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Que faire le 24 avril ?

par Paul-Marie Coûteaux

« M. Macron, vous êtes le symbole de cette politique  dont nous avons besoin, et que nous attendions  pour nous guider dans ce nouveau monde.  Vous êtes un habitué de Davos, merci d’être venu  jusqu’à nous aujourd’hui. Nous vous sommes  reconnaissants de partager avec nous vos perspectives. »

Dr.Klaus Schwab, Président du World Economic Forum,  accueillant Emmanuel Macron à Davos, le 24 janvier 2018.

Comme on l’a vu, le Nouveau Conservateur s’est gardé de prendre parti dans la compétition qui précéda le premier tour des élections présidentielles : outre que toute exhortation est bien inutile, en considération de l’intelligence de nos lecteurs (sans elle, ils ne nous liraient pas…),  et qu’il était de toutes façons impossible de choisir un candidat précis attendu que les membres de notre équipe se partageaient entre quatre des concurrents (sans compter le vote blanc ou l’abstention, qui ont aussi leurs raisons ), il serait de toutes façons incongru, aussi incongru que ces évêques qui osent donner des consignes de vote, qu’une revue descende dans l’arène électorale : n’avons-nous pas écrit et répété que notre projet était de restaurer le mot, la tradition et la conception conservatrice du monde, ou bien, pour le dire sur un autre mode, de retrouver l’esthétique, la saveur et les sagesses du monde ancien pour redonner ses chances à l’avenir de la France et de l’Europe, objectif qui dépasse de beaucoup la compétition électorale ? A quiconque nous pousse à nous prononcer, il suffit de rappeler que ce ne sont pas des élections qui ont fait la France, et que ce ne sont pas les élections qui l’empêchent de se défaire depuis un demi-siècle ; ou bien de recenser ce que tous les candidats ont dit, en fait d’inepties, sur le conflit qui oppose en Ukraine Moscou et Washington, et ce qu’ils ont tous cru utile d’ajouter sur la personnalité du président russe ; ou de relever qu’aucun des candidats n’a osé désigner ce qui depuis un siècle prive lentement les Français de la France, son imaginaire, son histoire, sa civilisation et sa politique, savoir le multiforme impérium états-unien qui les égare tant qu’ils perdent jusqu’au sens de leur civilisation, de leurs intérêts politiques comme des menaces qui pèsent sur eux, à commencer par l’invasion migratoire ; il suffit de rappeler en un mot la dimension de notre grand souci, plus culturel, civilisationnel ou « métapolitique » qu’il n’est électoral, pour comprendre que nous nous tenions éloignés de cette arène, par ailleurs si pleine de médiocres gladiateurs. 

Que signifient les élections ?

Au reste, une question se pose, hélas gardée trop secrète par les acteurs du Système : que signifient des élections dans un pays en voie d’invasion et qui, depuis des décennies, a perdu la tête ( la mémoire, les réflexes, l’intelligence et les yeux… ) au point de ne pas oser la regarder en face ? Que signifie la compétition pour la tête de l’Etat quand l’Etat n’a plus de tête, au point de s’en remettre à des « cabinets de conseil » états-uniens pour définir des pans entiers de « sa » politique ?  Que signifient des élections dont à peu près tous les dés sont pipés, depuis les mots les plus courants du langage politique ( par exemple, il n’y a aujourd’hui nulle « extrême droite » en France, alors que le mot revient sans cesse), jusqu’à l’essentiel de toute élection sérieuse, une suffisante information des votants pour espérer que leur jugement soit éclairé ? Bref, ne nous privons pas de dire ce que sont les élections dans les temps post-modernes : une forme de jeu, au mieux un délassement ludique trompant l’habituel ennui des républiques quand l’Histoire les a désertées, au pire un énervement de foire auquel on sacrifie périodiquement, sorte de jeux olympiques en version distinguée. Une fois retombés tous ces échauffements, il n’en reste que peu de choses : des déceptions pour le plus grand nombre, des postes pour quelques-uns, et de pompeuses « orientations de politique générale » que l’impuissance des Etats dans le nouveau désordre du monde réduiront tôt ou tard à presque rien. Sortons de la mascarade, soyons lucides sur le flot de promesses, d’annonces, de projets de lois non aboutis ou, s’ils le sont, suivis de peu d’effets, toutes choses que le déplacement de la véritable puissance au bénéfice de personnes privées à dimension mondiale, omniprésentes dans la vie de nos contemporains et qui les règlent davantage que ne le peuvent les Etats, rendent dérisoires au point de dégoûter de toute politique -mis à part, justement, sa vertu ludique, ou ce qu’elle donne à voir sur les hommes et leurs mondes. Depuis que ce que nous appelions voici trente ans « souverainisme » a perdu la partie, passagèrement peut-être, et que la dépossession des Etats se poursuit non seulement au bénéfice des diverses supranationalités ( l’OTAN, ou son sous-ensemble dénommé « Union européenne, le TPI etc.), que ce qui reste du droit international justifie plus ou moins, mais aussi d’énormes puissances privées que nous dénoncions d’un même mouvement dans les années 90  sans retenir l’attention, depuis que la souveraineté des Etats n’est plus qu’une ombre ou une fiction, quel intérêt ont les élections ?  

