0,00 EUR

Votre panier est vide.

Un traître et le néant

Par Patrick Pommier

Après «Sarko m’a tuer» en 2011 et «Un président ne devrait pas dire ça…» en 2016, les deux journalistes du Monde publient un livre-enquête accablant sur Emmanuel Macron : fourmillant de révélations, qu’elles émanent de ses opposants, ou de ses alliés les plus proches, c’est un réquisitoire terrible. Plus de 110 témoins se livrent librement et crûment, certains confiant même leurs documents personnels. Après avoir révélé les dessous de la conquête de l’Élysée, Gérard Davet et Fabrice Lhomme racontent l’exercice du pouvoir solitaire par un homme éperdu de lui-même, et sa quête toujours vaine d’une idéologie à travers des entretiens et des anecdotes-clefs, avant de conclure, cruels : « La trahison a enfanté le néant ».

Quel réquisitoire ! Dans Le traître et le néant, les deux journalistes du Monde dressent un portrait très instruit et à charge d’Emmanuel Macron. Le président, qui fut un acteur décisif de la vente du groupe Français Alstom à General Electric, mit tout en oeuvre pour faire oublier un dossier devenu, depuis, une affaire d’Etat, en grande partie grâce au député LR Olivier Marleix. Au fil de ses investigations, Marleix a découvert qu’au delà de l’affaire Alstom, de nombreuses ventes ont semblablement été organisées par Emmanuel Macron. Allant plus loin, il affirme même qu’un tel système peut être interprété comme « un pacte de corruption » lors du financement de la campagne présidentielle… Pour Philippe de Villiers, Emmanuel Macron aurait tenté d’acheter le silence du chef d’État-major des armées. Au lendemain de l’épisode du 14 juillet 2017, Emmanuel Macron se ravisa et dit au général Pierre de Villiers : « Il faut rester, mais si vous partez, je vous nommerai dans un poste qui vous permettrait d’avoir, en termes d’émolument, … etc… » et il répondit : « Monsieur le Président, ma décision était prise, mais là, vous venez de franchir la ligne rouge, parce que vous ignorez tout de ce que je suis et de ce qu’est ma famille. Nous sommes une vieille famille de chevaliers français. Et donc, là, vous venez de m’insulter… ».

Au-delà, plus fondamentalement, Philippe de Villiers détaille à Davet et Lhomme sa vision de la relation complexe qu’il entretint d’abord avec un ministre séducteur, puis avec le président du « ni de gauche, ni de droite », reconnaissant in fine qu’« Emmanuel Macron a tombé le masque et n’a pas de goût pour la France ; que nous sommes gouvernés par une bande d’amateurs et vivons en Absurdistan ». C’est « l’affaire Covid » qui mit un terme à leur relation, un temps faite de respect pour l’entrepreneur culturel d’un côté, pour la fonction présidentielle de l’autre… Plus éclairante encore, la «trahison» du 16 novembre 2016, narrée dans les menus détails par François Hollande, Manuel Valls, Stéphane Le Foll, Gaspard Gantzer, Olivier Faure : la transformation du ministre de l’Economie en candidat à la présidence de la République s’est faite par « le non-dit et la duperie ». Emmanuel Macron, pendant des mois, lance des signaux faibles, mais dès lors qu’il est sommé de s’expliquer, noie le poisson, selon les échanges rapportés avant son départ de Bercy. François Hollande fait le bilan du macronisme et de la désintégration du paysage gauche-droite habituel. Et comme toujours, il ne retient pas ses mots : « Il y a un mécontentement sourd qui est là ; mais comme il n’y a pas de débouché politique… on est dans le néant… Emmanuel Macron n’est rien, c’est un déguisement successif, un transformiste ! À court terme, c’est une habileté, et un tempérament. Mais à long terme, c’est destructeur. » Pierre Person, pourtant l’un des fidèles du départ (il fonda les Jeunes avec Macron, avant même la création d’En Marche, participa aux campagnes présidentielles et législatives comme conseiller politique, puis membre du bureau exécutif du parti), pièce maîtresse de la macronie, jusqu’en septembre 2020, déplore que le mouvement ne produise plus d’idées nouvelles, que le parti délaisse les marcheurs, et se montre dur : « Arrivés à l’Assemblée nationale, considérée comme une chambre d’enregistrement, on était absolument arrogants », reconnaît-il notamment, donnant ainsi raison aux critiques des différentes oppositions tout au long du mandat. Et d’ajouter : « Parce qu’il y a un réflexe de sur-loyauté à l’égard du président, penser peut être considéré comme étant déloyal. ».

Aujourd’hui, les macronistes rejoignent l’opposition sur un point : l’effervescence de la campagne et l’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron n’auront pas permis de créer un véritable parti qui le soutienne. Une fois les élections législatives passées, la vie de La République en Marche a été parcourue de départs, de défaites électorales, liées à un soutien aveugle à la ligne dictée par Emmanuel Macron. Le sénateur LREM François Patriat explique simplement qu’ « Emmanuel Macron n’aime pas les partis, ne voulait pas de parti, si bien que sa vision, c’est une équipe autour de lui. Donc on a un mouvement qui n’a pas de réalité ; pour les gens, LREM, c’est rien ». Beau souci en perspective pour les élections de juin ! François Bayrou développe également une analyse sans retenue : « Un parti politique, c’est quatre choses : une doctrine ; une affectio societatis ; un enracinement ; un leader. Si vous n’avez pas les quatre, vous tombez ». Le président du Modem s’attend-t-il à une chute de son allié ? « On n’a pas cherché à développer une matrice idéologique », recon-naît Aurore Bergé. Elle poursuit : « Je sais bien qu’il n’y a pas de parti, c’est pour ça, d’ailleurs, que j’en ai quitté la direction à la rentrée 2020, parce que j’ai considéré que ça n’avait pas vraiment de sens de créer une idéologie avec une formation constituée de personnes venant de différents courants de gauche et de droite». Et Marlène Schiappa de conclure également avec lucidité sur l’avenir du macronisme : « Il n’y a personne derrière, c’est-à-dire que le jour où le président s’en ira, il n’y aura personne, dans notre camp, pour être président à sa place ». Laissons le coup de grâce à Pierre Moscovici : « Les Français ne l’aiment pas et il ne les connaît pas ». (Fayard, 2021, 629 pages)

Patrick Pommier

Voir aussi

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici