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La Nouvelle-Calédonie, un porte-avion français dans le Pacifique

Par Jean-Claude Martinez

Professeur de Droit Public à l’université Paris II Panthéon Assas, spécialiste de droit fiscal, vice-président du Front national (1986-2008), député de l’Hérault (1986-1988), député Français au Parlement européen (1989-2009), co-président (avec le Sénateur Calédonien Dick Ukeiwé) de l’Union pour la Nouvelle-Calédonie Française (UNCF), Jean-Claude Martinez est un des plus ardents défenseurs du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France ; il fait pour Le Nouveau Conservateur un point aussi complet qu’irremplaçable sur le référendum du 12 décembre de cette année – article écrit en octobre, dont nos lecteurs trouveront une version intégrale sur le site de la revue (lenouveauconservateur.org). Pour lui, l’enjeu est clair : 180 640 néo-calédoniens vont décider d’exclure, ou non, notre pays et ses 67 millions d’habitants de l’espace Pacifique, au moment où l’affaire du contrat du siècle avec l’Australie vient de montrer une fois de plus que, pour les « Anglo-saxons » le Pacifique est leur chasse gardée. L’Australie, déstabilisée par l’émergence de la Chine, devrait comprendre que le retrait de la France ouvrirait la porte à la Chine. C’est dans ce contexte que doit s’analyser le référendum, et non dans les termes devenus dérisoires de la « décolonisation » et d’une très aléatoire « indépendance »…

Dans un Pacifique où la Chine, après avoir installé son « collier de perles » stratégiques de la Corée du sud à l’Indonésie, déploie maintenant sa Marine jusqu’à l’île de Guam, à 3000 kilomètres, sous le nez de la VIIe flotte américaine, le tout sous la menace de son redoutable DF23, missile « tueur de porte-avions », il ne s’est trouvé aucun dirigeant français pour alerter – le référendum du 12 décembre se réduisant à l’archaïque question du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Certes, dans la consultation du 12 décembre il y a du droit, mais un droit courbe, si manipulé qu’il fragilise la légalité du référendum. D’ailleurs depuis que, le 24 septembre 1853, le contre-amiral Febvrier-Despointes planta le drapeau français, sept ans avant qu’il ne flotte sur Nice, la Nouvelle-Calédonie a toujours eu droit à des traitements juridiques particuliers. Jusque-là, cependant, Paris restait dans les limites des adaptations du droit à des situations locales. Avec l’accord dit « de Nouméa » du 5 mai 1998, et la « loi constitutionnelle » du 20 juillet 1998 l’introduisant dans le titre XIII de notre constitution, puis la « loi organique » du 19 mars 1999, le statut juridique de la Nouvelle-Calédonie ne relève plus d’adaptations mais de brutalisation. Michel Rocard, à l’origine de cette dérive, espérait que ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie ne se verrait pas : c’est ainsi que notre territoire fut affublé d’un invraisemblable statut Vaudou, avec des successions de référendums tropicaux. Le référendum du 12 décembre 2021 est le dernier épisode après ceux du 13 septembre 1987, du 8 novembre 1998, du 4 novembre 2018, du 4 octobre 2020, sans parler du premier, celui – national – du 6 novembre 1988. Dès 1988, après avoir signé « ses » accords de Matignon, où il s’était imaginé signer une sorte d’Edit de Nantes pour la Paix sous les bananiers, Michel Rocard fit un aveu terrible, confiant sans honte aux signataires qu’il « savourerait à l’avance la perplexité des professeurs de droit public devant… l’étrangeté de l’objet constitutionnel que vous venez d’inventer ensemble ». Autant dire que même les responsables savaient qu’ils dérapaient et avec une telle ampleur qu’ils rejoignaient les pires exemples historiques de forfaiture, du Traité de Troyes en 1420 à « l’Acte dit loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 », lézardant la plaque tectonique des principes fondamentaux de l’ordre juridique français. De fait, les accords de Matignon, signés le 26 novembre 1988, non par des autorités, mais par des personnes auto-désignées autour de Jean-Marie Tjibaou et de Jacques Lafleur, puis les accords de droit tropical, signés à Nouméa le 5 mai 1998, sont d’une irrégularité extrême. Le fait que les premiers ministres, Michel Rocard en 1988 et Lionel Jospin en 1998, aient assisté aux signatures, sortes de notaires de fin de Vêpres siciliennes du Pacifique, ne change rien à la forfaiture : les accords furent signés par des particuliers en marge des autorités constitutionnelles de l’Etat de droit. C’est même juridiquement pire au regard de la répartition constitutionnelle des compétences, parce que, en amont, ces accords ont été négociés, selon le témoignage même de Michel Rocard, par des membres de sociétés secrètes et d’organisations religieuses. Les accords conclus, censés fournir les bases juridiques des référendums qu’ils prévoient, sont un droit échevelé, mettant fin notamment à l’universalité du suffrage et à l’exclusivité de la langue française. Avec la quarantaine d’articles du titre XIII, dictée par 341 chefs de tribus, 2400 chefs de clans et 57 chefs de district, on entre même dans la pensée magique, très loin des bases internationales des référendums d’auto-détermination.

