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Genèse de l’impérium américain

par Alain Juillet, ancien Haut responsable chargé de l’intelligence économique (HRIE).

On connaît Alain Juillet, qui a déjà honoré Le Nouveau Conservateur d’un entretien remarqué sur l’évolution géopolitique de l’Asie et du Pacifique (cf. LNC n°5 – « Chine[1]Californie : l’émergence de l’univers Pacifique »). Après avoir commencé sa carrière comme officier parachutiste au service Action du SDECE (ancêtre de l’actuelle DGSE), Alain Juillet dirigea plusieurs entreprises françaises et étrangères (Ricard, Suchard, qu’il redressa…), sans jamais abandonner le Renseignement, avant que le Président Chirac ne le nomme Directeur du renseignement, l’une des fonctions les plus délicates de la République. C’est naturellement à lui que revint ensuite de mettre en place, au sein du SGDN (Secrétariat Général de la Défense Nationale), la fonction de Haut responsable chargé de l’intelligence économique (HRIE). Depuis 2009, sa retraite est à son image : intrépide. Outre des cours dans des universités, des conférences et une émission de télévision, il remplit de multiples fonctions d’expertise au niveau international et de conseil pour des Instituts et entreprises françaises. Remercions-le d’avoir accepté de traiter pour nous la grande question que la quasi-totalité de nos élites refusent de voir en face : l’omniprésence de l’empire américain, dont il retrace ici la genèse.

La Déclaration d’indépendance des États-Unis en 1776, inspirée par la philosophie des Lumières, a défini les grands principes d’un état messianique qui proclame que les hommes sont nés égaux et que le créateur leur a donné des droits inaliénables comme la vie, la liberté, la justice et l’indépendance.

Après la vente par Napoléon de la Louisiane, qui couvrait le tiers central du territoire (1803), et le traité de Guadalupe Hidalgo en 1848 qui leur permit de racheter l’ouest contrôlé par les Mexicains, les États-Unis vont accueillir de nombreux migrants venus de toute l’Europe. C’est eux qui vont faire la conquête de l’ouest à partir des 16 provinces anglaises originelles en occupant l’espace libéré notamment par le génocide des populations indiennes. Parallèlement, en dépit des grands principes, la pratique de l’esclavage dans les provinces du sud-est ne sera aboli qu’en 1865, dans la suite à la guerre de Sécession, tandis que la ségrégation raciale ne le sera que cent ans plus tard par le Civil Rights Act de 1964.

D’abord un génocide, puis la conquête du monde

Tout au long du XIXe siècle, par la célèbre « doctrine Monroe», les États[1]Unis se sont autorisés, sans justification légale, à placer sous leur tutelle politique, et économique, l’ensemble de l’Amérique latine, s’attachant à y battre en brêche systématiquement l’influence de l’Europe. Depuis 1898, avec la conquête de Cuba, les États-Unis se sont progressivement imposés comme la première puissance du monde en s’appuyant sur leur capacité industrielle, leur puissance militaire et une croissance du niveau de vie reposant sur l’innovation et l’efficacité. Comme l’a rappelé Henri Kissinger : « Dans la première moitié du XXe siècle, les États-Unis ont mené deux guerres pour empêcher la domination de l’Europe par un adversaire potentiel… Dans la seconde moitié du XXe siècle (en fait, à partir de 1941), les États-Unis ont continué à mener trois guerres pour faire valoir le même principe en Asie – contre le Japon, en Corée et au Vietnam ».

Une vision stratégique dans laquelle les États-Unis ont constamment besoin d’un ennemi pour se mobiliser, c’est-à-dire pour exister.

