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De la démocratie à l’oligarchie

par Roland Hureaux

On ne se lassera pas de le dire et de l’écrire : le parti pris quasi-unanime de la presse écrite et de la plupart des chaînes de télévision et de radio contre Marine Le Pen et Éric Zemmour durant l’élection présidentielle est bien pire qu’un « scandale démocratique », c’est le signe que nous ne sommes plus en démocratie. L’évolution qui nous a conduits à ce point de pouvoir oligarchique mériterait une étude approfondie, mais Roland Hureaux, historien, essayiste, auteur de nombreux ouvrages, dont nous recensons le tout dernier, consacré à Emmanuel Macron, L’homme qui n’aimait pas la France (Éditions de Paris, 2022, 120 p.) – cf. encadré ci-dessous -, membre des comités de rédaction des revues Commentaire et Le Nouveau Conservateur, synthétise les principaux éléments-clefs de cette évolution : la concentration de la presse entre les mains de quelques magnats qui partagent une vision mondialiste et libertaire (nous nous gardons de dire libérale) du monde, mais aussi ce que Soljenitsyne appelait « le déclin du courage », avec cela l’esprit grégaire, l’arrivisme et finalement la corruption.

Chateaubriand disait que la démocratie supposait non seulement la liberté de la presse mais aussi son pluralisme. Nous sommes loin du compte. On voit les ravages désastreux de cette évolution dans l’hystérie anti-russe qui règne aujourd’hui et qui s’ajoute à l’hystérie pro-vaccin des derniers mois. Cette emprise croissante, principalement au travers des médias, mais aussi de la justice, d’un corps de pensée – ou plutôt d’une idéologie unique – est-elle la seule influence indue qui se soit exercée sur le processus électoral français ? Ne faut-il pas y ajouter, quelque part en France ou aux États-Unis, une grande manœuvre destinée à faire réélire le président Emmanuel Macron en s’assurant de la présence au deuxième tour de Marine Le Pen, évidemment plus vulnérable. Premier acte : feu sur Zemmour, son seul rival significatif à droite, et dédiabolisation de Marine Le Pen ; deuxième acte : rediabolisation de Marine Le Pen et élection de Macron.

Ce scenario n’est pas si compliqué qu’il ait exigé des stratèges de haut vol. Il demandait cependant des moyens d’influencer l’opinion publique, en sus des médias, qui fut sans doute le fait de spécialistes sans qu’on sache exactement comment ils ont opéré. C’est ainsi qu’Éric Zemmour fut chargé de tous les péchés d’Israël : il était, disait-on, ultra-libéral, il voulait, prétendait-on, supprimer le droit à l’avortement (ce dont il n’a jamais été question), il était vindicatif et violent – alors que menacé de mort presque chaque jour, il n’a jamais permis à ses soutiens de rendre la pareille. Naturellement, si elle en a profité, Marine Le Pen n’est pour rien dans ces manœuvres.

Le jeu de billard

Dans la balance Le Pen/Zemmour, d’autres facteurs ont joué. L’électorat de la première était manifestement plus démuni que celui de Zemmour qui, malgré des efforts méritoires, n’est pas arrivé à mordre suffisamment sur la « France périphérique », pour qui voter pour une candidate de réputation plus radicale était un cri de désespoir plutôt qu’un projet politique ; a-t-il suffisamment fait d’efforts pour réduire ce déficit ? Ce n’est pas sûr. En tous les cas, Marine Le Pen cumulait un double avantage de légitimité : elle avait pour elle le côté franchouillard ; bien que née à Saint-Cloud, elle ressemblait d’avantage aux gens du peuple que l’intellectuel Zemmour. Surtout, elle avait l’ancienneté. Dans un pays où il faut plusieurs candidatures pour que les gens s’habituent à une tête nouvelle, elle était déjà entrée dans les habitudes de vote, son concurrent pas.

Dans un tel contexte, les 7 % de Zemmour sont déjà méritoires. Comment s’est nouée ensuite la dynamique du vote utile, qui a permis de persuader une grande partie de l’électorat de droite que Le Pen était le « vote utile » et Zemmour pas ? Cela aussi reste à étudier ; il n’est pas sûr que le phénomène ait été aussi spontané qu’on croit. En 1988, alors que tous les sondages montraient que Barre ferait mieux au second tour face à Mitterrand, les sirènes du vote utile se mirent à chanter partout au bénéfice du seul Chirac. Il se peut que les milieux dirigeants qui avaient déjà assuré l’élection, plus acrobatique, de Macron en 2017, aient été cette fois si sûrs de leur succès qu’ils n’ont ressenti le besoin d’aucune campagne particulière de déstabilisation, du genre de celle dont fut victime Fillon, pour assurer l’élection de leur favori.

Personne, sur la scène internationale, n’a paru s’inquiéter de l’issue de l’élection, alors qu’en 2017, les maîtres de l’Occident s’étaient inquiétés un moment de voir que Fillon, atlantiste critique et personnalité proche de Vladimir Poutine, puisse, s’il était élu, remettre en cause le plan de bataille des Européens. Cette prévisibilité est presque humiliante pour nous. D’autant qu’elle porte sur la réélection de quelqu’un qui applique sans le moindre écart ou défaillance les consignes de la gouvernance internationale. La France serait-elle rentrée à ce point dans le rang ?

La suite de cette analyse de Roland Hureaux est à retrouver dans le numéro VII du Nouveau Conservateur.

Roland Hureaux est l’auteur de L’homme qui n’aimait pas la France, paru en février 2022 aux éditions de Paris Max Chaleil.

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