Nouméa : indépendance illusoire

Or, pour la France, quitter la Nouvelle-Calédonie n’est pas, comme on le dit trop, « une histoire de Caillou », un caillou de surcroît perdu au loin. Ce serait plus qu’un repli : une fois amputés de millions de km² d’espace océanique et privés du porte-avions géant que l’archipel calédonien nous offre, nous serions menacés dans toute la Polynésie française, laquelle est pour ainsi dire adossée au statut de la Calédonie : terrible schéma d’une France infiniment rétrécie, amputée de sa dimension du Pacifique, là où tout va se jouer au XXIe siècle. Pour la Nouvelle-Calédonie, que l’indépendance livrerait aux affrontement entre Washington et Pékin, ce ne serait guère mieux. Le nouvel Etat, à la souveraineté illusoire, glisserait des inévitables dépendances que l’environnement géostratégique lui imposerait aux probables violences que les logiques ethniques réveilleraient. A peine devenue indépendante, soit disant en « pleine souveraineté », le parapluie français perdu, tout en conservant il est vrai, dans la sébile budgétaire tendue, les millions de notre aide permanente au développement des clans FLNKS victorieux, la Nouvelle-Calédonie glisserait sur la pente naturelle où toutes les indépendances ont souvent glissé : la violence. A qui s’ajoute l’importante question de la langue. Libérées du contrepoids de la France, les pesanteurs des réalités enclencheraient tous leurs effets, d’abord linguistiques et culturels anglo-saxons. Face à leur force gravitationnelle, la sympathique Académie des Langues Kanak, organisée en 2007 par une décision du « Congrès » pour promouvoir ses 28 langues, verrait évidemment son « drehu » aux 13 249 locuteurs, son « nengone » à 7 958, et son « paicî » à 6 056 parleurs, emportés par la langue impériale, dans un Porto Rico Mélanésien du Sud-Pacifique. Suivraient tout naturellement les effets économiques… Ce n’est pas le cliché et la banale grille de lecture « algérienne » de la gauche française qui s’appliquent à la Nouvelle-Calédonie, mais celle de la doctrine Monroe. Pour un Anglo-saxon, la présence française dans le Pacifique, a toujours été inacceptable. C’est une guerre larvée de 300 ans de trois puissances contre la France : celle des Eglises protestantes, affaire connue depuis 1830 sous le nom « d’incident Pritchard », du nom d’un pasteur anglais qui entendait ouvertement évincer toute puissance catholique de Polynésie – et de même au sein du FLNKS, la composante protestante a joué à plein. Pour elle, le village francophone calédonien (réduit à sa goutte d’eau linguistique de 265 000 francophones dans un Pacifique sud comptant 26 millions d’anglophones, soit un rapport de 1 à 100) est tout bonnement inacceptable. Alors que la plupart des États du Pacifique ont l’anglais comme langue officielle, que la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française (et partiellement les Nouvelles-Hébrides) soient de langue française est une aberration. Aux lendemains d’un référendum d’abandon, cette anomalie disparaîtrait d’autant plus rapidement que les communautés kanak, dont les ancêtres ont été christianisés par les missionnaires protestants, ainsi qu’une couche importante de la population immigrée sont déjà anglophones. Un signe est déjà révélateur de l’imprégnation américaine : pour nommer le Parlement du territoire, on n’a pas retenu ce nom générique de Parlement ni celui d’Assemblée, mais celui de Congrès, comme à Washington ! Quant à imaginer que les 28 langues Kanak résisteraient au mainstream anglophone, parce que depuis 1998 et l’accord de Nouméa elles sont censées être « des langues d’enseignement et de culture, avec une place dans les médias accrue » (article 1.3.3), qui le croit ?

