Par Paul-Marie Coûteaux // pour Valeurs Actuelles et Le Nouveau Conservateur
Annoncée à 90 jours de l’élection, ce dimanche 9 janvier, l’arrivée de Guillaume Peltier aux fonctions les plus éminentes de l’équipe Zemmour constitue un tournant crucial de la campagne -celle dudit Zemmour, mais aussi de la campagne électorale dans son ensemble, en ce qu’elle redistribue largement les cartes à droite.
« Les marins de l’ïle de Sein, une poignée d’aristocrates et de royalistes, quelques fous, quelques aventuriers…» : on connait la boutade, certes apocryphe, attribuée à de Gaulle pour décrire la cohorte hétéroclite des premiers conscrits de Londres. Plus certaine, une phrase des Mémoires de Guerre pointe avec un humour terrible la solitude des premiers mois de la France libre : « Moins il ne venait de notables, moins de notables venaient ». Et tout est là, aussi, pour Zemmour.
Les matelots
Frappante est la comparaison avec l’équipage qui s’embarqua cet automne dans le navire baptisé Reconquête, qu’avait efficacement armé une poignée de jeunes et ardents matelots qu’on vit s’affairer de toutes parts de longs mois durant. Grâce à eux, on vit en décembre le vaisseau dresser fièrement sa mature, on sentait du vent dans les voiles et de l’eau sous la coque. Peu aguerri paraissait cependant l’équipage, au point qu’on demandait à l’unisson : où sont les capitaines, où les lieutenants ? Les vieux routiers ne donnaient pas cher de l’aventure aux premiers revers des vents et des marées, certains conjecturant même qu’un coup de torchon finirait par chavirer le navire. On vit bien arriver quelques solides gabiers, deux Préfets, un Général d’Armée, ainsi que des marins de renom, Jean-Frédéric Poisson puis Philippe de Villiers, mais l’opinion prévalait qu’il manquait l’essentiel, ces professionnels de la politique sans lesquels, qu’on le veuille ou non, on ne fait pas de grande politique -l’impression naissant peu à peu que les matelots, ivres de jeunesse et de certitudes, surestimant leurs forces, ou sous-estimant la violence de la mer, pensaient pouvoir se suffire à eux-mêmes. Qu’importe, murmurait-on sur les ponts et dans les soutes, si « moins il venait de notables, moins de notables venaient » : premiers à bord, nous n’avons cure des vieux briscards ; à nous le grand large et à Dieu Vat ! Dangereux pari…
C’est alors que se produit l’improbable : celui qui était il y a quelques mois encore le numéro deux du principal concurrent, cet imposant navire-amiral dont il apparaissait de plus en plus vain de briguer la place tant il était, lui, armé, surarmé, et bardé de multiples grandeurs d’établissement, s’embarquait à son tour sur le jeune vaisseau : il est le premier de ces hommes politiques dont on ne vit jamais entreprise politique ni gouvernement véritable capables de se passer. Et, de fait, cet épisode est décisif à trois titres :
D’abord, le soutien de Peltier ouvre la voie à d’autres. Qui connait l’histoire électorale sait que notables et notoires ne se meuvent qu’en groupe : il leur faut un exemple. Combien de cadres LR, nationaux ou régionaux, n’attendent qu’un « permis » pour franchir un pas qu’ils n’osent consentir seuls, quand bien cherchent-ils sincèrement une netteté de ton et d’allure qu’on ne trouvait plus dans la droite française depuis des lunes, pour le plus grand malheur du pays… La suite le montrera, y compris parmi d’autres parlementaires, députés ou sénateurs moins en vue que ne l’est celui qui fut pendant des années, et jusqu’à ces derniers jours, vice-président du parti, mais dont le poids, chacun dans sa région, l’expérience et l’implantation seront précieux. Il était temps : d’abord quant à l’épineuse question des « signatures » ; ensuite parce que, faute d’une suffisante crédibilité politique, la ferveur des premiers jours commençait à retomber. Fasse le Ciel qu’il ne soit pas trop tard ! Trois mois c’est long, et court.
L’union des droites redevient l’atout-maître
Ensuite, la nouvelle est d’autant plus importante que Guillaume Peltier, aussi établie soit sa réputation de navigateur, quelquefois « à vue » (mais quel grand politique ne le fut pas : ne vit-on pas de Gaulle faire antichambre, en 1937, pour être reçu par le Président du Conseil, Léon Blum ?), est un personnage de grande envergure. Pour avoir connu une raisonnable palette d’hommes politiques, je peux témoigner que cet homme encore jeune, obstiné et travailleur, dispose d’une « pâte », d’un savoir-faire et d’une énergie que j’ai rarement rencontrées dans un milieu parmi lequel il a su progresser avec assez d’habilité pour devenir, tout en gardant au coeur de son tabernacle intérieur ses convictions nationales (il connut jeune la radicalité et ses impasses, puis les aventures personnelles et leurs limites), l’une des premières figures de la droite parlementaire -lui permettant récemment encore d’obtenir à l’Assemblée, lors du débat sur le passeport vaccinal, une satisfaisante diversité des votes. Qui oserait flétrir un homme mettant si courageusement en jeu son siège parlementaire, ( ce qu’il est très rare que fasse un « élu de la nation »), pour rejoindre un candidat oscillant entre 12 et 16%, et dont la quatrième place est disputée désormais par M. Mélenchon, dernier recours d’une gauche en déroute qui, à ce titre, progressera sans nul doute, comme on le vit en 2017 ? Ajoutons que Guillaume Peltier, par de multiples initiatives puis par un livre, « Milieu de Cordée » (Plon, 2019), qui tranche dans le morne défilé d’opus commis, sinon écrits, par des hommes politiques, a su montrer la profondeur de ses engagements de chrétien ( il a fondé « Jeunesse Action Chrétienté ») et de militant de la ruralité, de la France des terroirs, revenant sans cesse à la doctrine sociale de l’Eglise, notamment sur l’émancipation par « la valeur travail »), autant d’acquis fort utiles. Gageons que l’expérience de celui qui, professeur d’Histoire, connait à merveille celle de la France depuis ses fondements capétiens, saura ainsi inscrire dans la durée le « défi Zemmour ».
Enfin, le soutien de Peltier déjoue les deux plus graves critiques qui ont récemment atteint le bouillant candidat : d’abord une radicalité quelquefois hasardeuse, dans la forme et dans le fond, qui plonge dans le doute une part de la droite classique et qui aurait pu le priver de son atout-maître, « l’union des droites ». Ensuite l’impression de ne pas disposer d’une véritable équipe de gouvernement capable de diriger l’Etat face aux adversités les plus féroces : or, c’est sur ce terrain-là qu’il pourrait le plus sûrement surclasser le Pen et challenger Pécresse. Il y a donc bien des raisons de penser que l’engagement de Peltier est un important tournant de la campagne.
Paul-Marie Coûteaux