Entretien de Paul-Marie Coûteaux avec Charles Gave, président de l’Institut des Libertés
Président de l’Institut des Libertés, centre de réflexion qu’il a fondé en 2012 pour « rééduquer les citoyens endoctrinés par le socialisme », Charles Gave a d’abord mené une brillante carrière de conseiller en investissement qui lui permet de connaître parfaitement les mécanismes financiers internationaux. Après avoir vécu dans plusieurs métropoles mondiales, il se fixe à Paris, publie plusieurs essais (dont le célèbre Des lions menés par des ânes, préface de Milton Friedman – éd. Robert Laffont, 2003, puis Libéral, mais non Coupable – François Bourin, 2009) et devient l’un des analystes les plus en vue des évolutions économiques et politiques mondiales, mais aussi un acteur influent de la vie politique française – il soutient tour à tour Nicolas Dupont-Aignan puis Eric Zemmour. Qu’il intervienne sur la chaîne U-Tube de l’Institut des Libertés ou de nombreux autres médias, ce partisan déterminé de l’Union des droites, exemple parfait de libéral-conservateur assumé, ravit ses auditeurs par l’acuité de ses formules toujours pédagogiques et souvent prémonitoires. Il passe ici en revue les croissantes faiblesses d’un pays dont il connait bien la classe politique, les Etats-Unis, ce qui le conduit à des analyses originales sur la présidence Biden aussi bien que sur la guerre en Ukraine ou l’avenir si incertain du monde occidental. (précisons que cet entretien a été réalisé le 10 février, bien avant l’intervention russe en Ukraine).
Intronisé en janvier 2021, le Président Biden a déjà accompli plus du quart de son mandat. Peut-on d’ores et déjà en dresser un bilan ? Qu’en retenez-vous pour votre part, et comment estimez-vous que les citoyens états-uniens le jugent ?
Le bilan est désastreux, et dans tous les domaines. Mais je voudrais poser une question liminaire : je ne sais pas qui exerce vraiment le pouvoir aux USA : Biden, dont tout le monde me dit qu’il est gâteux, ou une espèce de cabinet noir rempli de créatures de l’ombre ? Je crains que ce ne soit la deuxième hypothèse qui soit la bonne. Quoi qu’il en soit, voici mon jugement, d’abord dans le domaine des relations internationales. La déroute en Afghanistan pèse lourd et elle a été comparée à juste titre au désastre Vietnamien. Impréparation manifeste (abandon de la base de Bagram qui aurait dû être quittée en dernier pour des raisons logistiques de contrôle des routes, abandon de milliards de dollars de matériel militaire sur place, scènes de panique à l’aéroport de Kaboul, abandon de ceux qui avaient soutenu les USA sur place et qui depuis ont été fusillés, rien ne manque au tableau. Viennent ensuite les relations avec la Russie, où l’on a vraiment l’impression que le Président Biden joue à la belotte tandis que Poutine joue aux échecs. Contrairement à ce que recommandait Theodore Roosevelt pour la diplomatie américaine, « parler tout doucement à l’oreille de ceux avec qui l’on veut discuter et porter une très grosse massue », M. Biden hurle dans un portevoix et n’a qu’un cure dents pour toute arme, ce qui fait que la Russie va l’emporter sur toute la ligne – que dis-je, l’a déjà emporté. En ce qui concerne les relations avec l’Europe, elles sont complètement dominées par la situation catastrophique de l’Allemagne dans le domaine énergétique après l’abandon du nucléaire par Mme Merkel. Sans North Stream 2 (le pipeline reliant la Russie à l’Allemagne sans passer par l’Ukraine), l’industrie allemande va soit s’arrêter, soit devoir brûler du charbon. North Stream 2 sera donc ouvert en juin, et l’Allemagne ne pourra plus jamais dire non à la Russie, ce qui, à terme, condamne l’Otan. Quant aux relations avec la Chine, pendant que tout le monde se fait du souci à propos de Taïwan, le gouvernement Chinois accélère l’arrivée du Yuan numérique pour arriver enfin à la « dédollarisation » de l’Asie à laquelle il travaille depuis la grande crise financière de 2008-2009. Le privilège impérial du dollar (payer les importations américaines en imprimant des dollars) est donc en voie de disparaitre… Bref, depuis Jimmy Carter, jamais les USA n’avaient perdu autant de crédibilité en aussi peu de temps. Le problème est bien sûr que, quand le Sheriff ne fait peur à personne, les mauvais garçons s’en donnent à cœur joie… Pour ce qui est de la situation politique intérieure, la situation est tout aussi mauvaise. Le Président Biden, qui dispose d’une très faible majorité à la Chambre des Représentants, qu’il va sans doute perdre en Novembre prochain, et d’aucune majorité au Sénat (50/50, la vice-Présidente Kamala Harris votant pour assurer la majorité), a suivi une politique d’assaut frontal contre les Républicains en s’appuyant sur la partie la plus à gauche du parti démocrate, ce qui a pour effet d’aliéner tous les indépendants, ceux qui sont ni Républicains ni Démocrates. Du coup, sa popularité est la plus basse qu’un Président ait connu après un an de mandat. La criminalité est repartie à la hausse comme jamais dans toutes les grandes villes démocrates puisque la Police est l’ennemie, tandis que les Etats Républicains ont refusé de mettre en œuvre les politiques anti-Covid préconisées par l’Administration – et les morts y sont beaucoup moins nombreux que dans les Etats Démocrates, ce qui n’arrange rien… Quant à l’économie, le prix de l’essence ne cesse de monter (ce qui rend les plus pauvres ivres de rage) puisque la première décision de Biden fut d’interdire l’ouverture du pipeline pétrolier avec le Canada, ce qui force les Canadiens à vendre leur pétrole à la Chine, et bien moins cher : brillante réussite ! Parallèlement, le déficit budgétaire a explosé à la hausse en même temps que la dette et l’inflation est repartie comme jamais depuis trente ans ce qui n’est guère surprenant. Sur tous les dollars imprimés depuis deux siècles, 80 % ont été imprimés dans les 5 dernières années. Et les économistes s’étonnent que les prix montent ! Comme l’a dit l’ex-Président Obama en parlant de Biden: « Il n’y a pas de situation favorable que Joe ne puisse foutre en l’air »…
Vous connaissez bien la société nord-américaine ; on observe de toutes parts que les rapports sociaux se tendent, certains estimant même, au vu d’un croissant ensauvagement de certaines villes, du moins dans certains quartiers, qu’elle pourrait glisser vers la guerre civile : est-ce à votre avis exagéré, ou réaliste ?
