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1939-1940  : quand le Parti Communiste Français prônait « le défaitisme révolutionnaire ».

Par Jean-Marc Berlière

« Une heure de moins pour la production ( d’armement) , c’est une heure de plus pour la révolution » 

Jean-Marc Berlière, professeur émérite à l’université de Bourgogne et spécialiste de l’Histoire de la Police, en particulier sous la période de l’Occupation, s’est plongé à la demande du Nouveau Conservateur dans les méandres d’une réalité encore trop méconnue de la dernière guerreEt révèle dans nos colonnes de nouveaux éléments relatifs à l’attitude destructrice du Parti communiste français, lequel participa avec acharnement à la défaite, notamment en sabotant l’industrie de défense, cela avec la complicité active de la CGT. Quelques semaines après l’entrée au Panthéon de Missak Manouchain et l’espèce d’éloge rendu par Emmanuel Macron à l’idéologie communiste, il paraît important de revenir sur la réalité noire du parti rouge. Accablant et définitif.

La panthéonisation de Missak Manouchian a été l’occasion de rappeler le rôle éminent et essentiel des communistes (en l’occurrence étrangers) dans la résistance. Sans dénier le sacrifice de tous ces militants, il est nécessaire – pour la vérité historique – de rappeler que si, à partir de l’été 1941 le PCF, a joué un rôle important dans la lutte contre l’occupant nazi, cet engagement fut tardif et qu’auparavant, le « premier parti résistant » – et ses militants aujourd’hui honorés – avaient eu une tout autre attitude. Durant la drôle de guerre, le PCF a approuvé, puis défendu le double pacte germano-soviétique d’août et septembre 1939, dénoncé les démocraties occidentales qui auraient déclenché le conflit pour nourrir leurs appétits impérialistes, appelé au sabotage de l’effort de guerre français, orchestré une campagne de démoralisation de l’opinion, avant d’exprimer sa satisfaction de voir l’impérialisme français vaincu et la démocratie bourgeoise au tapis.

La nouvelle de la signature à Moscou, le 23 août 1939, par Ribbentropp et Molotov d’un pacte de non-agression fut une totale surprise pour le PCF alors engagé dans la lutte antifasciste. Mais, conformément à la 16e des « 21 conditions de Zinoviev » adoptées au congrès de Tours en 1920, il a obéi comme il l’avait fait à chaque changement de ligne politique décidée par Staline : la tactique « classe contre classe à la fin des années 1920, puis celle des « fronts populaires » contre le fascisme après 1934. 

Après avoir conservé la ligne antifasciste pendant quelques jours et voté les crédits de guerre le 2 septembre 1939, le PCF négocie un virage à 90 degrés : il condamne désormais le « double impérialisme » conformément aux instructions apportées de Moscou par Raymond Guyot. Cette initiative, propre à déstabiliser le pays, décide les autorités françaises — qui ont déjà interdit la presse communiste le 26 août, puis dissous, le 26 septembre, toutes les organisations affiliées à la IIIe Internationale — à réprimer plus durement encore un parti qui soutient une politique contraire aux intérêts nationaux. 

Après sa désertion le 4 octobre 1939, Maurice Thorez, réfugié dans un premier temps à Bruxelles, a rejoint Moscou, le 8 novembre 1939. Il a des comptes à rendre. Les dirigeants soviétiques comme ceux de l’Internationale communiste (IC) n’ont pas apprécié la lenteur avec laquelle le PCF a épousé la nouvelle ligne. Maurice Thorez en convient. « La direction du parti, écrit-il le 16 novembre 1939, a poursuivi et conserva jusqu’à la fin septembre une position antifasciste complètement erronée qui paralysa toute résistance à l’impérialisme français et à son gouvernement ». Durant la « drôle de guerre », le principal adversaire du PCF n’est donc plus l’Allemagne nazie — des tracts sans ambigüité appellent les soldats à fraterniser — mais le gouvernement français et la république auxquels il « résiste » tous azimuts. Comme le rappellera une circulaire diffusée par le PCF : « L’ennemi est à l’intérieur dans toute guerre impérialiste. »

