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Hommage à Pierre-Guillaume de Roux

Par Gilles Brochard

L’éditeur jugé trop souvent comme « sulfureux », vient de nous quitter à 57 ans des suites d’une maladie. On lui doit une carrière exemplaire qui le conduisit à publier des auteurs aussi différents que Richard Millet, Roland Jaccard, Rémi Soulié ou Alain de Benoist. Il incarnait une certaine éthique de l’édition française, en filiation avec les fulgurances de son père, Dominique de Roux.

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Il est des hommes d’exception qui par leur disparition soudaine nous laissent dans un désarroi proche de l’accablement. Pierre-Guillaume de Roux était de ceux-là, aventurier des lettres, qui plongé dès son jeune âge dans la bibliothèque de son père, Dominique de Roux, s’était ainsi immergé dans les livres comme on nage très tôt dans le grand bain. Un véritable bain de jouvence pour celui qui fera ses premières armes auprès de Christian Bourgois, lequel fut un temps compagnon de route de son père en co-dirigeant la collection de poche 10/18. Mais, aux côtés de Roland Laudenbach, l’éditeur flamboyant de La Table Ronde, Pierre-Guillaume de Roux prendra toute la mesure de son rôle d’éditeur, ayant compris que seuls les esprits libres peuvent aborder ce métier en conquérant.

En digne fils, il a toujours avancé dans les eaux éditoriales, sans tabou ni à  priori politique puisque pour lui, seul le talent était indispensable pour se faire éditer. On le surnomma « l’éditeur des irréguliers » et en créant en 2010 sa propre maison, aidé par sept actionnaires, il voulut attirer aussi bien des romanciers, des biographes, des pamphlétaires que des philosophes ou des essayistes. Publier des personnalités aussi différentes que Richard Millet, Jacques Vergès et Roland Dumas, Dominique Venner et Rémi Soulié, Philippe Barthelet, Michel Marmin, Roland Jaccard, Ivan Rioufol, Boris Pahor ou Christopher Gérard et Renaud Camus, cela participait d’une même volonté de fonder un vrai « catalogue », un peu à l’image de ce qu’avait pu fédérer dans sa maison Gaston Gallimard dont il admirait l’ouverture d’esprit. (« Notre maître à tous » disait-il). Son point de vue sur la littérature, ses goûts et ses attirances le rangeaient du côté d’un autre grand éditeur auprès duquel il avait appris beaucoup, je veux parler de Vladimir Dimitrijevic dont la maison L’Âge d’homme était un exemple à suivre. 

Bien sûr, Pierre-Guillaume de Roux ne ratait jamais une occasion de mettre en avant des écrivains que son père avait su débusquer et remettre à l’avant-scène dans ses fameux Cahiers de l’Herne, tels Ezra Pound ou Witold Gombrowicz. Il en était de même pour Pierre Boutang qu’il avait connu dès l’enfance dans le salon de ses parents, assistant plus tard à ses cours de métaphysique à la Sorbonne, le considérant comme l’un des grands penseurs de son époque. Il n’hésita pas à publier Les Abeilles de Delphes aux éditions du Rocher quand il en était le directeur éditorial, bien résolu dès 2019 à se lancer dans l’édition de ses carnets inédits, envisageant même une dizaine de volumes… Parmi ses goûts éclectiques, il ne faudrait pas oublier ses admirations pour Dumas, Baudelaire, Dickens, Chesterton, Conrad (il lut à 14 ans son roman maritime Le nègre du Narcisse, une révélation), Yves Bonnefoy, Marcel Arland, Gregor Von Rezzori, Julien Gracq, sans parler de Céline (PGDR était affublé de deux autres prénoms : Louis-Ferdinand), publiant l’essai au vitriol de David Alliot et Eric Mazet, Avez-vous lu Céline ?, comme celui de Jacques Alméras, Céline, entre haine et passions.

« Être de droite, c’est s’inscrire dans une tradition »

Dans un entretien sur Radio Courtoisie en 2019, donné à Olivier François (éditorialiste à Éléments), Pierre-guillaume de Roux avait expliqué pourquoi il se considérait de droite, lui le monarchiste, qui refusait de voter : « Ce n’est pas une pause politique, Je ne me retrouve pas dans les partis d’aujourd’hui. Être de droite, c’est s’inscrire dans une tradition, comme le disait Baudelaire, celle qui m’a nourri de Baudelaire à Bernanos, en passant par Gustave Thibon ou Charles Maurras. C ‘est croire au péché originel et c’est croire en effet que nous sommes de toute façon, depuis le début, dans un processus de chute. Je suis de droite en ce sens. Je suis un pessimiste qui ne désespère jamais. Je mène des combats même s’ils peuvent sembler désespérés. Peu importe, l’important, c’est mener le combat, même si à la fin des fins la partie est perdu. » Et Olivier François d’ajouter, citant Péguy : « Il faut continuer à travailler dans les misères actuelles ». Mais PGDR aurait pu reprendre ce que son père confiait à Renaud Matignon en 1975 dans Le Figaro : « La droite c’est la métaphysique – et c’est dans ce cas un peu dépassé. La gauche se paie de mots – et alors ce n’est pas très mûr. » 

Ainsi, Pierre-Guillaume de Roux promenait sa longue silhouette d’oiseau blessé, mélancolique, d’une élégance toute aristocratique, et se disant navré par les affres de notre époque, inculte, moralisatrice et qui au fil du temps a rétréci toutes sortes de débats depuis la fin des années 80, ressentant « une rupture de transmission » manifeste.

Je fis la connaissance de Pierre-Guillaume de Roux quand il était directeur littéraire à La Table Ronde, devenant ami avec cet être in-tranquille, érudit, intègre, et épicurien à ses heures, que j’aimais écouter, portant toujours des jugements judicieux sur tel ou tel propos actuel, refusant la bienpensance et prononçant le mot « lamentable » en traînant chaque syllabe comme pour marquer une désapprobation sévère. Membre comme moi du « Dîner des mousquetaires », nous nous réunissions deux fois par an pour célébrer Alexandre Dumas, le temps d’un repas généreux et bien arrosé. Il aimait alors converser et avec un humour subtil défendre sa littérature, parler de la Chine de Lucien Bodard ou de la guerre vécue par Ernst Jünger, comme donner son point de vue sur la cuisson d’un gibier avec une même alacrité.

Dans l’hommage qu’il lui a rendu, – n’oubliant pas de saluer au passage sa chère mère Jacqueline de Roux qui fut elle aussi dans l’aventure éditoriale de Dominique de Roux -, l’écrivain Christopher Gérard a cité l’un des principes qui le guida toute sa vie comme éditeur, celui d’assurer le renouvellement et de « nouvelles échappées du génie français, issues des marges, des parages incontrôlables ». Tel était cet agitateur d’idées, capable de secouer l’édition française par des livres de hautes tenues, inédits, rééditions ou traductions. Son destin contrarié l’aura empêché de continuer de poursuivre cette œuvre magnifique dont il peut être fier.

Gilles Brochard

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