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Ukraine, les lourdes responsabilités de l’Occident

par le Général (2S) Alexandre Lalanne-Berdouticq, professeur de géopolitique.

Général (2S) de l’Armée de terre, ancien chef de régiment de la Légion étrangère en Guyane, puis colonel qui servit sur de nombreux théâtres d’opération (Balkans, Liban) Alexandre LalanneBerdouticq, qui servit aussi en état-major, est breveté de l’Ecole supérieure de guerre, et directeur de stage à l’IHEDN. Réputé pour la clarté de ses cours, son esprit de synthèse (et sa très grand aménité), mais aussi pour son indépendance d’esprit visà-vis des vues toutes faites qui tiennent trop souvent lieu de réflexion à nos états-majors « intégrés », ce courageux militaire se signale périodiquement pas des livres et des articles qui l’ont peu à peu distingué de ses pairs. Après l’intervention de troupes russes en Ukraine, nombreux furent ceux qui ont sollicité son analyse ; écrite dans les jours qui ont suivi, elle fut publiée sur plusieurs sites (Breizh-Info, Le Salon Beige, etc.) et marqua les esprits. Remercions le Général Lalanne-Berdouticq d’autoriser le Nouveau Conservateur à en publier ici la quasi-intégralité.

Nul ne peut contester que l’Ukraine et la Russie, si elles ne sont pas strictement le même pays, sont indissolublement liées par l’histoire. La Russie fut créée à Kiev au IXe siècle après les invasions mongoles et l’on parla d’abord de « Russie kiévienne », des siècles avant de parler de « Russie moscovite». Un Ukrainien est chez lui en Russie, comme un Russe l’inverse. C’est un fait et Poutine, comme tout Russe pénétré de patriotisme, en est convaincu, avec raison

Les causes lointaines : l’Ukraine, un Etat très particulier

L’Ukraine fut indépendante au sens juridique du terme pendant très peu de temps de sa longue histoire et je me rappelle ce général ukrainien nous faisant à Kiev un exposé sur ses forces armées, alors que je participais à un voyage militaire en 1994. Il nous dit : « Depuis 1991 c’est la troisième fois que l’Ukraine est indépendante. Je ne sais combien de temps elle le restera ; nous verrons ». De fait elle le fut entre 1918 et 1921 suite à une décision de Lénine, une autre fois, nommément, dans les années 1941-43 après l’attaque allemande, et enfin, depuis 1991 après la chute de l’URSS. Il se peut donc que cette troisième indépendance ait pris fin le 24 février 2022. Toujours est-il que, vue de Moscou, Kiev n’est pas une capitale nationale mais la capitale de la première Russie et celle d’une sorte d’Etat-province intrinsèquement lié à la Russie. Dernière des causes lointaines de cette guerre : l’effondrement de l’URSS en 1991, conséquence de la chute du Rideau de fer en novembre 1989. 1991 fut vécu par tous les patriotes soviétiques, qui pour beaucoup n’étaient en fait que des patriotes russes, comme la plus grande catastrophe du siècle. La « Deuxième puissance du monde », militairement et diplomatiquement parlant, était rayée de la carte et ne comptait plus sur l’échiquier mondial. Cet immense ensemble eurasiatique (qui, ne l’oublions jamais, s’étend sur ONZE fuseaux horaires, de Kaliningrad sur la Baltique au détroit de Behring) allait s’enfoncer dans une crise dont nous n’avons pas mesuré l’insondable profondeur et la dramatique intensité pour les populations russes et associées. L’Occident de son côté se réjouissait avec raison. En effet, comment ne pas avoir été euphorique, en voyant enfin « l’Europe respirer de ses deux poumons » (selon Jean-Paul II), libérée de l’occupation ou de la tutelle soviétique et renouer avec l’Ouest qui avait quant à lui préservé sa liberté. Polonais, Hongrois, Tchèques et Slovaques, Roumains et Bulgares rejoignirent ensuite plus ou moins rapidement l’Union européenne. Cependant les vainqueurs, tout enivrés de leur succès qui était plus dû à l’effondrement de leur adversaire qu’à leurs propres efforts, se montrèrent incapables de dominer leur sentiment de victoire et humilièrent leur ancien ennemi, Moscou. Tragique erreur. Sans entrer dans le détail car nous manquons de temps, il convient de se souvenir des conditions de la réorganisation de la nouvelle Europe. Me trouvant à l’Ecole de guerre à cheval sur la « Chute du mur » (1989) et les débuts de cette période, j’en ai un souvenir précis.

