D’origine savoyarde, Richard Labévière se lasse vite des perspectives montagneuses pour se tourner vers celles des océans. Diplômé en sciences politiques mais aussi en histoire et philosophie, des universités Panthéon-Sorbonne et de Genève, il entre très jeune à l’AFP ; en poste d’abord en Amérique Latine, il collabore à plusieurs journaux, notamment suisses, tout en devenant officier de réserve opérationnelle de la Marine. Enquêteur scrupuleux, il en vient à défendre une conception orthodoxe des intérêts de la France, notamment sa politique arabe, pourfendant « l’axe du Bien » et publiant plusieurs ouvrages-chocs, notamment sur le financement des réseaux islamiques par les services américains (voir Les dollars de la terreur, 1999). Directeur de la revue de l’IHEDN, Défense, puis du service étranger de Radio France International (RFI), il y montre assez de courage pour déplaire – par exemple, en publiant un entretien avec le Général Vincent Desportes, dans lequel ce dernier révèle comment les principes stratégiques américains se sont imposés à nos choix militaires. Peu après, un entretien avec Bachar Al-Assad lui vaut les foudres du couple Christine Ockrent – Bernard Kouchner, puis un licenciement tumultueux de RFI. Consultant international écouté de plusieurs gouvernements, Richard Labévière dirige à présent le site Observatoire de la défense et de la sécurité que l’on a grand intérêt à consulter. Nous l’avons rencontré après la somme qu’il vient de consacrer à la puissance maritime française, Reconquérir par la mer, publié par notre ami François d’Aubert, ancien ministre reconverti en éditeur. On ne saurait trop insister sur l’importance d’un sujet laissé de côté par les maîtres d’opinion mais qui, comme l’écrit Jean-Pierre Chevènement dans sa préface, « remettrait en cause notre vassalisation dans une Europe germanocentrée » ; il y plaide notamment pour un second porte-avion qui « signifiera simplement que nous voulons continuer notre Histoire »…
Pouvez-vous nous dire ce qui vous a poussé à porter un si grand intérêt à la géopolitique des océans et des mers ? On a l’impression qu’elle vous passionne… Les mers et les océans recouvrent 65 % de notre planète. 70 % de la population mondiale vit dans les ports et le long des côtes. Où qu’on se trouve dans le monde, la France est là avec ses quelques 12 millions de km² d’eau, ses richesses et ses obligations. Depuis la Renaissance, la mondialisation s’est faite par les voies maritimes ; marines nationales et privées s’étant imposées comme des acteurs clefs de cette évolution. Les grandes articulations stratégiques du monde sont maritimes et côtières. La connaissance du milieu maritime n’en est qu’à ses débuts et les potentialités de ce milieu s’annoncent sans limites. C’est dire si la question est d’importance, d’importance vitale pour un pays comme la France entouré de mers, sans même évoquer ses Outremers…
Vous écrivez que la France « est le seul pays sur lequel le soleil ne se couche jamais », ce qui lui donne une dimension mondiale assez rare par le fait de ses possessions d’outre-mer, mais aussi par sa marine marchande et militaire. Comment expliquez-vous ce que vous appelez « le silence français de la mer » et que la France officielle soit si peu consciente d’être une grande puissance maritime, la deuxième ou la troisième du monde ?
Eric Tabarly le déplore non sans humour : « la mer pour les Français, c’est ce qu’ils ont dans le dos lorsqu’ils regardent la plage… ». Nos élites politiques et administratives ne s’intéressent pas aux problématiques maritimes. Quant aux programmes d’éducation, de l’école maternelle à l’Université, ils se réduisent aux questions continentales. Ce désintérêt est d’abord un problème culturel avant d’être une incapacité technique et politique. Les élus côtiers ne jouent certainement pas leur rôle, mais les cadres des grandes administrations sont tout autant coupables !
Votre ouvrage recense par le menu les enjeux stratégiques de la mer et des océans aujourd’hui, qui seront de plus en plus marqués au fil du XXIe siècle. Pouvons-nous vous demander de les présenter et de les hiérarchiser en quelques lignes ?
L’axe indopacifique constitue l’épine dorsale de l’influence française dans le monde. Celui-ci part de la Méditerranée pour emprunter le canal de Suez avant de déboucher dans l’océan Indien en direction du Pacifique. C’est principalement par cette voie que se poursuit la mondialisation actuelle des économies et des enjeux de défense et de sécurité. La France a un rôle essentiel à y jouer, mais pour cela elle doit pouvoir disposer d’une Marine nationale à la hauteur des enjeux, ainsi que d’une marine marchande capable d’être compétitive sur des marchés de plus en plus disputés.
Vous consacrez un chapitre entier à ce que vous nommez « la guerre des ports » : est-ce une force ou une faiblesse pour la France ? Quels sont ici nos rivaux principaux ?
Le premier port européen est Anvers. Certes, Marseille peut rivaliser avec Barcelone, Tunis et Beyrouth, mais la cité phocéenne peine encore à s’imposer comme un passage obligé de la Méditerranée, d’autant que son trafic est souvent perturbé par des conflits sociaux récurrents. Les ports français souffrent aussi d’une faiblesse structurelle : ils sont très mal reliés par routes, chemins de fer et voies aériennes au reste du monde, ce qui n’est pas le cas de la plupart des grands ports européens. Ce n’est hélas pas notre point fort, mais on devrait pouvoir y remédier… La France peut-elle compter pour soutenir cette concurrence sur quelque renfort européen ? Vous citez Hubert Védrine répétant que « la différence se fera entre ceux qui savent ce qu’ils veulent, à savoir la Chine, la Russie, l’Inde… et ceux qui ne veulent pas ». Posons crûment la question : qui sont les ennemis de la France et qui sont ses amis ? La France elle-même est, certainement, son premier ennemi : centralisation, lourdeurs administratives et manque de fluidité à tous les niveaux plombent notre pays. L’Europe, politiquement, ne pèse pas, lorsqu’elle ne joue pas clairement contre elle-même, favorisant les initiatives turques ou autres. De fait, les autres ennemis de la France sont clairement ceux qui jouent pour eux : les Etats-Unis, la Chine, l’Inde – et d’autres puissances européennes qui ont pour objectif leur propre puissance avant celle de l’Europe. On en revient toujours à ce point : notre pays doit se donner un grand dessein, qui ne peut que passer par une grande ambition maritime pour les années à venir… Une sorte de « ligne d’horizon » qui devrait être enseignée dès l’école !
Vous pourrez retrouver la suite de cet entretien de Richard Labévière par Paul-Marie Coûteaux dans le numéro cinq du Nouveau Conservateur.