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Le Floch-Prigent : « La France, les Français et les Africains »

par Loïk Le Floch-Prigent 

La colonisation de l’Afrique par les puissances européennes s’est étalée sur plusieurs siècles, commençant lentement par des comptoirs portugais et espagnols, la Grande-Bretagne colonisant plus systématiquement à partir du XVIIIe siècle. La France arrivant en retard, notamment parce que la monarchie n’était pas spécialement colonisatrice – on rappellera d’ailleurs que l’opposition monarchiste, pendant la première partie de la Troisième République, vota contre les crédits que demandait Ferry, jugeant que notre pays n’avait pas à nuire à des civilisations très étrangères à la nôtre. C’est la Troisième République qui systématisa l’aventure coloniale au nom d’une supériorité de l’homme blanc largement sujette à caution et qui produisit et produit encore bien des drames. Il reste que la colonisation est un fait, que son héritage peut être utile à la France à certaines conditions. Ce sont justement ces conditions que définit ici pour nous Loïk Le Floch-Prigent, qu’il n’est plus besoin de présenter. Rappelons cependant que ce grand capitaine d’industrie dirigea successivement Rhône-Poulenc, Elf Aquitaine, Gaz de France et la SNCF, après avoir été directeur de cabinet de plusieurs ministres de gauche: personnage si utile à notre pays qu’il ne pouvait manquer de voir se dresser sur son chemin des juges telle Eva Joly qui l’attaqua sur sa gestion d’Elf pour le plus grand bénéfice de nos concurrents d’outre-Atlantique… Ce personnage haut en couleur, entrepreneur infatigable, reste, jeune octogénaire, le dirigeant de plusieurs sociétés dont il assure l’expansion avec gourmandise.

Après des dizaines d’années à mépriser et stigmatiser les efforts effectués par les Français en Afrique et, simultanément, à populariser le concept fourre-tout « Françafrique » pour montrer du doigt des générations de nationaux ayant vécu sur le continent africain, le pays se réveille en se laissant humilier par de jeunes officiers maliens, burkinabés et nigériens qui demandent aux Ambassadeurs de France comme aux militaires français de quitter leurs territoires. Pour l’instant, il s’agit de l’Afrique de l’Ouest sahélienne, mais la contagion anti-française apparaît forte et les gouvernants nationaux ont du mal à comprendre la rapidité avec laquelle ce cataclysme est arrivé, afin de mettre au point une politique alternative à celle dont l’échec est désormais scellé. 

L’ambiance actuelle étant beaucoup à la culpabilisation de l’époque de la colonisation et aux rapports de domination, il est très difficile de faire entendre une autre musique et de revenir un peu sur l’époque de la « conquête » des territoires, des apports des nations occidentales et des réalités des différents pays européens à l’égard des contrées lointaines. La compétition a pris des formules variées, des combats ont eu lieu et les conflits européens ont eu leurs conséquences sur les « possessions » africaines, les défaites allemandes ayant, comme on le sait, conduit à la dispersion des « actifs » au profit des uns ou des autres. Mais, s’il ne faut jamais minimiser la vénalité des conquérants de nouveaux territoires, il ne faut pas non plus négliger la curiosité pour l’inconnu et la découverte de civilisations qui a conduit les explorateurs occidentaux à sillonner le monde à travers les âges. La justification qui fut celle de l’apport de la « civilisation » aux peuples tenus pour exotiques, la volonté d’évangéliser ou d’apporter les « Lumières » (au sens du XVIIIe siècle) à toute l’humanité, l’universalité des « droits de l’homme » proposés à tous n’était pas seulement de façade : cette justification a imprégné des générations d’ecclésiastiques et de maîtres d’écoles apportant à leurs frères et sœurs ce qui leur apparaissait bien souvent comme des trésors inestimables. 

Ce sont les Français qui connaissent le mieux l’Afrique

Moins pragmatiques que leurs homologues britanniques, plus idéalistes, les Français ont eu une occupation de ces territoires originale, désormais caricaturée à l’extrême, mais qui a bel et bien existé. Cette empathie a conduit à une passion véritable et profonde des civilisations africaines, d’une connaissance approfondie des mœurs et coutumes, des arts, des royaumes comme ceux du Mali ou du Bénin, à des unions réelles et non de circonstances, et à un certain métissage culturel, parfaitement involontaire sans doute, mais très imprégné. Dans tous les raisonnements actuels sur l’accélération de la désoccidentalisation du monde et de l’Afrique, cette histoire, particulière à la France, ne doit pas être sous-estimée, méprisée ou oubliée, car c’est le socle sur lequel va se bâtir la relation entre Africains et Français ; ce sont les Français qui connaissent le mieux l’Afrique, mais c’est surtout eux qui apprécient et aiment le plus le monde de l’Afrique avec ce mélange permanent du rationnel et de l’irrationnel et cet « art du compromis sans perdre la face » que nous avons appelé dans notre langue la palabre, dont notre diplomatie s’inspire depuis des siècles . 

Une fois rappelé ce contexte plus que séculaire, les entrechats de la période actuelle, les anathèmes « définitifs » concernant la politique française, les injonctions à disparaitre, apparaissent assez dérisoires : il y a une permanence des Français dans cette partie du monde qui dépasse l’actualité et les fantasmes des artisans des putschs et de ceux qui les applaudissent. La permanence de la France en Afrique et, chose notable, bien au-delà des frontières de nos anciennes colonies tient à la connaissance et à l’appréciation de nos civilisations, à la compréhension mutuelle et, pourquoi ne pas le mentionner aussi ?, aux réalisations effectuées par nos ingénieurs dans les infrastructures de la plupart des pays. 

