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La Grande Démission, quel impact ?

Par Francis Jubert

Il n’est question autour de nous que du « Grand Remplacement » théorisé par Renaud Camus et dont Éric Zemmour fait aujourd’hui son miel, de la « Grande Réinitialisation » (parfois nommée en français « Grand Reset ») promue par le forum de Davos qui alimente ad nauseam les controverses sanitaires du moment, de la « pensée Woke » façon Sandrine Rousseau, sans parler de l’« enfer numérique » que nous promet Guillaume Pitron et dont le passe vaccinal est une bonne illustration. 

Avec tous ces vocables plus abscons les uns que les autres et qui envahissent la langue française comme autant de corps étrangers, nous sommes bien loin de ce merveilleux jardin des mots auquel tenait tant celle qui se défiait par-dessus tout de la « pensée complexe » chère à Edgar Morin, je veux parler de Jacqueline de Romilly. 

Qu’aurait pensé alors cette dernière de l’expression « La Grande Démission » (en anglais « The Great Resignation », « Big Quit ») utilisée pour désigner un phénomène qui commence à voir le jour en France ? L’hebdomadaire Le Point  en a fait son dossier de Une cette semaine. C’est dire l’importance que prend ce phénomène qui a commencé à sévir aux États-Unis l’année dernière où des salariés ont démissionné de leur emploi dans des proportions jamais connues. 

En novembre 2021, plus de 4,5 millions de démissions ont en effet été enregistrées aux États-Unis, selon le Bureau des statistiques du travail. Personne n’avait vraiment anticipé ce phénomène qui est arrivé relativement soudainement. Anthony Klotz, professeur associé de management à l’Université A & M du Texas, fait remonter à 2020 leur projet de démission qu’ils n’ont mis à exécution, selon lui, qu’un an plus tard, en raison de la pandémie.

Plus inquiétant encore du fait même de l’ampleur du phénomène mais aussi parce que cela concerne des actifs éminemment stratégiques, 3/4 des cadres de la « Tech » américaine envisageraient de démissionner de leur poste (émission Be Smart de Stéphane Soumier du 11 décembre 2021). La crise du coronavirus semble avoir agi comme un révélateur conduisant de nombreux cols blancs américains, au premier chef les ingénieurs californiens, à s’interroger sur leurs priorités. 

Etrangement, surtout quand on sait l’importance qu’attache cette population à son niveau de vie, ce n’est pas pour disposer de davantage de ressources ou d’un statut plus flatteur qu’elle se dit prête à démissionner mais parce qu’elle se sent davantage motivée par la nature des projets auxquels elle souhaite être associée, par  l’intérêt intrinsèque de la mission qui lui sera confiée,  par la localisation et les modalités d’exercice de l’activité envisagée. Elle souhaite aussi pouvoir mener à bien des projets plus personnels et concilier vie familiale et vie professionnelle. Désormais, c’est la recherche de nouveaux défis professionnels et la quête de « sens » qui prime.   

Comme on le voit souvent, ce qui se passe aux États-Unis préfigure ce qui va se passer en France. Les signes avant-coureurs d’une « Grande Démission » sont déjà là.  Nous sommes à l’aube d’une révolution dans le monde du travail qu’illustre d’ailleurs assez bien cette idée d’entreprise à mission, à ceci près que cette fois ce sont les salariés eux-mêmes qui, pour des raisons comparables à celles qui ont cours aux États-Unis, prennent en main leur destin et décident de modifier leur rapport au travail. 

S’ils n’obtiennent pas gain de cause auprès de leur employeur, inutile de chercher à les retenir, ils le quittent pour trouver ce qu’ils cherchent, mais ailleurs. Le travail devient un engagement qu’on questionne, qu’on remet en cause.  Une enquête récente sur « les millenials et la génération Z » publiée par Dynamique-mag atteste cette tendance à choisir son travail et à ne pas accepter n’importe quel poste : 44% des milléniums et 49% de la génération Z  déclarent avoir fait des choix sur le type de travail qu’ils sont prêts à faire et les organisations pour lesquelles ils sont prêts à travailler en fonction de leur éthique personnelle.

Imaginons un instant l’impact qu’aurait sur les entreprises de la « Tech » française qui connaît déjà une véritable « guerre des talents », l’explosion des Départs volontaires pour cause de non-alignement du projet d’entreprise avec les aspirations qui sont celles de ces nouvelles classes d’âge qui aspirent à travailler différemment et sont prêtes à changer d’employeur aussi souvent que leurs aspirations et questionnements sur le sens de leur travail ne sont pas satisfaits. 

L’industrie du numérique, qui est un secteur en tension, n’est absolument pas préparé à absorber ce choc « éthique ». Cette industrie emblématique du futur est, pour une part, responsable du phénomène auquel elle est aujourd’hui confrontée comme le sont (ou le seront demain) tous les autres secteurs d’activité qui ont d’une certaine manière renversé le pacte social qui les unissait à leurs collaborateurs. 

A elles d’entreprendre une véritable métanoïa pour s’assurer de la fidélité de leurs collaborateurs. Il appartient aux entreprises de notre pays de renouer avec leur vocation première et de faire en sorte que leurs collaborateurs soient reconnus et positionnés dans un cadre qui fasse sens pour eux et leur permette de vérifier la correspondance effective de leur mission avec la raison d’être que l’entreprise aura pris la peine d’articuler. 

Francis Jubert

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