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Jean-René Huguenin, soixante ans après

par Gilles Brochard

Soixante ans après la disparition tragique à 26 ans de l’écrivain Jean-René Huguenin, les éditions Bouquins publient un volume de son œuvre intégrale avec de nombreux inédits. Autre événement : le 14 octobre dernier a été décerné à l’hôtel littéraire Le Swann (Paris 8e) le premier prix Jean-René Huguenin au romancier Pierre Adrian, pour son livre Que reviennent ceux qui sont loin (Gallimard). L’acteur Pierre Arditi, le président d’honneur, lui a remis un chèque de 1.500 € ainsi qu’un dessin inédit d’Hubert van Rie représentant l’auteur de La Côte sauvage et du Feu à ma vie.

Nous avons voulu donner la parole au président et au secrétaire général du prix, Maxime Dalle et Archibald Ney. L’occasion aussi de rappeler l’importance capitale du Journal de celui qui notait en mars 1958 ses quatre grands desseins à réaliser avant de mourir : « Faire une oeuvre – Vivre avec grandeur, honneur et beauté – Avoir le plus de passions possible – Fonder une aristocratie spirituelle, une société secrète des âmes fortes. » Ajoutant ces deux axiomes à méditer : « Ne méritent le nom d’homme que ceux qui savent ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent devenir », « Non pas rêver ma vie, mais faire vivre ses rêves. »

« Une grande exigence envers lui-même »

En remettant son prix à Pierre Adrian, Pierre Arditi a déclaré : Nous n’avions pas la même sensibilité politique mais j’en avais strictement rien à foutre. Cela m’était complètement égal : je me suis ressuscité en lisant ce jeune homme en colère, une sorte de frère qui allait m’accompagner toute ma vie…  J’ai retenu notamment cette phrase puisée dans son journal : La virilité, c’est de ne pas être dupe de soi-même. J’essaie d’en faire une règle de vie. Le journal d’Huguenin est sur ma table, il n’en sortira jamais. Il y a son Journal et il y a La Côte sauvage, il y a un certain nombre de ses lettres que j’ai pu me procurer en salle des ventes que je garde précieusement…. dont je ne me séparerai qu’à ma mort. » Et dans sa réponse à l’acteur, Pierre Adrian, natif de Saint-Cloud, comme Huguenin, s’est exclamé : « Je trouve que mon livre a quelque cousinage avec La Côte sauvage. Je vois en Jean-René Huguenin comme un grand frère, mais maintenant que je suis plus vieux que lui, un petit frère… Un homme qui semble avoir une pureté, une grande exigence envers lui-même, donc envers les autres, et je me reconnais dans certains états d’âme qu’il décrit dans son journal. J’en ai retenu cet extrait où il dit simplement, un 9 juillet : « Extrêmement fatigué, un peu triste, envie d’aimer, envie d’aimer… ». C’est la simplicité même. Je suis déjà un écrivain qui vieillit et Jean-René Huguenin, lui, est toujours jeune. »

Questions de Gilles Brochard posées à Maxime Dalle, président du prix Jean-René Huguenin, et à Archibald Ney, secrétaire général du prix.

1 – Pouvez-vous nous raconter la genèse du prix Jean-René Huguenin ?

Tout est parti d’une récente résurrection littéraire de Jean René Huguenin. C’était en janvier 2016. Notre revue littéraire, Raskar Kapac, lançait alors son premier numéro sous les auspices de cet écrivain « aigu et intense » mort tragiquement à 26 ans en 1962.  

Vingt ans… Un âge où parfois, vous pouvez avoir l’impression d’être profondément isolé, où vous êtes hantés par la peur de ne pas être à la hauteur de la soif spirituelle qui vous dévore. Et là, vous tombez par hasard sur des phrases foudroyantes trouvées dans le Journal de JRH : « La peur procède de la honte. Il n’y a pas de peur sans honte. » Ou encore : « Nous devons notre force à toutes nos douleurs. » Et alors vous vous relevez immédiatement, car vous avez ce sentiment d’avoir enfin rencontré cet acolyte si longtemps recherché. 

Et puis, il y a eu cette rencontre décisive avec Jacqueline Huguenin, la sœur de Jean-René. Elle nous avait grandement aidé dans l’élaboration de ce premier numéro en nous confiant de superbes textes inédits. Il y a quelques mois (peut-être était-ce au printemps dernier), c’est elle-même qui nous a proposé la création de ce prix littéraire afin de rendre hommage à la mémoire de son frère disparu. Par fidélité à Huguenin, nous avons accepté et constitué dans la foulée un jury éclectique de passionnés. Le but que nous nous sommes fixés pour le prix est de consacrer, chaque année, un jeune auteur irradié par les flammes hugueniniennes, c’est-à-dire : un mélange de colère, de révolte, de compassion, ainsi qu’une volonté irrésistible de créer, quel qu’en soit le coût. Alors, avec les douze membres de notre jury [1], en véritables disciples de Jean-René, nous avons établi une première sélection, puis une deuxième, et avons élu le premier lauréat de cette édition 2022 le 14 octobre dernier à l’Hôtel Swann : Pierre Adrian pour son beau roman breton paru chez Gallimard, Que reviennent ceux qui sont loin [2]

2 – Comme Jean-René Huguenin qui participa à la création de la revue Tel Quel, est-ce qu’on peut dire que vous avez voulu vous aussi avec Phalanstère et Rascar Kapac vous mêler à la vie littéraire en dehors des modes et des conventions ?