Ainsi, entre 1940 et 1945, l’Amérique a réussi à gagner deux guerres de front dans le Pacifique et en Europe par la mise en œuvre de moyens techniques considérables. La paix revenue et la plupart des belligérants étant exsangues, les Américains ont imposé leur système avec le dollar Ainsi, entre 1940 et 1945, l’Amérique a réussi à gagner deux guerres de front dans le Pacifique et en Europe par la mise en œuvre de moyens techniques considérables. La paix revenue et la plupart des belligérants étant exsangues, les Américains ont imposé leur système avec le dollar comme monnaie de référence, la puissance économique pour développer leurs groupes industriels, et le libre-échange pour implanter mondialement leurs produits. Ceci s’est accompagné de la diffusion d’une culture sur les valeurs, le mode de vie et les pratiques américaines à travers les médias, dont le puissant cinéma hollywoodien. Dans le même temps l’Etat profond, ce complexe militaro-industriel qui regroupe les industriels, les armées et les lobbies, complexe dénoncé en son temps par le président Eisenhower, imposait une vision stratégique dans laquelle les Etats-Unis ont constamment besoin d’un ennemi pour se mobiliser, c’est-à-dire pour exister.

Quand il faut un ennemi, on n’hésite pas à le créer de toutes pièces.

Face à l’« Empire du Bien » qui a tous les droits puisqu’il défend des valeurs dites universelles, l’opposant est forcément le Mal, ce bouc émissaire que l’on va charger de tous les maux pour justifier sa destruction ou sa mise à l’écart. La saga cinématographique Star Wars ou les meilleurs westerns en sont une parfaite illustration. Dans ce combat sacré, comme on l’a vu dans la guerre contre le terrorisme d’Al-Qaïda, rien n’est interdit, tout est toujours pardonné, puisque Dieu est avec l’Amérique. C’est ce qui explique par exemple pourquoi les militaires américains ne peuvent être poursuivis par une juridiction internationale pour crimes de guerre alors que l’opposant désigné a le choix entre Nuremberg ou Guantanamo. Nous l’avons tous vécu au XXe siècle avec la guerre froide contre l’empire soviétique, dont, certes, les pratiques justifiaient pleinement de s’y opposer ; mais nous avons découvert lors de sa chute qu’il était beaucoup moins puissant qu’on pouvait le croire à travers la propagande occidentale – et la guerre faite à la Russie s’est poursuivie après la fin du communisme… Nous l’avons aussi constaté avec la désignation des « rogue countries », ces Etats décrétés « voyous » parce qu’ils s’opposent à l’Amérique. On le voit aujourd’hui quand la Russie au budget de défense de l’ordre de 70 milliards de dollars est présentée comme un risque vital pour les E.-U. dont le même budget est plus de dix fois supérieur (plus de 750 milliards de dollars ). Comme l’a écrit Pierre Conesa, quand il faut un ennemi on n’hésite pas à le créer de toutes pièces. Il est vrai que, de l’autre côté, nombre de dictateurs maniant la provocation sont ravis d’être mis en pleine lumière, sans toujours en comprendre les conséquences.

L’empire de la guerre : 22 en 60 ans

L’utilisation de la force militaire est une composante essentielle de toute politique américaine. Depuis 1945, les Américains ont fait ou ont été à l’origine de plus de 22 guerres préventives ou classiques en relation directe avec leurs intérêts. Certaines ont été décidées pour des raisons de politique intérieure comme l’Afghanistan après le 11 septembre, pour des raisons économiques comme en Irak pour garantir un approvisionnement pétrolier, pour des raisons de politique étrangère, comme aux Balkans dans les années 90 afin d’affaiblir l’Europe, ou comme l’opposition à l’Iran pour protéger Israël, et quantité d’autres raisons de circonstance, allant de la circulation dans le canal de Panama aux bases arrières du terrorisme en Somalie et au Yémen. Dans tous ces types de conflit, dans lesquels les Alliés se trouvent entraînés bon gré mal gré, les Américains décident seuls de l’engagement et de l’arrêt, comme on l’a vu à Saïgon, en Indochine, ou plus récemment à Kaboul, ou encore avec la rupture unilatérale de l’accord sur le nucléaire iranien. Parfois ils jouent à front renversé comme en Syrie où ils ont armé les djihadistes de Jabhat al-Nosra pour renverser le régime d’Hafez el-Assad, alors qu’ils les combattaient en Irak. De même ont-ils gardé le contrôle des puits de pétrole de la zone de Deir ez-Zor, tout en abandonnant les Kurdes, pour satisfaire leur partenaire turc dans l’OTAN, après les avoir utilisés en première ligne dans la reconquête de Mossoul ou Raqa.

