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Migration, forme moderne d’un très ancien esclavage

Par François Martin

On ne regarde que ce que l’on veut voir. En ce qui concerne l’immigration africaine, que les données démographiques imposeront de plus en plus comme source principale du phénomène migratoire (voir tableau démographique dressé ci-dessous par Christian Le Scornec), on ne veut voir que les conditions d’arrivée des migrants sur nos côtes. Défendre des migrants en perdition passe pour une bonne action, alors que ce que l’on défend alors, c’est l’esclavagisme moderne, ce que nous montre ici François Martin avec une érudition et un courage trop souvent absents du débat. Pour commencer, rappelle-t-il, ce ne sont pas les migrants eux-mêmes qui décident de leur voyage, mais des professionnels, nouveaux acteurs d’une traite ancienne. Pour savoir de quoi est faite l’immigration, il faut d’abord prendre en compte les sordides tractations qui président à la décision de quitter familles et pays, et l’exploitation qui jalonne l’aventure du début à la fin. Et remonter dans l’Histoire pour en comprendre les origines.

Dans son magistral livre Les Traites négrières (Gallimard, 2005), l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau a tout écrit. Que dit-il ? Simplement, et ceci est confirmé par les spécialistes les plus sérieux, que la traite des esclaves est bien antérieure à l’arrivée des premiers acheteurs arabes ou européens, qui ont trouvé sur place un « marché » déjà existant, structuré, pérenne et important. Ceci s’explique, dit Grenouilleau, par le fait que, l’agriculture africaine étant autrefois collective et peu productive (c’est encore souvent le cas dans les villages reculés), les cités-États et les empires n’ont pas pu se construire, pendant longtemps, comme en Occident, en Asie ou même en Amérique (Aztèques, Incas) sur la base d’une taxation des paysans par leurs propres aristocraties, en contrepartie d’une protection. Les grandes dynasties lignagères, ancêtres de ces pouvoirs royaux, se sont donc organisées pour asseoir leurs pouvoirs et leur statut sur le commerce et la guerre lointaine contre les autres peuples, et d’abord contre leurs voisins. Évidemment, dans une telle configuration, le commerce des esclaves a largement fait partie de la prédation guerrière et du commerce des denrées, au même titre que l’or ou l’ivoire. Si le roi Mansa Musa, qui régna sur le Mali au 14ème siècle, est considéré par certains comme l’homme le plus riche du monde toutes époques confondues, il est certain qu’il n’a pas tiré son immense fortune de la vente des noix de kola…

De fait, il est avéré et reconnu que tout au long de la période des traites négrières, 98 % des esclaves livrés l’ont été par la vente, non pas par la prédation directe par les étrangers. Ainsi, si les chiffres aujourd’hui communément admis sont, pour toute la période allant du 8ème siècle au 19ème siècle, d’environ 17 millions d’esclaves livrés par la traite arabe, 10 à 11 millions emmenés par la traite atlantique, et environ 14 millions utilisés par la traite intra-africaine, en réalité, la quasi-totalité de ces 42 millions ont d’abord été pris, puis vendus par leurs propres « frères ». Dans l’Histoire de l’esclavage, on oublie tout simplement le premier maillon de la chaîne… Pour avoir une représentation réaliste du tableau, il convient d’ajouter quelques points : – Dans les mentalités ancestrales, il n’existait pas autrefois, en Afrique comme dans bien d’autres contrées, de représentation de l’Homme comme un être sacré ou seulement respectable en soi. Cette vision des choses est purement chrétienne. Comme le déclare un roi africain à un envoyé du roi Louis XIV qui lui demande comment il peut vendre ses propres femmes, « Regarde ce qui se passe dans l’eau : Dieu a ordonné la nature de telle sorte que les gros poissons mangent les plus petits. Pourquoi serait-ce différent sur terre ? ». – Le statut des riches et des rois se mesure, à ces époques, à la disposition de multiples esclaves, et à leur capacité d’en faire usage selon leur bon vouloir. Ainsi, le 30 mars 1890 (1890 !) pour son couronnement, le roi d’Abomey Béhanzin fait sacrifier plus de 1000 esclaves. – Ce qui est vrai pour les rois et les élites est vrai tout au long de la chaîne sociale. Ainsi, il n’est pas rare que, pour payer son tribut à un peuple plus fort, son voisin le fasse en lui livrant des esclaves prélevés non sur d’autres peuples eux-mêmes soumis mais sur le sien propre. Une simple dette peut être payée en livrant un voisin lui-même débiteur, ou une personne enlevée dans un champ, ou l’un de ses propres enfants, ou en se livrant soi-même. – Les peuples les plus importants d’aujourd’hui (les yorubas, les ashantis, les peuls, parmi d’autres) sont ceux qui ont dominé tout au long de l’Histoire africaine en livrant les autres. Lorsque la colonisation a mis peu à peu fin à l’esclavage, au 19ème siècle, et encore au début du 20ème, les élites dominatrices locales ont été les premières à s’allier au nouveau pouvoir colonial. Ce sont leurs descendants qui sont, encore souvent aujourd’hui, à la tête des États africains. – En France, l’esclavage a été interdit au 7ème siècle par la reine Bathilde, régente du royaume des Francs après la mort de son mari Clovis II, avant que le servage soit à son tour interdit en 1315 par Louis X dit « le Hutin », fils de Philippe le Bel, – c’est alors que nait le fameux dicton « l’air de France rend libre » – délivrant du servage toute personne qui se plaçait sous la juridiction du roi de France. En Afrique l’esclavage n’a toujours pas disparu. Il est beaucoup moins répandu et plus caché, mais il perdure dans certaines lois coutumières qui se conjuguent, de façon implicite, aux lois civiles acquises de l’Occident. Il perdure, à une échelle plus grande qu’on ne croit, notamment par des marchés aux esclaves, en Mauritanie, en Libye, au Soudan…