Saboter l’effort de guerre français

Les clauses secrètes du pacte, complétées par des mesures confidentielles prises le 28 septembre 1939, délimitent les zones d’influence que les deux dictateurs se réservent à l’Est et au centre de l’Europe. La zone d’influence soviétique comprend les anciennes parties d’un empire russe que Staline s’efforce de reconstituer : pays baltes – Estonie, Lettonie, Lituanie, Carélie finlandaise, Bessarabie et partie orientale de la Pologne. En conséquence, après avoir participé au dépeçage de la Pologne, les troupes soviétiques, tentent d’envahir l’isthme de Carélie le 1er décembre 1939. Contre toute attente, l’armée rouge essuie de sanglants et humiliants revers face aux Finlandais dont la cause et la vaillance suscitent sympathie voire enthousiasme dans l’opinion publique. La France a promis des armes à la Finlande agressée. L’IC engage donc le PCF à saboter l’effort de guerre français, comme en témoignent les télégrammes adressés en janvier 1940 à Benoît Frachon et Arthur Dallidet qui président à Paris aux destinées du parti clandestin. Un premier message leur parvient de Bruxelles le 5 janvier 1940 : « le moment est venu pour nous d’orienter les ouvriers vers le sabotage des fabrications de guerre destinées à la Finlande »  Conformément à ces instructions, le PCF se mobilise pour empêcher que des armes soient acheminées vers la Finlande. Dans un premier temps, en janvier, ce sont les cheminots et les dockers qui sont sollicités pour paralyser les transports : « Il faut s’opposer à l’envoi de matériel et d’hommes au bourreau Mannerheim. Il faut empêcher les « batteries » modernes de partir contre les libérateurs du peuple finlandais. Ouvrier, tu le peux ! Cheminots, dockers, marins, opposez-vous au transport du matériel destiné aux gardes blancs de Finlande  » 

Puis, le parti franchit un pas important en appelant clairement au sabotage de la production de matériel de guerre : « Ouvriers ne soyez pas complices de vos pires ennemis qui combattent dans l’Union soviétique le triomphe du socialisme sur un sixième du globe : par tous les moyens appropriés, en mettant en œuvre toutes vos ressources d’intelligence et toutes vos connaissances techniques, empêchez, retardez, rendez inutilisables les fabrications de guerre. Contrecarrez ainsi l’action des gouvernants français qui aident les fascistes finlandais et se préparent, dans le Proche-Orient, à attaquer l’Union soviétique parce qu’elle est le pays du socialisme » 

Conformément aux vœux de l’IC, aux encouragements, mots d’ordre et tracts du PCF clandestin, les militants, « affectés spéciaux » dans les usines travaillant pour la défense nationale, vont user de leurs « ressources d’intelligence » et de leurs « connaissances techniques » pour multiplier les sabotages dans ce « printemps de la trahison » qui est resté longtemps un déni communiste et un trou noir historiographique. 

Une recherche systématique entreprise dans les dossiers de la justice militaire, dans ceux des Archives départementales, et ceux de la série F7 des Archives nationales conservant les dossiers de sabotages ou d’enquêtes dans les usines travaillant pour la défense nationale, donne à voir, qu’en réalité, le « défaitisme révolutionnaire » et le passage à l’acte sont antérieurs à la guerre de Finlande (qui se terminera par l’annexion de la Carélie et de 20% du potentiel industriel de la Finlande par l’URSS par le  traité de Moscou du 12 mars 1940). 

Dès l’automne 1939, dans la masse des « accidents », « erreurs », « fausses manœuvres », dont le caractère délibéré n’est pas assuré, mais qui ralentissent néanmoins constamment la production, il ne se passe pas une journée, par exemple aux usines Renault de Boulogne-Billancourt ,sans incident de ce type. Ici ce sont des mélanges abrasifs, de la limaille, des potées d’émeri jetées dans des carters de moteurs, là ce sont des boulons, écrous, outils, ferrailles « oubliés » dans les engrenages de machines, les boîtes de vitesse, les transmissions ; ce sont encore  des câbles sciés, des pièces délibérément « loupées », mal montées, des écrous non goupillés, des circuits électriques coupés, des tubulures marquées d’un trait de scie… qui suscitent les enquêtes difficiles des policiers des Brigades mobiles régionales de police judiciaire. 