Depuis 1945, les Américains ont fait ou ont été à l’origine de plus de 22 guerres préventives ou classiques en relation directe avec leurs intérêts

En réalité, comme le rappelait récemment Dominique Delawarde, les Etats-Unis appliquent sans état d’âme le programme du « Project for the New American Century » publié en 1997 par les dénommés néoconservateurs, qui a deux objectifs : empêcher l’émergence d’une puissance rivale et le déclin de la puissance américaine, supposée être la première puissance démocratique du monde. A cette fin, ils parviennent chaque fois, par des campagnes d’influence ciblées, à convaincre les pays et surtout leurs élites de l’absolue nécessité de les suivre. Comme l’a reconnu Mike Pompeo, ancien directeur de la CIA puis Secrétaire d’Etat auprès du président Trump, ils n’hésitent pas à mentir et jurer pour convaincre et atteindre leur but. Souvenons-nous de la déclaration à l’ONU du général Colin Powell, sur l’Irak (inventant des armes de destruction massive à la disposition de l’Irak, pour le détruire massivement – ndlr). Pour les Balkans, ils ont lancé via l’OTAN une guerre non approuvée par l’ONU pour bombarder une capitale européenne, Belgrade, et n’ont pas hésité à rompre la règle de l’intangibilité des frontières pour créer le Kosovo – ce qui a plus tard permis au président Poutine de l’utiliser comme référence pour légitimer la prise de la Crimée.

Quels que soient les torts de l’envahisseur, la guerre en Ukraine est une formidable démonstration.

On a réussi à faire oublier aux Français comme aux Allemands que, en 2014 puis 2015, par les accords de Minsk, ils avaient garanti la paix en Ukraine et qu’ils sont responsables de ne pas l’avoir fait respecter par l’équipe dirigeante de Kiev. Il est vrai que les Ukrainiens étaient encouragés à faire le contraire par l’équipe de Victoria Nuland, alors Ambassadrice à l’OTAN, comme elle l’a expliqué elle-même en début de cette année au Congrès des Etats-Unis. Pour comprendre le début de la guerre le 24 février 2022, on oublie volontairement la déclaration du président Zelensky à la Munich Security Conference, le 19 février, annonçant vouloir faire rentrer son pays dans l’Otan et le nucléariser, alors que tout le monde sait bien que ce sont deux points inacceptables pour les Russes, comme l’avait d’ailleurs confirmé Angela Merkel. Odessa ne peut pas devenir une base OTAN à 150 km de Sébastopol. Rappelons-nous la crise de Cuba en 1962. Que diraient les Américains si Cuba proposait La Havane comme escale pour la marine militaire chinoise ? En inquiétant l’Afrique sur une pénurie de blé, les alliés ont oublié de préciser que les Russes pouvaient livrer, mais qu’ils les empêchaient de facturer en dollars et ne voulaient pas qu’ils le fassent en roubles. Notons que la relance des exportations ukrainiennes via Odessa bénéficiera aussi à d’autres puisque 28 % des terres arables ukrainiennes productrices de blé ont été rachetées depuis 2014 par de grandes compagnies américaines comme Monsanto ou Cargill, avec l’appui du FMI, et en dépit du rejet massif de la population locale. On peut également rappeler que, après les sanctions imaginées par les Etats-Unis puis mises en œuvre par les Européens, la réduction drastique du gaz va faire passer un mauvais hiver aux Allemands et à d’autres, et ne sera compensée partiellement que par la fourniture entre autres de gaz de schiste venu d’outre-Atlantique.

Retrouvez la suite de cette analyse d'Alain Juillet dans le numéro VIII du Nouveau Conservateur.

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