Ajoutons, pour faire bon poids, qu’est de plus en plus regrettable la mise aux voix du choix de l’arbitre suprême, lequel est de ce fait transformé en chef d’une incertaine majorité de citoyens face à son adversaire du second tour, mais aussi à tous les autres candidats et leurs partisans, de sorte que, arbitre, il ne le saurait plus l’être, pas davantage qu’il ne sera, dans les cœurs, le « président de tous les Français » ;  la reforme de 1962 est décidément la grande faille de la Ve République, ajoutant un défaut de légitimité profonde à tous ceux que l’on vient de dire. Ici joue à plein la dialectique de la souveraineté et de la légitimité, dialectique capétienne qui fit la France et qui désormais se reverse : un Gouvernement est d’autant moins légitime qu’il est moins souverain et il aura d’autant moins de chance de retrouver de la souveraineté qu’il sera moins légitime, ainsi de suite. De ce point de vue, l’entreprise d’Eric Zemmour fut aussi délicate qu’elle fut, malgré ses erreurs compréhensibles, louable et quelquefois admirable : mais que pouvons-nous quand une fausse république, déliée du Bien Commun au point de devenir le contraire même de la Res Publica, a transformé en cercle vicieux le cercle autrefois vertueux de l’histoire capétienne, et que le vice qui mine un des piliers de l’Etat ne fait que miner l’autre ? Il faut le dire encore : hors de toute souveraineté et de toute légitimité largement reconnue du Prince, l’une et l’autre se confortant inlassablement l’une l’autre, il n’est point de salut dans un Etat.

Les improbables conditions d’un sursaut national

Beaucoup aimeraient que nous jouions dans l’arène ; qu’ils veuillent bien observer cependant que, si les chefs qui tiennent le haut de son pavé étaient sérieux, nous n’en serions pas à devoir à la présence d’un candidat communiste au premier tour celle de la droite au second tour -aussi incertaine soit cette appellation dans le cas d’espèce ; si’ils étaient sérieux, ils sortiraient de leurs couloirs de nage, conforts de cénacles et calculs égotistes pour s’allier et former de puissants mouvements populaires qui seuls permettraient le retour à une légitimité seule capable de rétablir une suffisante souveraineté sous les trois espèces de la souveraineté (celle de la nation, celle de l’Etat, celle de la civilisation), donc le retour à la Politique au sens plein de ce mot, c’est-à-dire à  l’Histoire. 

