Par Philippe de Saint Robert
L’auteur de La Mémoire du fleuve (Phébus et Libretto) et de Carnets de Guyanne (Transboréal) publie le troisième volume de son journal intime et littéraire. Après Sacrée jeunesse (1958-1962) et L’Abondance et le rêve (1963-1966), voici Nous étions trop heureux (1967-1970).
À la fin de ce dernier volume, on trouve ces mots : « Le Journal est un régulateur des humeurs, courage, démissions, reprises…(…) Vrai aussi qu’il serait vital, à mon âge (la trentaine), de ne pas se refermer, essayer de ne pas mourir fossile ! À devoir faire un jour la foire, je me verrais bien en gauchiste de droite. »
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L’agrément des journaux d’écrivains, c’est qu’ils nous font revivre les temps oubliés, les amis perdus, et nos propres pensées égarées. Le journal que publie Christian Dedet, Nous étions trop heureux va de 1967 à 1970, des années foisonnantes à tous égards. D’abord, dans la vie de l’auteur (qui se marie) mais aussi de la France, Dedet étant encore de ces écrivains qui non seulement s’intéressent à la France mais vivent intérieurement tout ce qui lui arrive. C’est dire avec quelle inquiétude il traverse les événements de mai 68, le sursaut gaulliste, la mise en patience de Pompidou, puis le départ et la mort du Général. On se retrouve bien dans ces périodes.
Cette période est aussi celle où le Dr Dedet s’installe à Châtel-Guyon. Être médecin dans une ville thermale, c’est le rêve pour un médecin qui veut aussi être écrivain six mois par an. Il voyage, il exprime des opinions politiques : « Après avoir coulé le Midi viticole, le Marché commun finira-t-il par tuer la production fruitière du Roussillon ? » Il n’est jamais dupe de ce qui se passe.
« Vagabond, libertin. amoureux… »
Dedet parcourt aussi ses amitiés : Maurice Ronet, les Delteil, les Fabre-Luce (récit d’un somptueux déjeuner avenue Foch), les Bertrand (Andrée Martinerie), les Philippe Sénart, les Smadja, Philippe Tesson, Henry Chapier, l’aventure finissante de Combat, Pierre Emmanuel, Gabriel Matzneff. Le 26 novembre 1968, Dedet écrit : « J’envie parfois cette liberté d’errant perpétuel qui est celle de Matzneff tout en sachant pertinemment que je serais bien incapable d’assumer l’insécurité qu’elle implique. Au fond, l’idéal de liberté, pour moi, consiste à bouger et à écrire à satiété, tout en assurant ma vie sociale par l’exercice bien calibré d’un métier que j’aime. Bien sûr ce n’est pas de la sorte qu’on devient un « poète maudit ». La page suivante, il se dépeint « vagabond, libertin, amoureux, dilettante à mes heures ; d’autant plus libre et heureux de l’être que me sentant pourvu. »
Ces quatre années de bonheur nous promènent agréablement dans ce rêve d’une jeunesse qui s’éloigne avec les Trente Glorieuses…
P.S.R.
Nous étions trop heureux, Journal 1967-1970, Les Éditions de Partis – Marc Chaleil, 374 pages, 20 €.