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Ukraine : quand l’Occident s’isole

Par Paul-Marie Coûteaux

Sans grand doute, le pseudonyme du duc de Bedford résume-t-il le fond de l’affaire ukrainienne : c’est bien l’imperium américain qui est à l’œuvre en Europe de l’Est depuis l’effondrement du bloc soviétique, dont Washington crut alors pouvoir prendre contrôle, comme il l’avait fait de l’Europe de l’Ouest après la seconde guerre mondiale : d’abord en s’assurant du gouvernement russe, ce dont le faible Eltsine ne fut longtemps que le paravent, ensuite en y installant des bases militaires de l’OTAN, et mis au pas la fière Serbie. En fait, c’est toute l’Europe que Washington entend soumettre à ses vues, l’objectif ultime (ou le prétexte à l’expansion infinie de sa puissance) étant de « détruire la puissance russe » comme l’écrit sans façon Zbigniew Brzezinski, grand inspirateur de la stratégie mondiale des États-Unis de Carter à Obama, dans Le Grand Échiquier (1997) (dont nous reparlerons), afin de contenir par l’opulente et stratégique Sibérie, la principale puissance dont l’Empire sait ne jamais pouvoir prendre le contrôle, la Chine. L’Ukraine n’est qu’une pièce sur ce vaste échiquier. Comment douter, d’ailleurs, que l’Empire soit à l’oeuvre en observant les dignitaires états-uniens qui défilent à Kiev comme si ils étaient chez eux ? Comment douter que ce conflit soit autre chose qu’une étape de la conquête de l’Europe commencée en 1917 qui vit, en juin, le débarquement du « sauveur américain » et, en octobre, la révolution russe ? Comment douter des malheurs à venir d’une Europe dépendante pour tout, et derechef coupée en deux, cela d’autant plus durablement que l’Empire craint au plus haut point sa réconciliation ?

Plus que jamais, les États-Unis mènent le bal et nous n’osons ni voir, ni penser un fait qui domine la vie internationale, et celle des nations. Justement, tel sera l’objet du dossier de notre numéro 8 – septembre 2022 : regarder en face l’imperium, et décrire le déploiement de sa puissance, au plus large sens de ce mot. Pour l’heure, nous complétons et actualisons ce que nous appelions la « Riposte Russe » dans notre numéro 6 – mars 2022, par une étude du Professeur Édouard Husson, qui suit la précautionneuse progression de l’armée russe, forte de sa stratégie « hypersonique ». Quant à Emmanuel Leroy, autre connaisseur reconnu de « la question russe », qui revient de Marioupol, il synthétise ce foisonnant dossier ukrainien en reprenant les points de vue de chaque partie, « vu de Sirius ». Reste la grande question : la Russie, puissance indomptée, forte d’une armée ultra-moderne et d’un tissu d’alliances diplomatiques étendu, est-elle un exemple de nation européenne, sans pour autant être « américaine » ? Pour commencer, Dimitri de Kochko, montre à quel point elle est, justement, européenne – nous le suivons même quand il force le trait en s’installant devant une carte pour observer que le territoire russe est immense au point que l’on pourrait considérer que, Moscou, capitale d’un État qui s’étend jusqu’au Pacifique se trouve finalement au centre de l’Europe – du moins d’une Eurasie qui donnerait à l’actuelle Europe l’envergure, l’autonomie et la puissance qui lui font tant défaut. Il rappelle que la Russie fit toujours partie de l’équilibre européen, cela depuis des siècles, et notamment grâce à l’Ukraine, son berceau (voir ci-dessous un extrait de Soljenitsyne : « Nous sommes tous issus de la précieuse ville de Kiev, d’où la terre russe tire son origine, et d’où nous est venue la lumière du christianisme ») ; berceau qui est d’ailleurs lié à l’histoire de France depuis un millénaire, quand le petit-fils d’Hugues Capet, Henri 1er, épousa au XIe siècle Anne de Kiev, aussi nommée Anne de Russie. Et comment ne pas penser aux échanges multiples qui firent de la culture russe un élément essentiel de la culture européenne ? Oui, là est la grande question : la Russie, pour puissance européenne qu’elle soit, est-elle pour autant, une puissance occidentale, à ce titre soluble dans l’OTAN ? Question que traite à sa façon notre ami Henri Peter en évoquant deux grands auteurs, Tolstoï et Dostoïevski, significatifs de « l’âme russe » – qui, par son profond refus du matérialisme, est européenne, mais peu compatible avec l’univers anglo-saxon. En somme, si l’Europe politique s’étend un jour « de Lisbonne à Vladivostok » et si les États européens ont la sagesse de coopérer entre eux davantage qu’avec ce que de Gaulle appelait « l’Empire venu de l’au-delà des mers» (hélas toujours aux conditions de ce dernier), alors elle resterait au centre de l’univers, comme elle le fut pendant longtemps, en raison de sa nature et notamment de sa géographie : et l’on verrait, comme la tendance s’en dessine à la faveur d’une affaire ukrainienne dans laquelle Moscou est loin d’être isolée, que c’est bien plutôt l’insaisissable « Occident » qui s’isole.

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