Or, la séquence électorale qui ces temps-ci bat son plein, dont on aurait pu espérer, par l’émergence d’un candidat, Eric Zemmour, qui eut l’immense avantage de poser la question politique à l’échelle de la survie de notre civilisation et qui, se plaçant à cette hauteur, pouvait légitimement aspirer à réunir les droites, n’a pas fait avancer les choses. La criminelle division des droites ( criminelle dans la logique électorale du moins, celle d’une élection à deux tours qui impose de former deux « blocs » ), n’est pas réduite, ses morceaux se divisant au contraire : ici un RN qui n’est pas vraiment de droite et ne pose à peu près jamais la question de la civilisation ; là un isolat gaulliste émietté entre des personnalités qui s’obstinent, par routine ou intérêt personnel mal compris à demeurer les idiots utiles  des évanescents « Républicains » ; là encore des personnalités indépendantes telles Nicolas Dupont Aignan, ou le chantre charmant de la ruralité, Jean Lassalle ; et voici que surgit au milieu de ce tableau émietté un nouveau parti Reconquête dont le moins que l’on puisse dire est qu’il aura bien des difficultés à jouer son rôle d’unification -mais qui n’en est certes qu’à ses débuts et qui, s’il s’avisait à être véritablement ré-unificateur, devrait se concevoir sous le forme d’une fédération, comme cela a commencé à se faire avec Via/La Voix du Peuple, le Mouvement Conservateur et le vieux CNI. Il n’en reste pas moins que l’émiettement est accablant, d’où n’émerge pas tout à fait, contrairement aux derniers espoirs de l’auteur de ces lignes, le grand architecte politique qui, comme de Gaulle (et dans une moindre mesure, Pompidou, Mitterrand ou Chirac, plus ou moins capables d’incarner en leur seule personne des sensibilités fort différentes, donc de réunir autour d’elles ces majorités larges sans lesquelles rien n’est possible -la dernière en date de ces incarnations minimales étant celle que Nicolas Sarkozy a pulvérisée par une politique erratique) pourrait redonner un élan au pays, aussi difficile que cela soit dans l’actuelle époque de déliquescence générale, pas assez avancée encore pour réunir les conditions d’un sursaut…

Pourquoi les circonstances imposent néanmoins d’écarter l’abstention

Dans les circonstances actuelles, presque tout incite donc à l’abstention. Du moins comprendrons nous amplement ceux qui s’abstiennent ou votent « blanc », ou nul – choix qui a sa noblesse et ses fondements intellectuels au point que nous lui consacrions, voici quinze ans, un des « grands dossiers » de la revue « Les Cahiers de l’Indépendance » ( n°3 , Printemps 2007). Que ces récalcitrants magnifiques, qui vivent dans l’attente d’un nécessaire sursaut national, veulent bien cependant considérer une chose, si grave qu’elle est placée au centre du tableau électoral et qui le dépasse infiniment : l’un des candidats, Emmanuel macron porte en lui bien davantage qu’une politique anti-nationale -ce qui n’est pas nouveau, et fut souvent le cas des candidats progressistes ordinaires ; le progressiste qu’est M. Macron l’est à un point si radical qu’il conçoit, lui, le progressisme comme révolutionnant ( le titre de son unique livre « Révolution », devrait mettre la puce à l’oreille ») les cadres même de la politique, mais aussi ceux de la civilisation, et jusqu’à l’Homme lui-même ; comme beaucoup, et jusqu’à certains de nos amis, ne s’en sont pas avisés assez tôt, il est l’un des dévots de cette nouvelle église que nous avons décrite dans les numéros du Nouveau Conservateur (notamment le n° 3 : « La Modernité et ses délires »), le trans-humanisme, lequel entend récréer l’Homme, non pas pour accoucher d’un « homme nouveau » comme l’ont régulièrement entrepris les progressistes et les Républicains (au sens des premiers Républicains, ceux de la Révolution française) mais pour créer consciemment des « mutants » , c’est-à-dire autre chose que des Hommes dans l’acception millénaire de ce mot ; dans le sillage de ces prémisses de révolution qui s’instruisirent peu à peu sous les yeux de la génération à laquelle j’appartiens, à bas bruit, derrière les mots trompeurs de « progrès » notamment les « progrès scientifiques » (tout spécialement ceux d’une certaine forme de médecine, la génétique), ou bien de « libération », celles des mœurs, ou de toute tradition quelle qu’elle fût, ou encore de « bioéthique », et, supercherie plus violente encore de « lutte contre la Covid ), les trans-humanistes à la Macron sont portés par de formidables puissances que n’avaient pas les progressistes à l’ancienne mode, celle de la technique pour commencer, mais aussi les machineries des Etats totalitaires, principalement la Chine et les Etats-Unis. Il suffit de suivre les élucubrations auxquelles se livrent ces trans-humanistes, non seulement, à ciel ouvert, dans les cénacles distingués tels que les rencontres de Davos (nous publierons dans notre n° 7, à paraître en mai prochain, quelques exemples des perspectives que dessinent quelques prêtres de ce nouveau culte régulièrement célébrés à Davos) mais aussi dans de plus discrètes officines de Chine ou de la Silicon Valley ) pour comprendre à quel point les techno-progressites du XXIè siècle entendent subvertir, avec d’énormes moyens, les fondements de la civilisation chrétienne, jusqu’à ses rejetons les plus « humanistes » -et comprendre que l’enjeu n’est certes plus politique mais proprement anthropologique. 