Dans ces conditions, si un vrai débat devait avoir lieu un jour en Afrique, et si des revendications devaient être exprimées de la part des peuples, ce serait dans trois directions : – contre leurs propres élites, vrais responsables de leur martyre ; – de la part des ethnies systématiquement exploitées et vendues tout au long de l’Histoire, contre les autres ethnies esclavagistes, celles qui ont profité de la proximité des acheteurs, et grâce à qui elles ont pu prospérer et dominer, jusqu’à aujourd’hui ; – de la part des pauvres et des enfants, en mémoire de ceux vendus par leurs chefs de village ou leurs propres familles. Ce contexte permet de comprendre d’une part que si la colonisation a souvent été si facile, ce n’est pas tant du fait de la supériorité technologique ou militaire des européens, mais du fait que, pour nombre de peuples, l’existence de lois européennes protégeant les personnes, même dans un contexte colonial, valait infiniment mieux que l’atroce arbitraire qui prévalait avant l’arrivée des colonisateurs. Cela suffit d’autre part à faire voler en éclat le mythe du « peuple africain ». En réalité, et ceux qui connaissent l’Afrique ne le savent que trop, il n’y a pas de « peuple africain » ni de « peuple noir ». L’histoire de ce continent n’est pas celle de « bons sauvages » prétendument pacifiques selon Rousseau et unis par un sentiment collectif – vision totalement fantasmée. La réalité, c’est celle de la fureur, et du sang de peuples effroyablement opprimés par leurs élites ou par d’autres peuples, celle de haines ancestrales et presque inextinguibles, qui se matérialisent parfois en flambées d’une violence inouïe, comme le Rwanda l’a montré récemment. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le présent rejoigne le passé, et que les habitudes pratiquées pendant des siècles se retrouvent aujourd’hui sous d’autres formes. C’est le cas du trafic de migrants que l’on peut comparer, à bien des égards, au trafic des esclaves de l’époque. D’abord, on a tort de comparer la décision de départ vers l’Europe aux décisions de migration qui sont celles d’Occidentaux qui voudraient partir, par exemple, en Amérique. Un élément permet de le deviner : le prix. En effet, le prix à payer aux passeurs, pour un candidat au départ, va être de plusieurs milliers d’euros. Pense-t-on qu’en Afrique, un jeune va disposer d’un tel argent ? Pense-t-on qu’il va lui suffire de « taper » sa famille qui va, gentiment, lui prêter des sommes aussi exorbitantes ? En Afrique, quelques centaines d’euros, c’est déjà une très grosse somme. Là-bas, comme presque partout ailleurs, c’est celui qui paye qui décide. C’est un groupe d’« investisseurs », dont la parentèle familiale est le centre, qui va décider qui doit partir. Très souvent, et comme autrefois, celui qui part n’est donc pas, comme on le croit naïvement, le sujet de son aventure, mais l’objet d’un trafic dont il n’est que la marchandise. Et la décision sera prise en contrepartie de mandats (les virements d’argent) que l’impétrant sera tenu de payer s’il parvient de l’autre côté. En fait, l’argent de son passage est en quelque sorte un prêt qui lui est fait, et qu’il sera tenu de rembourser. Pour cette raison, il n’a pas intérêt à rater son coup. En Afrique, on n’investit pas des fortunes pareilles à la légère. Cela explique pourquoi nombre de ces migrants sont si désespérés à l’idée d’être obligés, lorsqu’ils sont pris, de rentrer chez eux. S’ils reviennent au pays, ils risquent fort d’être mis à mal, et quelquefois à mort par leurs propres familles qu’ils ont ruinées. D’une certaine façon, même si ce sont les familles qui payent, elles « vendent » ainsi, comme autrefois, leurs propres enfants au système « esclavagiste » moderne. L’analogie ne s’arrête pas là. En effet, comme on l’imagine, les sommes brassées par ces trafiquants sont gigantesques. Dans chaque pays de départ, les « parrains » de ces trafics, les patrons des « bureaux de recrutement » des villes et des villages, sont parfaitement connus. Pense-t-on qu’ils pourraient exercer leurs odieux commerces en toute liberté, sans « rémunérer » qui que ce soit ? Bien sûr que non. Pour qu’ils puissent avoir « pignon sur rue », il est certain qu’ils achètent leur « patente » aux autorités politiques. Comment peut-il en être autrement ? Combien de Maires, de chefs de la Police, de Ministres, de Présidents même, sont rétribués pour vendre leurs peuples ? Qui se pose cette question ? Ainsi, comme autrefois, toute la chaîne sociale, du haut en bas, est corrompue par le système de migration. C’est pour cette raison que le système politique africain, tout comme le réseau de passeurs d’esclaves et de potentats locaux d’autrefois, fait si peu pour l’éradiquer, alors que cette question constitue pour eux un aveu d’échec. Passons sur le fait qu’une bonne partie de ces esclaves modernes sont abandonnés (50 %, dit-on) et meurent au milieu du désert, sur les routes et les lieux mêmes où leurs ancêtres étaient passés tout au long de la traite musulmane. Passons sur les « fermes à migrants » libyennes, avec les prélèvements d’organes forcés, comme autrefois leurs jeunes ancêtres livrés aux potentats arabes avaient été castrés.

