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Insondable Georges Bernanos

par Gilles Brochard

Insondable Georges Bernanos (1888-1948), qui ne s’est jamais, depuis l’adolescence, lui, le lecteur de Barbey d’Aurevilly et de Léon Daudet, laissé enfermer dans la morale bourgeoise de son temps pour rejoindre plutôt les camelots du roi et porter la contradiction dans les cafés et les prétoires. Son ami Ernest de Malibran, qui avait formé avec son frère Charles un groupe informel de muscadins monarchistes, dira de lui : « Nous nous intitulions « les hommes de guerre » pour marquer à la fois notre goût pour l’action poussée jusqu’à l’ultime sacrifice et notre horreur de tous les conformismes. À l’intérieur de notre groupe, Bernanos était véritablement l’aîné, le mentor. Par ses sarcasmes parfois violents, il nous maintenait dans cette voie exempte de compromissions que nous nous étions tracée ». Dans sa volumineuse biographie Georges Bernanos. La colère et la grâce, François Angelier le décrit l’air digne avec son chapeau melon, sa jaquette noire et sa canne de jonc à pommeau doré, tel le Grand Condé se rendant ainsi à la messe…

Je crois, je suis sûr que beaucoup d’hommes n’engagent jamais leur être, leur sincérité profonde. Ils vivent à la surface d’eux-mêmes, et le sol humain est si riche que cette mince couche superficielle suffit pour une maigre moisson qui donne l’illusion d’une véritable destinée.

Bernanos, Journal d’un curé de campagne

Tendre, colérique, mystique, imprécateur, Georges Bernanos fut l’un des écrivains les plus libres de son temps. « J’écris dans les salles de café, confiait-il dans Les Grands Cimetières sous la lune, pour ne pas être dupe de créatures imaginaires, pour retrouver, d’un regard jeté sur l’inconnu qui passe, la juste mesure de la joie et de la douleur. » La biographie que publie aujourd’hui François Angelier, animateur fameux sur France Culture, dépeint un auteur sur la braise, un écorché vif, un « vagabond » exilé en Espagne, au Brésil, puis en Tunisie après la Seconde Guerre mondiale, sans cesse habité par sa foi catholique intransigeante et l’âme remplie d’humanité. Marié, six enfants, il conduit sa petite troupe d’hôtels en maisons, arrimé à ses manuscrits, ayant fait une entrée fracassante en littérature avec Sous le soleil de Satan que Plon vend à plus de 100 000 exemplaires dès sa parution. Le voilà lancé à 38 ans, abandonnant ainsi son poste dans les assurances. Il dénonce « la ploutocratie démocratique », « l’Internationale de l’argent » et « les spéculateurs internationaux », publie dans L’Action française avant de rompre avec Maurras. Quittant l’Europe maudite, il dit aller « cuver sa honte au Brésil » dès 1938, après Munich ; le voilà qui dénonce l’armistice et « Pétain le liquidateur », soutient la France Libre (deux de ses fils et son neveu la rejoignent), mais avec de Gaulle dont il admire la stature, ce sera « je t’aime moi non plus »…

Le monde moderne est un monde humilié, un monde déçu, c’est ce qui le rend furieux. Le sentiment de la ridicule disproportion entre ses réalisations et ses promesses donne à cette fureur un caractère de férocité. Tous les ratés sont cruels. Le monde moderne est un monde raté, il risque aujourd’hui de se jeter dans le suicide pour échapper à l’intolérable aveu de son impuissance.

Bernanos, La Révolte contre l’Esprit

Dans son chef d’œuvre Le Chemin de la Croix-des-Ames, il parle de sa rencontre avec André Malraux qui aimait en lui sa « sincérité inflexible ». Et relire La France contre les robots (1945), si prophétique au regard de ce que le monde traverse aujourd’hui. « La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique – clame-t-il – a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c’est-à-dire pleinement responsables de leurs actes : la France refuse d’entrer dans le paradis des Robots. » Nous y sommes. Voici le temps des imbéciles qu’il prévoyait !

Gilles Brochard

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