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Eugénie Bastié, les idées et les autres

par Jean-Gérard Lapacherie, agrégé de lettres, professeur émérite de langue et littérature française

«Journaliste aux pages Débats et Opinions du Figaro, j’ai la chance de suivre de très près les remous de la vie intellectuelle française », écrit Eugénie Bastié. Elle aime cette vie intellectuelle faite de discussions, de débats, de références savantes, de thèses, de polémiques, parfois d’invectives, et qui lui semble spécifique de la France, comme un marqueur d’identité. De fait, la description qu’elle en fait est précise, impartiale, exhaustive, utile à ceux que l’intelligentsia laisse indifférents ou de marbre. Elle replace les idées dans le contexte social ou idéologique dans lequel elles émergent, sans cacher la passion militante qui les enflamme, et elle s’efforce de penser cette vie intellectuelle, d’en rappeler l’histoire depuis l’affaire Dreyfus et d’en saisir invariants et évolutions. Trois grands moments sont distingués dans trois chapitres successifs : Du débat au combat (la vie intellectuelle, c’était mieux avant ?) ; Le grand retournement (les « réacs » ont-ils gagné la bataille des idées ?) ; Nouvelles fractures intellectuelles (de la bataille de l’Histoire au retour de la race). Aux questions des deux premiers chapitres, les réponses sont nuancées : « avant », quand le marxisme dominait les débats, le sectarisme le plus étroit était de règle, entravant tout débat ; les « réacs » auraient gagné la bataille des idées, mais à l’université, dans les media, dans la culture, dans le show-biz, dans la recherche, les dominants sont toujours les mêmes, et ils ne sont ni de droite, ni réacs, ni conservateurs. Eugénie Bastié a le grand mérite de montrer que la vie intellectuelle, avant d’être une aventure de l’intelligence, se résume souvent à des étiquettes. Intellectuel médiatique, polémiste, etc. sont des armes verbales qui nuisent ou discréditent un penseur ou un courant de pensée. De ce point de vue, elle n’est pas dupe de la floraison des éléments de langage qui sont en usage chez les intellectuels. Ainsi, la post-vérité est une conséquence de l’activité des intellectuels de l’ère du soupçon, de la déconstruction, du relativisme généralisé, mais ces mêmes intellectuels ont reproché à Trump d’avoir eu recours au monstre qu’ils avaient conçu. Les idées ont une pertinence quand elles sont liées à des faits ou quand elles éclairent des réalités. Or, les intellectuels sont friands d’idées qui ne réfèrent qu’à elles-mêmes ou à leur propre corpus idéologique, c’est-à-dire à des ombres : en bref, elles se ramènent à de pauvres slogans qui n’engagent à rien – rhétorique qui est à elle-même sa raison d’être et sa propre fin. Le livre se clôt sur un épilogue de dix pages dans lequel Eugénie Bastié tresse des lauriers à la vérité, au dialogue, à la raison et à Roger Scruton, mort en 2020 et qui toute sa vie a pensé contre la modernité, à contre-courant de son époque.

Eugénie Bastié, La Guerre des idées -Enquête au cœur de l’intelligentsia française (Robert Laffont, 2021).

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