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Gaza, et maintenant (1ère partie)

Par François Martin

Il arrive parfois, en politique étrangère, qu’il faille une véritable catastrophe, sociale, politique ou humanitaire, pour qu’une solution puisse être trouvée. Ce sera peut-être le cas avec cette effroyable guerre. Pour le moment, en tout cas, la situation d’Israël semble plus compliquée que prévu.

Il en est parfois de la politique étrangère et de la guerre comme du poker ou de la drogue. Tant que les risques semblent petits, on continue à croire que cela n’aura pas de conséquences. On n’arrête de jouer ou de faire l’imbécile que lorsqu’on risque véritablement de tout perdre, sa fortune ou sa vie. C’est ce qui risque de se produire avec cette guerre de Gaza.

Le « professionnalisme » du Hamas

Nous l’avons montré dans de précédents articles (1), le Hamas nous semble, dans cette guerre décoloniale, du faible au fort, absolument classique, mener son affaire avec un professionnalisme très affirmé : message idéologique extrêmement clair (2), maîtrise presque totale des réseaux sociaux (3), victimisation parfaitement « mise en scène » (4). Sur le plan militaire, prise en compte du temps, avec des actions de guerrilla suffisantes pour empêcher une véritable progression des forces ennemies, sans pour autant gaspiller ses forces. Utilisation presque parfaite, aussi, du levier politique des otages, de telle sorte qu’après une première phase qui a libéré une centaine de ceux-ci (5), le Hamas, aujourd’hui, « monte les enchères », et exige un véritable cessez-le-feu, assorti d’une large opération humanitaire, pour libérer les autres.

Israël à la peine

En face, Israël montre des difficultés, qu’elle ne peut plus cacher :

D’abord, et depuis le début, les buts de guerre ne sont pas clairs. En effet, Netanyahu a affirmé, en même temps, vouloir éradiquer le Hamas et récupérer ses otages, tout cela dans un contexte de guerrilla urbaine, très dense qui plus est, où l’on sait qu’un adversaire est toujours extrêmement difficile à trouver. De plus, la présence de centaines de tunnels rend la tâche pratiquement impossible.

En réalité, ces deux objectifs, il était facile de le comprendre, étaient incompatibles. Pour définir une ligne claire, il eût fallu soit choisir dès le début l’objectif absolu de la libération des otages (et dans ce cas, expliquer à une opinion chauffée à blanc qu’on ne répliquerait pas à l’attaque du 7 Octobre…), soit convaincre la population que l’éradication du Hamas ne pouvait souffrir d’aucune sorte d’exception (mais, dans ce cas, comment faire accepter le sacrifice de leurs proches aux familles des otages ?). Le piège était très bien monté. En présentant, sous la pression de l’exigence d’une réponse ferme, les deux objectifs comme compatibles et, qui plus est, en acceptant, une premiere fois, une trève et un échange, Netanyahu s’est mis lui-même « dans la seringue »…

Sur le plan médiatique, une composante essentielle de la guerre insurrectionnelle (6), Israël semble complètement dépassée, à un point presque incroyable. Alors que les soutiens du Hamas ont envahi les réseaux sociaux dans le monde entier, suscitant l’approbation de près de 80% de la jeunesse américaine, ainsi que des interventions d’experts, des manifestations (7), etc, Tsahal en est réduit à filmer ses soldats chantant ensemble devant leurs chars, ou embrassant leurs enfants de retour du front, dans des attitudes si posées qu’elle paraissent totalement surannées.  

Même sur le plan militaire, Tsahal a mal monté son plan de communication. En effet, selon une erreur très classique, elle a beaucoup sous-estimé les forces adverses. Pourtant, ses conseillers militaires savaient fort bien qu’une guerre urbaine est l’une des plus difficiles et longues à gagner. C’est en général, même lorsque les civils ont pu partir, une « boucherie » sauvage, où les pertes, de part et d’autres, sont très importantes. Il est significatif, à ce titre, que Tsahal n’ait engagé, dans l’opération sur le territoire lui-même, qu’environ 30.000 hommes, le même nombre que ceux, selon les sources, du Hamas. Or il faut, d’après les experts, entre 3 et 5 fois plus de soldats pour conduire ce type de guerre. Tsahal n’a pas l’effectif requis, ce qui prouve qu’elle n’est pas prête à un vrai « sacrifice », et n’ose pas « mettre le paquet », sur le plan des troupes au sol en tout cas. Les premiers soldats qui sont morts avaient 19 et 20 ans, ce qui montre que l’on a envoyé en « éclaireurs » des conscrits et des réservistes, et non pas des troupes aguerries, ce qui n’est pas approprié en pareil cas. Lorsqu’elle a changé, par la suite, de tactique, en engageant la célèbre Brigade Golani (8), Tsahal a dû ensuite la retirer, avouant ainsi qu’elle avait été décimée.

