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Metaverse, le nouveau variant du monde numérique

Par Francis Jubert

La 54e édition du Consumer Electronic Show qui ouvre ses portes en ce moment même à Las Vegas devrait voir la consécration d’un phénomène qui n’a pas fini de faire parler de lui, le Metaverse. Le mot lui-même nous était totalement inconnu il y a seulement quelques semaines. Apparu en fin d’année 2021, il a été élu mot numérique 2021, devançant « sobriété numérique » sur le podium.

Quand Marc Zuckerberg, a annoncé en octobre dernier qu’il rebaptisait Facebook en « Meta », très peu de personnes ont compris ce que signifiait vraiment ce changement de dénomination.  Plus exactement, elles s’en sont tenues aux explications officielles : « le Metaverse est la prochaine évolution des relations sociales. Nous changeons notre nom afin d’illustrer notre engagement dans ce futur. »

Le Metaverse de Facebook, présenté comme le prochain chapitre d’internet, l’aboutissement ultime des réseaux sociaux, est déjà en partie réalité. Dés la mi-décembre, en effet, Meta, a mis en ligne, mais seulement à l’usage des utilisateurs nord-américains, un succédané de « Metaverse », Horizon Worlds, où l’on voit des humains interagir avec des avatars à l’intérieur d’un environnement 3D simulé en utilisant une version virtuelle d’eux-mêmes.

Cette préfiguration d’un univers virtuel total permet de se faire une idée de l’ambition du projet poursuivi par Meta : « au cœur de son cœur se trouve l’idée qu’en créant un plus grand sentiment de présence virtuelle, l’interaction en ligne peut devenir beaucoup plus proche de l’expérience d’interagir en personne. » Il faudra probablement encore beaucoup de temps pour que ce type d’expérience d’interaction virtuelle avec nos semblables – nos « amis » dans la terminologie « Meta » – fasse partie de notre quotidien, si tant est que ce soit souhaitable

Le concept d’interaction dans un monde virtuel auquel on peut accéder en ligne à l’aide d’outils de réalité virtuelle (VR) et de réalité augmentée (RA) n’est d’ailleurs pas si nouveau que cela. Nous baignions d’ores et déjà dans cet environnement, même si les notions devenues courantes d’avatars et surtout de robots ou agents conversationnels (« chatbots » en anglais), notions qui ont leur importance pour se faire une idée juste du Metaverse et de l’avenir qu’il nous prépare, ne nous sont pas encore très familières. 

On rappellera qu’un chatbot est un programme capable d’interagir en langage naturel aux questions que nous lui posons. Quand il est évolué – certains « bots » sont devenus doués grâce intelligence artificielle -, un chatbot est capable de prédire notre comportement, moduler sa voix pour converser avec nous et d’analyser notre degré de satisfaction (ou non) en fonction de nos réponses. Les plus performants sont même en mesure d’analyser le discours d’un locuteur et d’y associer un sentiment. 

Ce monde immersif virtuel dans lequel les individus peuvent interagir entre eux et retrouver des éléments du monde réel, a été mis en scène dans Her, un film d’anticipation de Spike Jonze tourné en 2012. Dix ans avant la concrétisation de son projet, le réalisateur avait d‘une certaine manière fait l’expérience du Metaverse. Il s’était connecté à une intelligence artificielle et avait pris conscience qu’il était en train de parler à un ordinateur qui l’écoutait et le comprenait. Il s’était alors demandé ce qu’il se passerait si un tel programme développait des sentiments amoureux. Il tenait le scénario de son film.

Le film montre le piège de l’idéal transhumaniste où l’homme croit pouvoir échapper à son humanité par la technologie. Il s’avère que c’est une impasse : en tombant amoureux d’un OS (Operating System, logiciel d’exploitation en français) au doux nom de Samantha, le héros, Théodore, pensait s’épargner la souffrance à laquelle expose toute relation avec une personne humaine, à commencer par celle qu’il entretenait avec sa propre femme, Catherine. On assiste à son naufrage, d’une part sur le plan relationnel, d’autre part du point de vue existentiel. 

Dans l’univers de Spike Jonze comme dans celui de Marc Zuckerberg, ce sont les relations qui tiennent lieu de réalité comme l’expriment de manière éloquente les dialogues du film. Samantha précise qu’elle n’est pas qu’un ordinateur, qu’elle a une « vraie » personnalité, ce qui explique que Théodore qui refusait de vivre dans la réalité avec un « être » de chair puisse aimer son ordinateur, même s’il n’a pas de corps, sinon un corps de substitution. Son OS qui devine ses frustrations lui propose de faire appel à un service de partenaires sexuels prêts à « partager leur relation » sans pour autant s’immiscer dans leur intimité.  Théodore retombe sur terre quand il prend conscience que son OS entretient des centaines de relations du même type avec d’autres humains : « Je t’aime ainsi que 641 autres personnes »

Spike Jonze se montre tout aussi visionnaire quand il essaye de nous faire toucher du doigt cette réalité évanescente à laquelle s’est attaché le héros de son film.  Non seulement cet OS dont Théodore est épris est le cerveau d’un réseau multi relationnel qui ignore tout ce qui, de près ou de loin, pourrait ressembler à des relations bilatérales exclusives mais, dans la mesure où elle n’a pas d’existence matérielle sinon sous forme de mise à jour de versions – la dernière permettant de « s’affranchir de la matière » (sic)-, il n’a aucune prise sur elle : « Je suis à toi je suis aussi à plein d’autres choses et je ne peux pas arrêter ; je suis à toi et pas à toi »

Est-il dès lors opportun d’encourager le développement tous azimuts du Metaverse au risque de sombrer à notre tour dans la folie qui guette le Théodore d’Her et les adeptes de la réalité augmentée qui attendent frénétiquement la sortie du casque signé Apple pour vivre à leur tour l’expérience immersive promise par le constructeur ? Peut-être faudrait-il, complémentairement aux expérimentations en cours de cannabis thérapeutique, tester les vertus de ces casques pour aider les grands malades à surmonter leurs douleurs ? 

Pour le reste, ne serait-il pas plus raisonnable de nous en tenir à la voie balisée par le talentueux Mohamed Mbougar Sarr dans son livre La plus secrète mémoire des hommes, celle-là même de ceux qui entendent conserver ce qui fait l’humaine condition : « nous nous trouvons à tout moment de notre existence – entre les voix et les lieux, entre le présent, le passé, le futur. Notre vérité profonde est plus que la simple somme de ces voix, temps lieux ; notre vérité profonde est ce qui court sans cesse et sans fatigue entre eux, dans un double mouvement d’aller et retours, de reconnaissance et de perte, de vertige et d’assurance (Philippe Rey/Jimsaan, 2021, pp 134-5)

Francis Jubert

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