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Rima Rien – Lettre très ouverte à la ministre de la Culture

Madame la ministre,

Vous m’amusez. Vous me faites même doucement rigoler. Je note une petite différence par rapport à vos semblables du gouvernement. On sent que vous aimez les « pavés dans la marre ». Est-ce votre passé de directrice de Clown Sans Frontières qui remonte à la surface ? Il faut louer votre sens du « happening ». Il est rare, précieux. Des Molières au Festival de Cannes, vous faites sensation dans le petit monde déluré sur lequel vous régnez encore, pour quelques mois, avant d’aller rejoindre la cohorte des anciens, de Filippetti à Bachelot en passant par Nyssen, Azoulay, Riester, Albanel…

Le ministère de la Culture – jadis Affaires culturelles, c’était mieux – fut inventé par de Gaulle et pour Malraux. La pente nous conduit aujourd’hui jusqu’à vous. Ministre, cela n’est pas simple, d’un président pour lequel « il n’y a pas de culture française ». Selon lui, notre histoire est à « déconstruire », pourquoi pas à démanteler. Des Chênes qu’on abat aux rhododendrons mal taillés du macronisme, nous tombons, avouez-le, d’assez haut.

Certes, votre patron chantait il y a peu, dans un discours laudateur et crypté, le millénaire de l’abbaye du Mont Saint-Michel. Macron encore, Macron toujours, drapé dans ses habitudes transformistes, enchaînait le tout à son contraire, dans l’incrédulité. Souvenez-vous de la fable de la chauve-souris et des deux belettes… « Je suis Oiseau : voyez mes ailes ; Je suis Souris : vivent les rats ».

À cette déperdition de l’âme française, vous œuvrez en sous-traitante. Enfant de Jack Lang, de ses politiques dramatiques, vous dansez sur le fil du néant. La culture n’est plus pensée comme le creuset essentiel, un moyen d’élévation et de surplomb, « la condition sine qua non de notre civilisation », comme le proclama de Gaulle à Bourges. Elle est devenue le vernis écorné du divertissement. Un cache-sexe. Un passe-temps. Une sorte de sédatif.

La culture ? Chacun à la sienne, et tout vaut tout : Proust les mangas, Debussy le rap US. C’est le sens du « passe culture » que vous offrez à la jeunesse, monument dédié à la facilité et l’américanisme, où vous reprenez l’antienne de McDonald’s : « Venez comme vous êtes ». Ce n’est pas la promesse française. Ce n’est pas comme cela que jeunesse peut s’élever. Surtout la jeunesse de France, héritière de trésors que vous lui dissimulez délibérément. Le ministère de l’Éducation nationale qui depuis trois ou quatre générations s’évertue à propager l’ignorance, est responsable. Monsieur N’Diaye, qui se couvre chaque jour davantage de honte, mais aussi et même d’abord ses prédécesseurs.

Alors, vous vous insurgez. Vous jouez la rebelle. Comme une adolescente. Ministre vous semblez, militante vous êtes. L’arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête du JDD vous inquiète. La grève perturbe « votre rituel du dimanche ». Votre hebdomadaire préféré n’accompagnera pas vos tartines beurrées. Soit. Vous m’en voyez fort marri. Il est vrai que vous perdrez sans doute, à terme, un puissant relais médiatique. Mais vous verrez que l’on se passe aisément des unes consacrées à la « pensée complexe » d’Emmanuel Macron, présenté tantôt sous les traits de Mozart, tantôt sous les traits de Machiavel. Même chose pour Xavier Bertrand, ce Jean-Claude Duss de la politique, incapable de conclure ce qu’il entreprend pourtant avec des réseaux étonnamment fidèles.

Le macronisme se caractérise, dès l’origine, par un voile pudique jeté sur la pensée. L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir contribue à une espèce de paradigme nouveau, inavoué, où la liberté journalistique s’est vue profondément atteinte. Le réflexe d’autocensure, éternel, s’est considérablement accru. Les Unes vengeresses du Point ou de L’Express, qui accablèrent Sarkozy puis Hollande, firent place à des entreprises timorées… Le climat n’est pas propice à la liberté de parole, à la plume tenue droite, digne et volontaire. Les idées se perdent dans la bouillie grisâtre de la doxa. Trop de journalistes veulent plaire, et pire encore, ne pas déplaire.

Il faudrait donc se taire en observant votre gouvernement, le plus incapable de la Vème République. Il faudrait donc se retenir de rire, en voyant des ministres patauger dans la colle. Il faudrait ne rien dire. Ne rien faire. Laisser faire.

Enchaîner les papiers politiciens sur un remaniement dont le pays se moque et ne remarquera même pas. Placer sur orbite Messieurs Philippe, Le Maire, Castex ou qui d’autre encore… Restituer au pays ces balivernes. Accompagner le récit aux airs de « narratif » que mitonne M. Frédéric Michel dans les cuisines élyséennes. Ce communiquant, rompu à la technique anglo-saxonne, entend bâtir le « legacy » (héritage) d’Emmanuel Macron. Artifices et contrebandes. Il n’y aura pas d’héritage, car Monsieur Macron n’est qu’un héritier. Il dilapide. Après lui, le déluge. Et d’ici là, le monde médiatique est prié d’accompagner le cortège sans mot dire. En silence et en flatteries.

Alors, il y a la presse autorisée, façon Benjamin Duhamel. Elle se comporte en VRP de la communication d’État. Elle fait « la pédagogie des réformes » pour « ceux qui nous regardent ». Si vous saviez, Madame la Ministre, ce que pensent « ceux qui nous regardent »… Et puis il y a l’autre presse, celle qui n’est rien pour vous, ignorée et discréditée, jugée extrémiste par un tribunal inconnu, traînée dans la boue par la confraternité…

Celle-ci est privée, et après tout tant mieux, des subsides de l’État. Elle ne vous doit rien. Je l’ai vu à Valeurs actuelles, au Nouveau Conservateur, dans d’autres rédactions courageuses. De toutes obédiences d’ailleurs, souvent à droite, mais pas toujours.

De nombreuses voix se lèvent désormais contre le déclin. Et vous ne les arrêterez pas. Vous qui détenez aussi la nationalité d’un pays ami de la France, le Liban, devriez le savoir mieux que d’autres. Le déclin d’un pays doit être enrayé à tout prix. Ce sont les plus pauvres qui paieront, et qui paient déjà, votre irrésolue naïveté. Le redressement, cela passe aussi par la presse, par des journalistes sur lesquels vous n’aurez jamais barre. Vous ne pouvez pas confiner une idée dont l’heure est décidément venue. Vous ne pouvez pas empêcher la plume de dire ce que veut le coeur.

Malraux, votre illustre prédécesseur, qui doit rire en vous observant, posa cette grande question à de Gaulle. « Reverrons-nous un jour une jeunesse française ? ». Oui Madame, cette jeunesse est là aujourd’hui. Elle veut rompre enfin avec vos rêves dangereux, devenus cauchemars. Oui Madame, nous vous battrons dans les librairies, dans les médias, dans les urnes et finalement dans les consciences. Et le macronisme, qui n’est jamais qu’un pari sur la bêtise nationale, ne peut plus rien à l’affaire.

Je n’ose vous adresser mes salutations républicaines.

Sentiments affligés et néanmoins cordiaux,

Valentin Gaure

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