En vérité, Tsahal sait faire une guerre « classique » contre un adversaire en général plus faible, ou faire des opérations de police consitant à contrôler, arrêter ou tuer des palestiniens sans défense dans les territoires occupés, mais n’est pas prête ni organisée, avec des conscrits en réalité peu motivés, pour mener une « guerre sale » contre un adversaire sur-déterminé et « le couteau entre les dents », et agissant, qui plus est, sur son terrain. Aujourd’hui, le mythe de la « meilleure armée du monde » s’effondre. A cause de son opinion publique, qui ne supporte pas de voir mourir les siens, de son armée de jeunes conscrits, et de son habitude d’affronter, jusqu’ici, des adversaires plus faibles, cette armée semble manquer de deux composantes essentielles pour le combat et la victoire : la rusticité et le sens du sacrifice. Lorsqu’on observe les vidéos, on voit surtout de jeunes bourgeois fragiles et naïfs. Aucune ressemblance avec les rudes tchétchènes très endurcis, habitués aux guerres urbaines, de l’armée russe (9)…

Le décompte des morts israéliens

Ceci se traduit dans le décompte des morts. En effet, Tsahal a cru possible de déclarer environ une centaine de morts, et 1500 blessés. Les hôpitaux ont eu interdiction d’indiquer les véritables chiffres, mais la presse est passée outre, et a découvert que les blessés étaient au moins 3 à 4 fois plus nombreux, aujourd’hui, semble-t-il, de l’ordre de 4500 à 5000. Dans ces conditions, le chiffre indiqué des morts semble ridicule. Il est probablement, si l’on compte 1 mort pour 5 blessés, de l’ordre du millier. Pour cette raison, Tsahal a « remonté » son compte à environ 400 morts, mais a donné à sa population l’impression qu’elle lui ment, sur un sujet très sensible. Lorsque les vrais chiffres sortiront, tôt ou tard (et d’autant plus que les conscrits rentrent chez eux et parlent), le choc dans l’opinion sera très violent, lorsqu’elle s’apercevra qu’entre son désir (éradiquer le Hamas) et la réalité, il y a une chose à prendre en compte : le prix à payer. Lorsqu’elle s’apercevra qu’il risque d’être exorbitant, cette opinion sera-t-elle aussi va-t-en-guerre ? A ce moment, beaucoup d’illusions vont tomber.

Le compte à rebours des victimes de Gaza

Un autre facteur est à prendre en compte, qui est fort important, c’est le compte des morts civils à Gaza. Netanyahu fait semblant de ne pas s’en soucier, alors qu’il risque de faire basculer les choses. En effet, avec plus de 20.000 morts, il est déjà effroyable, et sans doute très sous-estimé, car si l’on considère que Tsahal a déjà envoyé, en 80 jours, plus de 22.000 bombes (10), il n’est pas très compréhensible que chaque bombe n’ait tué qu’une seule personne. Pour mémoire, le 26 Décembre, un seul tir à Khan Younès a fait plus de 100 morts, et on déplore 240 morts en 24 heures ce seul jour (11). Donc le total des morts, entre les identifiés et ceux qui restent ensevelis, est sans doute bien supérieur, de l’ordre de 30 à 35.000 morts, soit l’équivalent des morts du bombardement de Dresde, l’une des grandes « taches » sur la conscience des alliés lors de la 2ème guerre mondiale. L’opinion mondiale, en dehors de quelques îlots comme la France où la propagande est intense et anesthésie tout débat, est parfaitement consciente des choses et en frémit d’horreur. A Washington même, une partie du personnel de l’administration Biden et du Département d’Etat a manifesté pour demander un cessez-le-feu. C’est en partie ce qui explique que les USA aient accepté (du bout des lèvres !) de voter une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU le 22/12, même si celle-ci ne parle que d’aide humanitaire, et pas d’un cessez-le-feu.

Mais le pire est à venir. En effet, pour l’instant, Tsahal a présenté les choses (et certains médias hypocrites l’ont repris !) comme les « dommages collatéraux » de sa quête du Hamas. Le procédé est déjà énorme, mais demain, et dans très peu de temps en vérité, les morts risquent de se compter par milliers supplémentaires, à cause de la soif, de la faim et des maladies dues à l’eau croupie qui est la seule qui reste à boire (12). Comment le gouvernement israélien fera-t-il, dans quelques semaines, pour expliquer les photos des corps des morts et des vivants décharnés, dignes d’Auschwitz ou de Treblinka ? Quelles que soient les raisons, ce ne sera pas tenable. On n’imagine pas que, si cela se produit, les Etats-Unis puissent ne pas lâcher leur allié, sans se mettre à dos le monde entier, ce qui est déjà presque le cas. En réalité, et parce que le Hamas résiste et se prépare à une guerre longue, il y a une contradiction dans les objectifs d’Israël. Le Hamas a le temps, mais Israël n’en a pas. Et si Israël, pour éviter ce scénario, remet l’électricité (pour faire fonctionner les puits) (13) et ouvre largement les portes à l’aide humanitaire (ce qu’elle ne peut pas faire sans cessez-le-feu), elle perd la face, et permet au Hamas de se réapprovisionner.

