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Retour aux origines – la question des indiens d’Amérique

Rencontre avec Olivier Germain-Thomas auteur de Du Fuji à l’Athos : par l’Amérique

Propos recueillis par Patrick Pommier

La vérité de toutes choses est dans son commencement », disait Platon. Or, le commencement des États-Unis d’Amérique est terrible : le « génocide indien » ou, comme on voudra, l’extermination des civilisations indiennes. Ecrivain-voyageur, Olivier Germain-Thomas appartient d’abord à la vieille tradition d’auteurs pour lesquels le voyage est une inlassable quête spirituelle : profondément ancré dans ses racines corréziennes, il part, revient et repart sans cesse pour l’Asie, approfondissant toujours plus les racines de ces autres mondes que sont l’Inde, la Chine, le Japon… et même les États-Unis. Ami d’André Malraux, fondateur, en 1971, de l’Institut Charles de Gaulle (qui deviendra Fondation Charles de Gaulle), longtemps animateur de la célèbre émission « For intérieur » sur France Culture, Olivier Germain-Thomas, que l’on pourra mieux connaître en regardant les deux « Conversations du Nouveau Conservateur» que lui a consacrées récemment TVLibertés, montre que c’est peut-être en le regardant de loin, d’Orient ou d’Amérique, que l’on comprend le mieux le message gaulliste – et la France. Nous rendons compte ici de son dernier ouvrage, Du Fuji à l’Athos : par l’Amérique (éd. Gallimard – collection Le Sentiment Géographique), et l’avons interrogé sur ses rencontres avec quelques Indiens dans une réserve de l’Arizona…

Olivier Germain-Thomas

Vous racontez avec moult détails votre séjour dans un centre Hopi d’une réserve Navajo, en particulier votre mésaventure durant une « fête des Paniers » dansée par des femmes. Pourriez-vous revenir sur cet épisode – et plus largement sur les particularismes que préservent vaille que vaille les Amérindiens – certains plus que d’autres, d’ailleurs… ?

Emporté par un élan tout spirituel vers les civilisations asiatiques, principalement indiennes et japonaises, je ne m’étais jamais arrêté sur les cultures des Amérindiens. Le dessein de ce nouveau voyage était de poursuivre mon tour du monde par voies terrestres et maritimes, et suis parti du Japon afin de retrouver cette fois l’Europe par l’Ouest. Bateau jusqu’en Chine, cargo à travers le Pacifique de Xiamen jusqu’à Los Angeles, traversée des États-Unis jusqu’à Charleston, second cargo pour traverser l’Atlantique (une tempête, mais nulle sirène…), enfin le foyer – avant le Mont Athos qui brille des feux et de l’encens du christianisme oriental : la boucle était bouclée. Les deux premières étapes de la lente communion avec notre planète avaient donné La tentation des Indes (Folio) et Le Bénarès-Kyôto (Folio). L’Asie, donc. Sans ignorer les Amérindiens, je les avais observés distraitement, de loin.

Au cours de cette nouvelle étape, ils ont nourri ma curiosité et mes doutes. Les ayant découverts sur le tard, j’ai été partagé entre la conscience de leur situation tragique et l’admiration pour leur volonté de continuer à faire vivre coûte que coûte un peu de leurs traditions, notamment les Hopis. Grâce à des amis français spécialistes des Amérindiens, j’avais été autorisé à assister à la « danse des paniers » dans un village hopi. On m’avait prévenu : pas de photos, ce qui est normal chez des peuples qui voient une magie maléfique dans l’emprisonnement d’un visage (d’une âme) sur du papier. Mais dès le début de la cérémonie, j’ai sorti un bout de papier afin de noter les pas de danse et les couleurs des vêtements. Sacrilège ! Je transgressais un interdit que j’ignorais. Je passe sur les péripéties qui ont failli m’envoyer en prison. Après le choc, le temps de la réflexion est arrivé. Considérer qu’écrire peut, dans certains cas, devenir une prédation propose une question féconde : un mot, une emprise. J’ai appris que, en présence du sacré, la plume doit rester silencieuse. Nous savons par ailleurs qu’écrire est se mettre soi-même en danger – on accepte le risque ! Mais on doit éviter d’arracher un morceau de peau chez les autres.