Nous verrons plus en détails ce dont « Macron est le nom », pour reprendre la formule consacrée, et qui éclaire l’élection présidentielle d’une lumière drue et brûlante. Il ne suffira bien entendu pas de cet épisode électoral pour trancher le sort de cette mutation exactement historique : du moins faut-il encourager ceux de nos compatriotes qui sentent confusément ce qui se cache derrière le petit bonhomme Macron et qui s’alarment à juste titre. Pour ce faire, aussi fondé qu’il soit,  le réflexe abstentionniste, ou le vote blanc, ne sauraient suffire : tout conservateur, tout héritier de la civilisation qui fit et fait encore la France et l’Europe, se doit de voter dans l’urgence pour l’adversaire de cet Homme, c’est-à-dire pour Marine le Pen. 

                      Un geste à consentir contre le trans-humanisme

L’auteur de ces lignes connait bien celle dont la roulette électorale fait l’adversaire ultime de M. Macron lors du second tour,  le tour décisif, et regrette aujourd’hui moins qu’il le fit naguère d’avoir soutenu voici dix ans les premiers pas de cette héritière, qui n’est pas simplement héritière de son père et du parti que lui légua celui-ci, mais aussi de quelques siècles d’Histoire, qu’elle assume sans les connaître aussi profondément qu’il le faudrait -et regrette moins encore les conseils qu’il lui donna dans les années 2011-2013, avec bien d’autres, qu’elle semble suivre à retardement, notamment quant à la posture enveloppante (en tous les cas détachée de toute radicalité) que doit adopter quiconque aspire à la fonction suprême, à la suite de nos rois rassembleurs s’employant à se faire « homme de personne pour être celui de tous » -du moins autant que le jeu électoral le permet. On ne fera sans doute pas ce geste sans inquiétude. Dans l’arène politique, à laquelle la menace trans-humaniste redonne un certain rôle, point décisif mais du moins indicatif (il s’agit à tout le moins de créer un rapport de force d’ordre culturel, ou, comme on voudra, moral ), une indication de la justesse de notre choix sera donnée par la décision que fera dans les jours qui suivront l’élection la candidate anti-trans-humaniste -on rappellera qu’elle est opposée dans certains cas à l’avortement, comme elle l’est à la PMA et à la GPA, qu’il lui arriva d’adopter une attitude critique face au totalitarisme co-vidien, et que sa promesse de « sortir de l’OTAN indique le chemin de l’indépendance vis-à-vis de ce qui n’est pas simplement un outil de défense mais la matrice du très inquiétant désordre du monde. Elue ou pas, Marine le Pen aura à décider si elle choisit les intérêts de son parti ou une « coalition des droites » qui dépasse elle aussi l’arène électorale : ce choix ne sera important en ce que, dans un cas, le « camp national » pourrait obtenir  entre 150 et 180 représentants à la Chambre des députés, et dans une autre deux ou trois dizaines, au point de rester marginal ; il sera important en ce qu’il ouvrira une possible résistance nationale aux universelles avancées du totalitarisme techno-progressiste, ou différera encore un sursaut populaire dont nous ne persistons à penser qu’il ne peut se faire que dans les termes de « l’urgence conservatrice », ceux qui nous instruisons ici, et qui se porteraient certes mieux si’il pouvait compter sur une base populaire et quelques relais politiques toujours utiles. 

C’est bien à tout cela que chacun doit penser dimanche en prenant ses résolutions : ce ne sera que le choix d’un jour ; mais, au fond, la question est autre : sommes-nous prêts à faire chaque jour un geste, glisser un bulletin dans une urne n’en étant qu’un parmi des milliers d’autres, pour sauvegarder par tous les moyens possibles l’humanité de l’Homme, c’est-à-dire son essence, la grandeur des héritages qu’il porte, et tout simplement sa survie ? 

Paul-Marie Coûteaux

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