Drieu et Artaud avaient été intrigués, fascinés par le mouvement surréaliste, par cette stimulation mutuelle entre jeunes créateurs avant de quitter André Breton (en bons schismatiques qu’ils furent) pour suivre leur trajectoire singulière. Jean-René avait suivi exactement le même chemin. Il ne supportait pas d’être assujetti à une chapelle, à un collectif trop doctrinal. Il voulait pouvoir exprimer pleinement son talent, notamment à travers le genre romanesque qui demande une discipline très forte et qui nécessite une réclusion totale. Raskar Kapac comme Phalanstère regroupent des plumes contradictoires, des individualités fortes et talentueuses. Nous sommes, à la manière d’Huguenin, des inactuels qui nous retrouvons le temps d’un numéro, bien loin des modes frivoles (« ces bulles de savon ! » disait Montherlant) et des grappes militantes. Nous sommes d’ailleurs à la manière de Corto Maltese et avançons, comme Jean-René, avec notre impérialisme artistique chevillé au corps. 

 « L’héritage d’Huguenin : l’intransigeance »

3 – 60 ans après sa mort tragique dans un accident de voiture à l’âge de 26 ans, pensez-vous que Jean-René Huguenin soit un exemple littéraire pour les nouvelles générations et si oui quel est-il ?

Huguenin nous laisse un héritage qui pourrait tenir en une seule acception : l’intransigeance. Il avait la haute conscience que l’écriture était une vocation totale, nécessitant des sacrifices terrifiants. Chaque heure gagnée pour l’élaboration de son roman, La Côte sauvage, était pour lui une grande victoire. Huguenin a la fougue rimbaldienne dans le sang. Il ne fait aucun compromis avec les sempiternelles excuses de la quotidienneté accaparante. Il connaissait, comme nous tous, la tentation des moments faciles, des agapes enivrantes et des rencontres joyeuses… Mais il avait ancré en lui cette volonté permanente de ne rien céder. Que nous dit son Journal ?

« Je sais d’abord que ce que l’on appelle les caprices du sort ne tient qu’à l’inconstance de nos désirs. Il n’est pas de souhait ici-bas qu’une volonté forte ne puisse exaucer. Un empire souverain sur moi-même me livrera le monde. Il s’agit donc de tuer tout ce qui m’encombre, de me refuser toute complaisance, toute concession, tout confort inutile, de m’imposer enfin de vivre, sans répit. »

 Il y a un élan érémitique chez Huguenin, un sur-stoïcisme nietzschéen, un désir de « grande santé » qui nous poussent à emprunter les chemins escarpés plutôt que d’épouser les acclamations mondaines avec ses insoumissions et ses révoltes de carnaval.

4 – Les éditions Bouquins viennent de sortir ses œuvres complètes dont des romans et des textes inédits. Est-ce que la légende de Jean René Huguenin continue à être entretenue ?

A chaque fois qu’un écrivain comme Pierre Adrian ou Sébastien de Courtois (lire son beau livre paru chez Stock : L’ami des beaux jours) parviennent à nous arracher de l’inertie terrestre pour des mondes tragiques et enfouis, alors c’est une nouvelle victoire sur la médiocrité et la laideur. Le récit fabuleux des grandes amitiés, des amours de jeunesse, tous ces souvenirs d’enfance qui sont pour les artistes des sources inépuisables d’inspiration… Le dossier d’inédits qui vient agrémenter cette intégrale Huguenin est une mine d’or. On y découvre les premiers romans de Jean-René écrits à l’adolescence. Ce sont les manuscrits d’un être brûlé par l’éclair poétique. Jean-René est, définitivement, un génial prématuré.  

Quant à la légende d’Huguenin, elle restera vivace jusqu’à l’apocalypse car son œuvre brève est immémoriale. Elle parle et parlera encore à tous les assoiffés, de toutes les époques, à tous ceux qui refusent la vie arithmétique. Et puis nous serons là, nous, les membres de ce jury, de Pierre Arditi à Gilles Brochard, pour perpétuer son souvenir. 

Mais laissons, si vous le voulez bien, le dernier mot à Jean-René qui écrivait dans ses carnets en 1956 (il avait alors juste vingt ans) : « Je ne suis pas sur terre pour me ménager afin de mourir plus confortablement. Ma mission d’écrivain et d’homme m’interdit de participer à ces rires qui, sitôt nés, s’évanouissent et laissent la place à d’autres rires éphémères. Le goût des choses périssables est sacrilège. Je veux agrandir mon âme de tout ce que je refuserai, consacrer ma vie à affirmer que je suis libre, et mourir dans l’amour des choses qui demeurent. »

  • La Côte sauvage, Journal, Le Feu à ma vie, suivis de romans et textes inédits. Édition établie par Olivier Wagner.Préface de Michka Assayas, 1199 pages, 32 €.
  • Que reviennent ceux qui sont loin, de Pierre Adrian, Gallimard, 181 pages, 20 €.

Pour découvrir les revues littéraires Raskar Kapac et Phalanstère :

www.raskarkapac.com

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