Toujours à propos des Amérindiens, vous décrivez leur extraordinaire harmonie avec la nature et la « parole sacrée de la terre », allant même jusqu’à écrire que « leur dernier souffle enseigne encore une spiritualité liée à la nature ». Comment pourriez-vous, trois siècles après le début de leur soumission, qui confina d’ailleurs à l’extermination, décrire cette résistance à la modernité – résistance qui prouve une fois de plus la formidable force archaïque des civilisations, que votre vie d’écrivain voyageur a si souvent admirée et décrite au fil de vos voyages en Asie ?

Prisonnière de médiocres politiques dont la tendance vers l’absolutisme s’accentue, l’écologie est mal partie. Certes, le retour à ces millénaires pendant lesquels l’humain a vécu en étroite harmonie avec la nature est un rêve aussi naïf que lâche, mais il nous est donné de pouvoir capter l’esprit d’une communion avec les éléments comme l’ont vécu les sociétés « premières. » Il ne s’agit pas de mieux respecter la nature parce que nous la voyons en colère contre nos abus, mais de recevoir le sacré d’un arbre, d’une source ou d’un rocher. Rappelons qu’un des plus sublimes écrivains français du XXe siècle, Paul Claudel, que des ignorants ont cherché à rabaisser (son catholicisme, sa sœur, son habit bourgeois…), a compris en profondeur le shintô du Japon mieux que tant de bavards. Oui, les cultures animistes peuvent redonner un élan à notre vie intérieure dramatiquement agressée par le système financier mondial dont le dessein avoué est de faire de l’homme un consommateur uniformisé chez qui rien de sacré ne vibre. Sur notre planète fatiguée, certains habitants sont radicalement coupés de la nature, jusqu’à être « coupés de la coupure », dans l’ignorance qu’ils sont privés de sa saveur. La situation est tragique mais, évidemment, l’Esprit reste invincible. Il a besoin de nous. Nous avons besoin de le retrouver dans le génie de la Nature. Devant nous s’ouvre l’écologie spirituelle.

Acceptez-vous le mot « génocide » pour nommer la destruction des peuples autochtones et des cultures amérindiennes par les conquérants européens, et les fameux meurtres collectifs, directs ou indirects, persécutions perpétrées contre des villages, des tribus ou des ethnies amérindiennes, mauvais traitements, épidémies, etc… Quel serait le mot juste ? Il y a bel et bien disparition de civilisations entières…

Blaise Pascal disait : « Je ne dispute jamais du nom, pourvu qu’on m’avertisse du sens qu’on lui donne. » Je ne sais si le mot génocide, pris dans son sens juridique tortillé par des instances internationales, s’applique à la quasi[1]destruction des différentes tribus d’Amérique du Nord. L’indiscutable réalité est que, pour s’étendre, les envahisseurs anglo-saxons ont massacré les autochtones avant, remords tardif, de concéder aux survivants des droits limités, et des réserves. Ce n’est pas parce que l’histoire connait des cas similaires que le phénomène doit être classé sans suite. C’est une tache sur l’Amérique ; elle ne peut être effacée. Elle peut être métamorphosée : on sent chez certains écrivains américains que ce drame joue une partition grimaçante qui les trouble (en sortira-t-il du positif ? je pense entre autres à Dalva de Jim Harrison dont le talent touche à l’épopée). Ce que je sais, c’est que tout ce qui intègre l’esprit des mythes appartient à un ordre supérieur, tout ce qui vient du plus lointain passé compte, d’une manière ou d’une autre. L’Odyssée reste le chant vivant de la Grèce archaïque qui a grandi les siècles suivants… Pour en revenir aux Amérindiens, leur modèle d’une relation intime avec les forces de la nature manque beaucoup, dans le monde d’aujourd’hui. Un texte écrit par eux serait d’une fécondité révolutionnaire. Aux westerns à la morale simpliste, toujours élaborée d’un seul côté, répondrait, si seulement il avait été écrit, le livre épique de leur relation à la terre et aux forces invisibles. Je l’ai vu dans leur cœur, ce livre ; il ne fait aucun doute que leur drame compte, obscurément…

Retrouvez la suite de cet entretien dans le numéro IX du Nouveau Conservateur

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