Les causes proches : Jamais Washington ne tint sa parole

La terreur des alliés de l’OTAN vainqueur était alors le devenir des moyens de la puissance nucléaire russe déliquescente. Que deviendraient les centaines de missiles sol-sol russes stationnés au Kazakhstan et en Ukraine ? Que deviendraient les centaines de missiles mer-sol des Flottes du Nord et du Pacifique si le pouvoir moscovite s’effondrait complètement ? Il s’agissait de plus de trois mille têtes nucléaires, dont des centaines mégatonniques (puissance de la bombe d’Hiroshima : 20 000 tonnes d’équivalent TNT – les Russes possédaient en 1991 certaines têtes d’une puissance de 20 millions de tonnes d’équivalent TNT). Or, si les missiles et leurs têtes étaient stationnés pour certains hors de la nouvelle Confédération des Etats Indépendants, le système de déclenchement et de contrôle des frappes résidait heureusement à Moscou. C’est donc bien avec Moscou qu’il fallait traiter avant que tout s’effondre (Il se révéla que jamais le contrôle des missiles n’échappa au pouvoir central et qu’aucune tête ne tomba entre des mains indésirables, par exemple des trafiquants internationaux voulant monnayer sa matière fissile. Toute mise en œuvre de ces têtes étant techniquement impossible, la matière fissile aurait pu être utilisée pour confectionner un « bombe sale » irradiant une région après dispersion de cette matière hautement radioactive). Il fut donc convenu avec Gorbatchev, mais sans qu’un traité en bonne et due forme soit signé, que s’il acceptait de rapatrier ses têtes nucléaires et de démanteler sur place les missiles stationnés à l’extérieur, les Alliés n’étendraient pas ensuite l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie ou de son «Etranger proche», autrement dit de son « glacis vital» tel que conçu par Moscou. Ce glacis vital comprend : les pays baltes, la Biélorussie, l’Ukraine et la Transcaucasie dont entre autres la Géorgie. Il fut de plus convenu que les Occidentaux gratifieraient la Russie d’une sorte de Plan Marshall pour l’aider à se reconstruire. Or, profitant de l’état de faiblesse extrême de la Russie, les Alliés ne tinrent pas parole et, non contents de leur victoire, ils allèrent jusqu’à humilier gravement leur ancien adversaire, et en quelques années tous ces pays, sauf l’Ukraine et la Géorgie, rejoignirent l’Alliance.

Gorbatchev passa la main à Boris Eltsine qui assista à la dissolution de la puissance soviétique redevenue russe. Les industries passèrent entre les mains de bandits sans scrupules, la population creva de faim, l’Armée rouge n’était plus que l’ombre d’elle-même après avoir évacué en bon ordre et sans incidents la totalité de l’Europe orientale anciennement occupée. De retour en Russie, les divisions qui avaient échappé à la dissolution campaient parfois en pleine nature, sans casernement, et devaient nourrir leurs hommes grâce aux potagers et autres culture vivrières organisées par les soldats. Les officiers, seigneurs de l’ancien régime, devaient subsister en vendant leur matériel et parfois leur équipement personnel (J’ai souvenir, lors de ce même voyage en Ukraine de 1994, des officiers et soldats de la Garde venant juste de terminer devant nous une belle démonstration d’ordre serré, puis proposant de nous vendre leurs bottes, leurs ceinturons et autres casquettes de parade. Dramatique !).

En 2000, le peuple russe hébété de souffrances se rallie en masse à Poutine

La grande Russie était à terre et les Américains ainsi que leurs alliés la frappaient du pied. Aucune aide financière ou économique ne fut organisée. L’ambassadeur américain à Moscou faisait passer des notes comminatoires au Ministère russe des Affaires étrangères plusieurs fois par semaine afin que la politique du Kremlin soit favorable aux intérêts de Washington (témoignage d’un diplomate russe devenu ambassadeur ultérieurement). En 2000, Vladimir Vladimirovitch Poutine, ancien officier supérieur du KGB, arriva au sommet du pouvoir et succéda donc à Eltsine, après que ce dernier eut courageusement résisté à une tentative de coup de force d’une partie de la garnison de Moscou, excédée par la faiblesse de l’Etat et sa corruption. Les anciens membres des « Organes de force » de l’ex-URSS prirent donc en mains les destinées du pays. Ils étaient, c’est un fait, les seuls à posséder la discipline, la volonté et le patriotisme nécessaires pour mettre un terme à cette chute vers le néant. Suivit une remise en ordre, lente mais méthodique, menée sans pitié pour certains « oligarques » qui s’étaient trop visiblement enrichis au détriment du bien public. D’autres furent épargnés et retournés, rendus raisonnables à la vue du sort réservé à ceux qui se croyaient suffisamment puissants pourrésister aux nouvelles autorités. La prison, le « camp à régime sévère » du côté d’Arkhangelsk, voire la mort « accidentelle », étaient alors le lot des récalcitrants. Hébétée de souffrances et de privations, la population russe, consultée à plusieurs reprises lors d’élections qui n’avaient pas besoin d’être truquées pour se montrer favorables au pouvoir, se rallia dans ses grandes masses à Poutine et Medvedev, son Premier ministre. Cependant, non contents d’avoir terrassé le géant, les Alliés, mais surtout les Américains, non seulement favorisèrent l’entrée dans l’OTAN des anciens membres extérieurs du Pacte de Varsovie, mais s’engagèrent dans le démantèlement de la Yougoslavie. Le pire fut commis en 1999 lors de la campagne du Kosovo sur laquelle nous reviendrons car elle est la matrice de la contrattaque russe. Mieux, les Alliés imaginèrent de changer le régime politique de certains des pays du « glacis vital » russe au nom du « devoir d’ingérence » pour étendre leur propre vision de la démocratie. C’est ainsi que furent favorisées, voire organisées, par les services spéciaux américains et britanniques, les « révolutions de couleur » qui virent arriver au pouvoir, à Kiev mais aussi ailleurs, des hommes favorables à Washington et plutôt hostiles à Moscou. Ainsi, un pouvoir très favorable à l’ouest fut-il élu à la tête de ce pays en 2014 après les « événements de la Place du Maïdan » après la « Révolution orange ». Pour Moscou, les choses ne pouvaient pas durer longtemps ainsi sans réaction.

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