«La France n’en a plus que pour l’Europe»

Revenons donc sur l’écume des dernières années, c’est-à-dire les soubresauts économiques, les opérations militaires et les maladresses politiques, qu’elles soient verbales ou comportementales. La construction de l’Europe et le discours sur sa priorité a heurté d’emblée l’âme africaine. Nos amis n’étaient pas jaloux, mais un peu quand même. Il faut se souvenir que lors des indépendances des années 1960, certains dirigeants au Sénégal, au Gabon ou en Côte d’Ivoire s’estimaient Français et auraient bien voulu que leurs pays forment une Communauté avec la France – d’ailleurs prévue par la Constitution de 1958. Les Présidents Senghor, Bongo et Houphouët-Boigny étaient beaucoup plus français que nombre de Français d’aujourd’hui. A mesure que l’Europe prenait de l’importance dans les discours, que les voyages des présidents sur leur continent s’espaçaient, que nos contributions à la construction européenne se chiffraient dans les gazettes par milliards tandis que la part de l’Afrique dans les crédits de coopérations, de majeure, devenait mineure (voir ci-dessous l’article d’Ilyès Zouari – « L’hostilité de nos élites à la francophonie »), beaucoup se sont trouvés comme orphelins, malgré tous les liens qui unissaient et unissent toujours dans un certaine mesure tant d’Africains à tant de Français. C’est cette distance entre Français et gouvernements français qu’ils ont cruellement ressentie, alors que leur monnaie était toujours le Franc CFA ! 

De même, nous utilisions l’Union Africaine dans les votes à l’ONU, mais nous n’en avions plus que pour l’Europe, cela depuis la disparition du Général de Gaulle puis celle de Pompidou, tendance qui s’est confirmée, puis accélérée avec chacun des chefs d’État français qui ont suivi !

Une conception fallacieuse de la démocratie

Ensuite, plutôt que de les laisser s’inventer peu à peu une démocratie « africaine » (comme les religions ont laissé leurs rites s’acclimater progressivement), nos gouvernements ont souhaité assurer une stabilité dans les différents pays tout en disant que les présidents «  étaient légitimes puisqu’issus des urnes », alors que le monde entier savait que les élections étaient trafiquées et que les hommes en place imposaient année après année leur famille et leurs proches à tous les postes rémunérateurs, reléguant loin derrière la satisfaction des besoins élémentaires de la population. Nous avons ainsi fermé les yeux sur la confiscation des entrées d’argent par une pseudo-élite qui n’avait même pas l’excuse de la compétence et de l’efficacité ; nous avons accepté en de nombreux pays les verdicts erronés des urnes et leurs conséquences sur le partage des ressources, sous le couvert d’une définition fallacieuse de la démocratie réduite au seul passage aux urnes. Dans certains cas, si le résultat était contesté, nous nous empressions de satisfaire l’homme en place en l’adoubant dans l’heure ! 

En ce qui concerne l’économie, trop de choses se sont prêtées aux exagérations du fameux mais faux concept de Françafrique, dont l’importance a été très exagérée : nos entreprises sont dans la compétition mondiale, en Afrique comme ailleurs, et cela fait bien longtemps que nous ne bénéficions plus d’aucune préférence ; tout réside dans des relations personnelles éventuelles entre dirigeants. Notre économie française n’est pas dépendante de nos efforts en Afrique au point que la disparition de relations avec tel ou tel pays puisse nous alarmer.

Aider, mais aussi aimer – et ne pas donner de leçons

Reste le domaine militaire où nous avions pris l’habitude de conclure avec plusieurs Etats des « contrats de défense ». Lors des attaques des islamistes sur notre sol, la correspondance avec des actions terroristes chez nos amis africains (et, par exemple, l’avancée de groupes armés islamistes au Mali en 2013) nous a entraînés dans des conflits armés avec des populations à la fois tribales et manipulées par l’islam radical. Nous nous sommes portés au secours de ce qui nous apparaissait comme des drames ingérables par les armées locales. Ces décisions d’intervention étaient inéluctables, les populations de part et d’autre n’auraient d’ailleurs pas compris qu’il en fût autrement. Mais les armées de Libération deviennent rapidement pour les peuples des armées d’occupation et l’habitude pour l’armée française de résider en Afrique donne un peu trop à nos gouvernants l’idée que notre présence est comme naturelle, cela sans plus d’examen, alors qu’elle n’est pas nécessairement indispensable. Nos gouvernants ont eu tort de le croire et nous le payons cher avec les manipulations d’usage de certains de nos « amis ». Nous avons eu, et nous avons toujours, « un train de retard ». Il faut réagir plus vite et, comme nous le savons, nous avons encore ici et là une présence « prépositionnée » en plusieurs pays d’Afrique subsahélienne.

Maintenant, il faut regarder l’avenir et les relations entre les Français et les Africains. Pour cela, il n’y a aucune inquiétude à avoir, c’est sur le monde de la francophonie en général que nous pouvons et devons nous appuyer, celui des échanges culturels, des arts et des lettres, de la compréhension et de l’amitié réciproques. Et c’est là l’essentiel : ce qui reste vraiment lorsque le dérisoire est oublié. C’est à partir des Français amoureux de l’Afrique que l’on va pouvoir rebâtir un jour les relations entre la France et tous nos amis des pays africains. Il faut de la patience et de la détermination, en prenant toujours grand soin d’éviter que les discours et comportements des gouvernants viennent heurter les susceptibilités des édiles locaux et des populations. Un peu de travail avec des universitaires de talent que nous possédons en grand nombre en France éviterait des sorties malencontreuses et des initiatives aventurées… 

Pour conclure, je voudrais exprimer une certitude : le défi de la reconversion, nous le relèverons. Je suis sûr que nous y arriverons !

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