La Nouvelle-Calédonie, un futur porte-avion chinois ?

Pour l’exploration pétrolière aux Chesterfield, à 500 km au nord de Nouméa, l’exploitation halieutique et la position géopolitique en sous-orbite géostationnaire et en étape sur la route de Terre Adélie, la Chine, premier client de la Nouvelle-Calédonie, va installer une « bretelle » de sa Route de la soie. L’identité Kanak risque d’avoir alors l’avenir culturel de Ouighours mélanésiens. Le Vanuatu, que la France a quitté en 1975, est tombé sous la coupe chinoise, comme le Sri Lanka ou la Malaisie. A coup de dizaines de millions de dollars de crédits, pour des infrastructures plus ou moins utiles, Port Moresby, en Papouasie, s’est englué dans une dette incommensurable qui l’a finalement inféodée aux créanciers chinois. C’est ce que ferait la Chine de la Nouvelle-Calédonie canaque, petit chaperon noir mélanésien que le loup rouge pékinois avalerait peu à peu – d’autant que notre territoire du Pacifique est pour l’empire du milieu la clef de voûte d’une stratégie nécessaire pour éviter l’encerclement américain de la « Quad », (États-Unis, Japon, Australie et l’Inde). AUKUS. Déja installée à Port Moresby, Honiara, Port Vila et Suva, Pékin couperait, en s’installant à Nouméa, les principales routes maritimes de l’Australie – et, bien plus terrifiant encore, mettrait fin à la sanctuarisation de la Marine australienne et de l’US Navy à Stirling, près de Perth. Rappelons que, aujourd’hui, à plus de 6000 km de la Chine, ce port peut accueillir les futurs sous-marins nucléaires australiens et sert de base arrière à la flotte américaine. Que des missiles chinois à longue portée arrivent un jour à Ouvéa, et ce serait une réédition de la crise de Cuba. Dès les lendemains de l’indépendance, les néo-calédoniens, qui auraient cru aux mièvreries d’un destin commun et d’un « nouveau contrat social » en chantant le « nous sommes tous frères » de l’hymne calédonien, risqueraient de voir les chefs coutumiers refermer le livre des accords de Nouméa pour ouvrir celui de la Charte du peuple Kanak dont l’article 110 rappelle « l’exercice du droit à l’autodétermination des peuples autochtones », ceux qui les premiers ont occupé le territoire, 3000 ans avant les accords de Matignon… Les Nations Unies, qui ont adopté en 2007 la Déclaration sur les peuples autochtones, ne manqueraient pas de soutenir ledit « peuple Kanak » (à l’existence reconnue d’ailleurs trois fois par l’accord de Nouméa lui-même) dans sa volonté de transmettre à ses nouvelles générations les « territoires ancestraux ». Or, même les Wallisiens, alliés des partis Kanak au Congrès, découvriraient qu’ils sont trop jaunes, venus de trop loin… La célèbre loi de Gresham constate que « lorsque dans un pays circulent deux monnaies dont l’une est considérée par le public comme bonne et l’autre comme mauvaise, la mauvaise monnaie chasse la bonne ». Il en va de même en politique. Toujours, en période troublée, les radicaux l’emportent sur les modérées. La Nouvelle-Calédonie ferait-elle exception ? Avant même les référendums, Jean-Marie Tjibaou, réputé modéré pour avoir signé les accords de Matignon, fut physiquement éliminé, le 4 mai 1989 à Ouvéa, par le pasteur extrémiste Djubelly Wéa. Suite à l’indépendance, comment la pente gravitationnelle de l’extrémisme pourrait-elle faire que le Front Kanak échappe à la pente des discriminations dites « positives », en fait ethniques ?

Retrouvez la suite de l’analyse de Jean-Claude Martinez dans le cinquième numéro du Nouveau Conservateur.

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