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Scandale Orpea : la dignité dans tous ses états

Par Francis Jubert

Décidément, la dignité a bon dos. C’est au nom de la dignité de nos aînés que l’on dénonce la maltraitance dont sont victimes les résidents du groupe d’Ephads privés ORPEA et, hier, tous ceux qui ont été assignés à résidence, soi-disant pour les protéger du coronavirus. C’est au nom de cette même dignité que l’ADMD revendique le droit pour tous au suicide médicalement assisté, l’autre nom de l’euthanasie.

    Avant de chercher les raisons de cette indignation compassionnelle de façade dont les politiques se sont fait une spécialité, on ne remerciera jamais assez Victor Castanet, journaliste d’investigation indépendant, de s’être rendu sur le terrain pour enquêter – trois années durant- sur le sort réservé à nos aînés dans les Ehpads et, aujourd’hui, de témoigner de ce qu’il a vu sur le terrain au risque d’être traduit devant les tribunaux pour diffamation par les dirigeants d’ORPEA. 

Son livre, Les Fossoyeurs, révélations sur le système qui maltraite nos aînés, fait d’autant plus l’effet d’une bombe qu’il vient immédiatement après la sortie du livre-événement de Michel Houellebecq, Anéantir, qui relate l’exfiltration d’Ephad d’un aîné abandonné à lui-même alors qu’il était bien traité dans l’unité de soins spécialisés du même établissement : « ce qu’il faut, maintenant, c’est qu’on sorte papa de cet hôpital l […], et dans les plus brefs délais, sinon son état va s’aggraver rapidement , et il n’en sortira pas vivant ».  

Après s’être consultés, ses enfants ont décidé d’obtempérer à l’injonction de la compagne de leur père (« il faut le tirer de là sinon ils vont le tuer ») et de le rapatrier chez lui en faisant appel aux services du « CLASH, Le comité de lutte contre l’assassinat en hôpital ». Ce faisant, la fratrie va briser l’omerta, ce silence honteux derrière lequel nous nous réfugions pour ne rien faire alors que nous sommes tous pour l’essentiel bien informés de ces dérives.

Nous ne voulons pas voir ces maltraitances, c’est plus simple. « C’est nous qui sommes indignes » a pu écrire Maître Le Morhedec (Fin de vie en République). Nous – au sens collectif du terme – qui ne nous comportons pas de manière ajustée vis-à-vis de nos aînés que nous abandonnons à leur triste sort sans nous soucier des professionnels du lien social qui travaillent de manière invisible auprès des personnes vulnérables ; nous qui, arrivés aux Affaires, repoussons aux calendes grecques faute de courage cette Loi « Grand âge et autonomie » qui devait s’intituler initialement « Générations solidaires ». 

Michel Houellebecq : « Nous ne supportons plus les vieux »

Eux, ils ne se sont pas contentés de faire semblant de découvrir que les choses sont ce qu’elles sont, à savoir « indignes », ils sont passés à l’acte et ont fait en sorte de sauver leur père d’une mort certaine faute de soins appropriés. Ils se sont assurés manu militari que son droit à vivre dans la dignité ne soit pas bafoué au quotidien, en tout cas pas avec leur assentiment par l’Institution. 

En un mot, ils ont posé un acte de résistance et marqué leur refus de cette mutation anthropologique radicale que dénonce dans son livre Michel Houellebecq : «  nous ne supportons plus les vieux, nous ne voulons même pas savoir qu’ils existent, c’est pour ça que nous les parquons dans des endroits spécialisés, hors de la vue des autres humains »

Houellebecq  voit dans ce déni de vieillesse caractérisé par l’exclusion des  vieux, mais aussi dans notre incapacité à gérer la transition démographique (en 2060, 1/3 de la population française aura plus de 60 ans) la vraie raison de l’euthanasie: notre société ne se sentant plus capable d’assurer à ses aînés, en Ehpad ou ailleurs, un traitement qui soit véritablement respectueux de leur dignité, ne voit pas d’autre solution à leur offrir que cette « dignité » terminale, celle-là même promise par l’ADMD comme une liberté ultime. 

La dignité comme une valeur

Cette solution terminale, aboutissement de l’idée selon laquelle la dignité pourrait se perdre, pourrait bien  devenir une triste réalité si nous ne comprenons pas avec Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale,  que dans les établissements où sont accueillis nos aînés – quand ils ne peuvent/veulent plus rester chez eux – « la dignité doit impérativement être considérée comme une valeur et non pas seulement en termes de coût à pondérer en économisant sur tout, au même titre que la qualité de vie des résidents et les conditions d’exercice professionnels ». 

Il est temps que les candidats à la Présidentielle 2022 se souviennent de ce qu’écrivait en 2015 Jean-Frédéric Poisson dans le contexte précisément des débats sur la fin de vie  de l’époque à propos de la dignité de la personne et des droits qui lui sont afférents, notamment ceux de vivre ou de mourir dans la dignité dans son acception la plus noble du terme : «  La dignité d’un être humain ne se perd jamais, à aucune condition et dans aucune circonstance. C’est la condition pour être un sujet de droit. » (Personne ne doit mourir seul) 

C’est à l’aune de cette vision de la personne humaine que celui qui brigue le suffrage des Français devra prendre demain à bras le corps la question de la transition démographique et choisir avec eux, qu’ils soient jeunes et performants ou âgés et fragiles, la  vie plutôt que la mort.

Francis Jubert

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