Les autres fronts

Mais Israël est aussi menacée ailleurs :

Dans les territoires occupés de Cisjordanie, autant qu’à Jérusalem Est, les colons, certains de l’appui du gouvernement dont ils font partie, avec l’armée qui les soutient, profitent évidemment de l’occasion pour poursuivre et accélérer leurs prédations. C’était l’un des principaux objectifs de Netanyahu, si ce n’est le principal en réalité, dans un contexte où la reconquête de Gaza aurait été « fraîche et joyeuse » pour Israël. Le problème, c’est que ce faisant, et ne pouvant empêcher que les palestiniens volés s’expriment sur internet (un média qu’ils ne parviennent pas à contrôler), ils augmentent encore le crédit victimaire dont les palestiniens jouissent, et l’opprobre contre eux-mêmes (14). Dans la guerre insurrectionnelle, qui est d’abord une guerre de communication, ils donnent des armes puissantes à leurs ennemis, sans compter le fait que les populations, autrefois anesthésiées par le Fatah collaborationniste, se tournent aujourd’hui vers le Hamas très rapidement, et adoptent des modes d’action beaucoup plus dynamiques.

A la frontière du Liban, comme à celle de la Syrie, les adversaires d’Israël, soldats du Hezbollah voulant tester leurs adversaires, ou de l’armée syrienne convoitant la reprise du Golan, mènent une guerre intelligente. Ils se gardent bien de créer les conditions d’un véritable conflit de haute intensité, qui permettrait à Tsahal de justifier de sa position défensive, donc victimaire, et d’appeler les USA au secours. Au lieu de cela, ils maintiennent un conflit de basse intensité, à base de bombardements sur les zones tampons, suffisants pour « fixer » une partie des soldats de Tsahal (ce qui empêche les conscrits de rentrer chez eux pour travailler), et pour obliger les populations israéliennes limitrophes à quitter la zone, avec le coût et la désorganisation que cela induit. Ils confirment ainsi, en choisissant une forme de guerrilla plutôt que la guerre ouverte, le statut prédateur d’Israël et victimaire de la Palestine, ce qui est le cœur de sa stratégie.

La question économique

La question économique n’est pas la moindre de celles qu’Israël doit résoudre. Elle comporte plusieurs aspects :

L’un des principaux est le fait que l’activité est aujourd’hui très mal en point. A cela contribuent de nombreux facteurs :

  • les soldats, qui sont pour la plupart des conscrits, manquent à leurs entreprises dès lors qu’ils sont mobilisés, au nord, en Cisjordanie ou à Gaza.
  • les travailleurs palestiniens, y compris gazaouis, ne sont plus employés, ce qui appauvrit l’agriculture, les ateliers et les usines israéliennes
  • les tirs, jamais cessés, du Hamas sur Israël, maintiennent une atmosphère d’insécurité néfaste pour l’activité et l’économie en général.
  • Dans de telles conditions, avec une armée faite de soldats occasionnels qui forment, le reste du temps, la force de travail du pays, plus la guerre durera, plus le pays s’enfoncera dans la crise économique.

Un autre aspect est le fait qu’Israël, par une propagande appropriée, avait su créer le mythe d’un pays moderne et sûr, avec une économie basée sur des technologies très performantes. Cette assertion était d’autant plus étonnante (et la stratégie réussie !) que la prédation sur les terres palestiniennes, l’occupation et la répression auraient dû classer l’endroit, au contraire, comme très aléatoire et dangereux. La guerre de Gaza et ses conséquences ont, là aussi, fait voler le mythe en éclats. Avec l’explosion de l’image et de la réputation du pays, due au bombardement massif et indiscriminé des civils, quel investisseur, demain, osera venir y investir ? Il risquera fortement le boycott. Ces 80 jours de guerre atroce, que l’attaque initiale du Hamas ne pouvaient aucunement justifier, viennent de tuer pour très longtemps les perspectives d’avenir économique  pour Israël.

Et pour couronner le tout, les ports israéliens sont vides, car les Houtis yéménites ont transformé le détroit de Bab el Manded en une zone dangereuse, de telle sorte que nombre de navires à destination d’Israël sont attaqués ou craignent de l’être, et doivent faire le grand tour de l’Afrique pour atteindre le pays. Une perte importante de revenus en plus, et une menace qu’une « armada » internationale n’arrêtera en aucune façon, tant les conflits récents, et en particulier l’utilisation des drones, ont changé les standards de la guerre, et renforcé considérablement le pouvoir de nuisance des faibles par rapport aux forts.

Tous les éléménts, plus l’achat des armes fournies par l’Amérique, vont rendre le coût de cette guerre encore plus prohibitif. Chaque mois qui passe paralyse un peu plus le pays et l’entraîne vers le fond.

François Martin  

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