En Europe, suite du calvaire

Car le calvaire de ces migrants, lorsqu’ils parviennent en France, ne s’arrête pas. Comme on l’a compris, ils n’ont été choisis au départ qu’en fonction de leur obligation impérative de renvoyer de l’argent au pays. Pour l’assurer, le système est bien rôdé. Ainsi, ils sont, la plupart du temps, « accueillis » par leur communauté d’origine, des communautés souvent très puissantes et très organisées. C’est le cas des Mourides par exemple, une secte musulmane d’origine sénégalaise. A l’arrivée, le nouveau venu se verra gratifié d’un lot de marchandises à vendre, des tissus ou colifichets, le plus souvent. On lui fera, pour cela, un crédit d’un mois. A la fin du mois, s’il veut avoir un nouveau stock, il faudra qu’il ait remboursé, donc vendu l’ancien stock, qu’il ait pu se nourrir et se loger s’il y parvient, et qu’il ait surtout envoyé son mandat pour payer sa dette. S’il manque à l’un de ses devoirs, il sera purement et simplement rejeté de la communauté, et ses chances de survie seront plus que maigres. C’est pour cette raison que les petits vendeurs à la sauvette parisiens, par exemple, sont si désespérés pour vendre. Leur vie, au sens propre, en dépend. Après les odieux trafics du départ, « en amont », on imagine aussi, facilement, les sommes gigantesques ainsi brassées par quelques réseaux de trafiquants « en aval », qui exploitent ces malheureux jusqu’à l’os, dans toute l’Europe. Ceux qui vont récupérer ces pauvres gens dans les eaux méditerranéennes sous l’œil des caméras et qui se disent déterminés à en « prendre soin » sur nos sols, connaissent parfaitement ces affreuses réalités. Pour autant, ils ne les médiatisent jamais, car la conclusion serait « Arrêtez cela à tout prix ! Traquez et punissez, là-bas et ici, tous les nouveaux esclavagistes, et toute la chaîne des profiteurs ». Si tel était le cas, leur existence s’arrêterait, ainsi que leurs discours auto-justificatifs et leurs subventions grandissantes. Ils s’en gardent bien, se faisant ainsi complices, en toute connaissance de cause, et comme les « bonnes âmes » d’autrefois, de ces horreurs modernes. Pour les arrêter, ne vaut-il pas mieux, pour une fois, dire la vérité ?

François Martin

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