Quelques exemples de sabotages caractérisés permettent néanmoins de mieux apprécier l’ambiance qui règne dans de nombreuses usines travaillant pour la défense nationale pendant cette « drôle de guerre » et les conséquences des mots d’ordre et tracts qui circulent, parfois accompagnés de conseils pratiques voire de schémas pour saboter ou ralentir la production. Notons que beaucoup de ces sabotages ne seront découverts – à leurs dépens – par les soldats qu’une fois les combats engagés, en mai 1940. 

11 chars Renault sabotés à Boulogne-Billancourt

À la Société Générale d’Application d’Électricité et de Mécanique de Montluçon (SAGEM), on découvre, le 10 octobre, qu’un même défaut affecte, à l’intérieur de la partie rayée et toujours à la même profondeur, l’acier spécial de 58 tubes de canons antichars de 25 mm, ces canons qui feront merveille en mai contre les Panzers. Après une première enquête qui conclue curieusement à un défaut de fabrication dû à une malfaçon, ce que contestaient un certain nombre d’enquêteurs et de techniciens, l’expertise du Dr Locard le criminaliste lyonnais effectuée à la demande du juge d’instruction de la 13e région militaire le 3 février, démontre qu’il s’agit d’un sabotage systématique effectué à l’aide d’un mélange sulfonitrique (acide nitrique + sulfurique) introduit dans le tube à l’aide d’un morceau d’étoupe fixé à l’extrémité d’une tige. Le/les  coupables, alertés par les essais, investigations, enquêtes demeurent inconnus. 

Novembre 1939, une série de sabotages, accompagnés de tracts et papillons calligraphiés, se produit à l’usine de bougies BG, 3 impasse Thoreton, Paris, 15e.

Le 29 décembre 1939, à Satory, lors d’essais, 11 chars Renault B1 de 300 cv sortis de l’usine de Boulogne-Billancourt tombent en panne. On découvre que les fils reliant les charbons à la dynamo ont été coupés : après quelques heures de fonctionnement ce sabotage ingénieux immobilise le char qui se voit en outre privé de radio et dont la tourelle est bloquée. L’enquête minutieusement conduite permet de déterminer que les sabotages ne peuvent avoir lieu que dans les deux ateliers de l’île Seguin où les dynamos sont démontées pour vérification après les différents contrôles et essais, : soit l’atelier 353 — où l’on retrouve de fait trois dynamos sabotées — et 297— où l’on trouve deux autres dynamos hors d’usage. Elle démontre également que les premiers sabotages ont été effectués dès septembre 1939. Mais faute de discrétion dans les investigations menées, le ou les coupables ne peuvent être identifiés avec certitude. 

À l’usine SOMUA de Vénissieux, en février 1940, ce sont des conduites de gaz et raccords d’essence qui sont détériorés par des spécialistes très avertis En mars, un acte de malveillance crée des problèmes d’alimentation électrique…

Des actes continuels de malveillance

À la cartoucherie de Toulouse, se produisent plusieurs sabotages avérés — enrayement de machines par introduction de poinçons métalliques, dérèglement des tours — en décembre 1939, janvier et février 1940…

Les constructions navales, notamment à Saint-Nazaire où l’achèvement du Jean Bart est ralenti par des sabotages incessants (clous plantés dans les faisceaux électriques pour provoquer des courts-circuits, incendies à répétition…), sont très touchées. Ici, ce sont les engrenages de contre-torpilleurs qui sont sabotés, là le fonctionnement des tourelles. Des sabotages à répétition rappellent les actes continuels de malveillance dont fut la cible le cuirassier Strasbourg sur ces mêmes chantiers. 