Voilà qui est loin d’être un problème uniquement américain. On le retrouve au Canada, en France, en Grande-Bretagne, etc. Nos sociétés sont en train de se scinder entre ceux qui vivent dans les villes dans un monde virtuel, et ceux qui vivent ailleurs dans le monde réel. Le pouvoir politique est exercé par ceux qui vivent dans les villes : ceux-là pensent que les autres sont des gros incompétents qui n’ont rien compris aux subtilités du monde virtuel. Mais si les rats des champs cessent de livrer la nourriture aux rats des villes, il est à craindre que ces derniers ne reprennent contact durement avec la réalité… Guerre civile, je ne crois pas, ou à tout le moins elle ne durerait pas longtemps si elle devait avoir lieu, entre d’un côté des paysans et des routiers et de l’autre des geeks habitant chez leurs parents à 35 ans. A mon avis, le pouvoir d’achat des geeks (les « branchés ») va beaucoup baisser dans les années à venir tandis que le pouvoir d’achat de ceux qui travaillent vraiment devrait croître fortement, surtout si les problèmes liés à l’immigration sont réglés. Car, c’est chez les immigrés que les branchés trouvent leurs domestiques à bon marché, et ce sont ces mêmes immigrés qui font baisser les salaires des rats des champs. Si les rats des champs reprennent le contrôle du système politique, les temps vont devenir durs pour les branchés des villes, dont beaucoup vivent de subventions étatiques dans les médias, les arts, l’événementiel, etc.
Vous vous êtes intéressé à la personnalité de Donald Trump. Quel bilan feriez-vous de son mandat ? Pensez-vous, comme certains le croient, qu’il puisse être réélu en 2024 ?
Le slogan électoral de Donald Trump était clair et simple : il allait nettoyer le marais pestilentiel qu’est devenu Washington. Pour cela, il aurait fallu que Trump prenne immédiatement et brutalement le contrôle du ministère de la Justice et donc du FBI, de la CIA, nettoie au Kärcher le Pentagone et le ministère des Affaires Étrangères, bref, qu’il décapite l’Etat Profond dès son arrivée à la maison blanche. Et cela, il ne l’a pas fait ou plus exactement, il n’a pas eu le temps de le faire puisqu’à peine intronisé, ‘on’ (voir plus haut pour les coupables) lui lançait le procureur Mueller dans les pattes. Nous savons maintenant, grâce au procureur Durham nommé à la fin de son mandat par son deuxième ministre de la Justice, M. Barr, que toutes ces accusations étaient fausses, qu’elles avaient été montées de toutes pièces par les Clinton, que la CIA, le FBI et toute la presse étaient non seulement parfaitement au courant mais parties prenantes d’un vrai complot contre un Président normalement élu. Or, gouverner alors que l’Etat profond cherche à vous déposer (impeach), ce n’est vraiment pas facile. Ce qui ne l’a pas empêché de battre à plate couture Isis, de réussir sa politique de rapprochement entre Israël et un certain nombre de pays arabes (accords d’Abraham), de sortir de l’accord de Paris et du Traité avec l’Iran, vrais désastres diplomatiques pour les USA, de supprimer plus de deux mille réglementations sur les entreprises (qui avaient été imposées par l’administration Obama sans vote du Congrès) et de présider à une croissance économique sans inflation tout à fait raisonnable. En revanche, ses pressions incessantes pour que les taux d’intérêt soient maintenus bas m’ont un peu agacé, je l’avoue. Il n’est pas du tout exclu qu’il se représente, c’est en tout cas ce que m’a dit l’un de ses plus proches collaborateurs, et s’il le fait je ne doute pas une seconde qu’il sera élu à nouveau. Et dans ce cas-là, je crois que nous aurons la plus grande lessive que le monde politique US aura connu. Or, vouloir procéder soi-même à cette lessive doit être extrêmement motivant. C’est même pour cela que je suis certain qu’il va y aller : pour régler ses comptes.
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