) de son temps. Il va pour sa part se retrancher derrière les travaux de Gaston Bachelard pour mieux défendre « l’esprit scientifique » caractérisé par ce dernier comme « la faculté à se défaire de l’expérience commune » – c’était déjà l’intention de Descartes – et par cette idée que « rien ne va de soi, rien n’est donné, tout est construit » : les objets de la « vraie » science, loin d’être abstraits de la richesse du concret comme le sont ceux des sciences d’observation naturelle, sont des « abstraits-concrets » . 

On ne s’étonnera dès lors pas de voir en quelle estime le Président tient le collectif d’experts réunis au sein de la « commission Lumières » qu’il a installée le 29 septembre 2021. Il faudra entendre « ce que dit le consensus scientifique ». Une injonction digne de son Premier ministre. Eux seuls, au motif qu’ils ont fait leur l’idée bachelardienne de rupture épistémologique, ont rompu avec le monde des « choses » et de leur représentation ordinaire, seraient capables de « faire reculer le complotisme ». 

Les disputes actuelles autour de la question des vaccins et de leur efficacité montrent bien qu’une simple « revue de littérature » ne suffit pas à elle seule à créer un consensus de place. Et pourtant, ce sont ces fameuses revues qui tiennent lieu dans le milieu médical de vérité, ce que l’on appelle l’Evidence Based Medecine (EBM), socle conceptuel de la médecine factuelle opposée à la médecine dite d’observation, celle des praticiens de terrain confrontés au réel.

Ne sont-ce pas plutôt ces cliniciens expérimentés qui ont cette « culture des faits » si chère au Président qui, ne lui en déplaise, sont les vrais champions de la vérité ?  Ils se sont appropriés sans en être nécessairement conscients cette définition aboutie de la vérité (« adaequatio rei et intellectus » Thomas d’Aquin) que l’on retrouve dans le livre de Guillaume Peltier Milieu de cordée, dédié précisément à ceux qui entendent comme lui réfuter les idéologies « En Marche ». 

Si nous voulons vivre dans la vérité comme nous y invite Vaclav Havel dans un texte publié en 1984, La politique et la conscience, nous devons nous opposer au mensonge qui structure notre société : « Tous ceux qui vivent présentement dans le mensonge peuvent à tout moment – du moins théoriquement – être atteints par la force de la vérité». 

A l’exemple des dissidents d’hier saurons-nous, oserons-nous déconstruire ces mensonge d’Etat et détrôner ceux qui font de la pseudo-science une religion dont il est interdit de critiquer les certitudes dogmatiques ?

L’année 2022 s’annonce décisive de ce point de vue. Bonne année et, surtout, bon courage !

Francis Jubert

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