Quant à la construction aéronautique, la complexité et la fragilité des avions en font une cible permanente : les sabotages des radiateurs d’huile destinés à des moteurs d’avions, aux établissements Lamblin, repliés de Levallois-Perret à Orval près de Saint-Amand-Montrond (Cher) en avril-mai 1940 et les détériorations diverses — gouvernes, ailes — des Potez 63 fabriqués par la Société Nationale des Constructions aéronautiques de l’Ouest illustrent cette fragilité. Les enquêtes sont difficiles : des ingénieurs — par crainte de représailles ? — accréditent contre toute vraisemblance la thèse de l’accident ; aucun témoin, jamais, ne parle. Cette impossibilité d’identifier la plupart des saboteurs ou des meneurs souffre quelques exceptions, que les archives de la Justice militaire permettent de préciser.

Condamnation à mort et travaux forcés

La plus connue concerne une série de sabotages qui se produisent à l’usine de la Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Centre, rue de Silly à Boulogne sur Seine depuis le mois de février. Le 1er mai 1940, en fin de soirée, on découvre, par hasard, le sabotage – le sectionnement du freinage d’un écrou sur la tubulure d’arrivée d’essence – d’une vingtaine de moteurs d’avions Gnome et Rhône sur le point d’être livrés. L’enquête rapidement menée grâce à un informateur et à une imprudence commise par l’auteur des sabotages démontra que ces derniers, difficiles à repérer et à effectuer parce qu’ils intervenaient sur le moteur entièrement monté, avaient été réalisés à « l’atelier 1400 » par un jeune ajusteur de 17 ans, Roger Rambaud, sur les conseils de son frère aîné, Marcel, et de Maurice et Léon Lebeau, deux de leurs amis et voisins. Convaincus de sabotage et de complicités, six militants de Versailles furent déférés devant la justice militaire. Quatre d’entre eux, les deux frères Rambaud et les deux frères Lebeau, furent condamnés à mort par le 3e TMP de Paris, le 27 mai 1940. Deux complices, Roger Leroux et Raymond Andrieu, le furent à 20 ans de travaux forcés. Maurice Lebeau, 17 ans, ayant bénéficié, le 18 juin, d’une grâce présidentielle, les deux frères Rambaud et Léon Lebeau furent fusillés au stand de Verthamon (commune de Pessac) le 22 juin à 5h45 alors que les troupes allemandes arrivaient. Roger Rambaud, qui mourut face à un peloton d’exécution de militaires français, avait 17 ans, l’âge de Guy Môquet, mais le PCF se garda bien d’en célébrer la mémoire.

On comprend pourquoi, dans les arguments suggérés par Maurice Tréand responsable des « cadres » pour obtenir de la Propaganda Staffel la reparution de la presse communiste, figurent l’aide apportée aux Allemands (« si vous êtes ici c’est un peu grâce à nous ») et le rappel des sacrifices de militants (« avons eu pelotons d’exécutions ») qui ont trahi pour permettre aux Allemands de gagner une guerre qui va abattre la « république bourgeoise » abhorrée. Le vainqueur – reconnaissant ? – avait libéré depuis la mi-juin, plusieurs centaines de militants arrêtés et emprisonnés par la police de la IIIe république ce qui fit croire au préfet de police Roger Langeron, qu’un article secret du pacte germano-communiste, protégeait les communistes français.

On l’imagine : le chemin promettait d’être long pour que le PCF puisse se présenter 5 ans plus tard comme le « premier parti résistant » et le « parti des fusillés « : un retournement d’image qui supposa beaucoup de cynisme ou – si l’on préfère -de réalisme tactique de la part du général de Gaulle et le sacrifice voulu de nombreux militants. 

Pour approfondir :

Gilles Morin, « Paroles de ’défaitistes’. Communistes, pacifistes et protestataires pendant la « drôle de guerre ».  XXeme siècle. Revue d’histoire/128, octobre-décembre 2015, p. 105-118.

Moscou-Paris-Berlin 1939-1941. Télégrammes chiffrés du Komintern. Tallandier, 2003.

Rossi Amilcare (alias d’Angelo Tasca), Les communistes français pendant la drôle de guerre, Les Îles d’or, 1951.

Jean-Jacques Marie, La Collaboration Staline-Hitler, Tallandier, 2023.

Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Le Sang des communistes, Fayard, 2005Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, L’affaire Guy Moquet, Larousse, 2007.

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