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La « Trumpisation » d’Eric Zemmour

Par François Martin

L’affaire de Paris-Match, et le traitement qu’Eric Zemmour a subi, de Ruquier à Bourdin, en passant par le CSA ou Charline, lui ont rendu le meilleur service possible : celui d’accélérer son identification avec le peuple, humilié et asservi par une République qui affiche au grand jour son caractère oligarchique. Cette identification a été, en 2016, le moteur principal de la victoire de Trump. C’est le même phénomène qui se met aujourd’hui en place.

Les motivations d’Eric Zemmour

Eric Zemmour est, dans son histoire personnelle et sans doute dans sa psychologie, comme Jean Messiha, comme le « petit corse » avant lui, qu’il admire tant (1), un « petit étranger » à qui la France a ouvert les bras, à qui elle a offert sa culture, sa richesse, sa beauté, son ascenseur social, et qui lui a permis, grâce à un travail acharné et à un talent indéniable, de devenir ce qu’il est aujourd’hui, et ce qu’il sera peut-être demain. Il voue, en retour, à cette France, une reconnaissance et un amour infinis, qui transparaissent dans toutes ses paroles et ses interventions. C’est le fondement même de sa prétendue « radicalité ». Il fait certainement siennes ces paroles du Psaume « Le zèle pour Ta Maison fera mon tourment », phrase dont les apôtres se souviennent lorsque le  Christ, profondément choqué, chasse à coups de fouet les marchands du Temple. Zemmour ne supporte pas, il exècre les nouveaux « marchands du Temple » qui pillent aujourd’hui sans vergogne, de l’intérieur comme de l’extérieur, le pays qui lui a tant donné. Comme souvent, dans les entreprises familiales, c’est le gendre, la « pièce rapportée », qui reprend et développe l’entreprise que laisse le patriarche, les fils de famille n’ayant aucune empathie véritable pour le legs dont ils ont hérité sans rien faire. Cette « juste colère », c’est la base de sa sincérité et de sa réussite actuelle. A partir de cela, plusieurs préoccupations vont être les siennes, s’il se confirme qu’il est candidat.

Imposer ses thématiques

Dans un article déjà ancien (2), j’avais écrit que « Dans une partie, c’est toujours celui qui dessine l’échiquier, et qui fixe les règles du jeu, qui domine. En politique, c’est pareil : celui qui impose les thématiques oblige les autres à venir sur son terrain… Tous les thèmes dont il ne faut pas parler, qu’il ne cesse de répéter à longueur d’année, personne ne pourra éviter qu’on en parle, encore et encore… Ce que Marine Le Pen ne fait pas, Eric Zemmour va le faire. Dès qu’il ouvrira la bouche, il faudra qu’on se positionne, soit pour, soit contre. Quel que soit son score, il sera le « faiseur de roi »  ». Le présent montre que cette analyse était juste. Aujourd’hui, cette phase est dépassée : Eric Zemmour a imposé ses thématiques, au point qu’il est déjà bien plus qu’un « faiseur de rois ». Il est un prétendant. 

Conserver et étoffer les votes bourgeois.

Eric Zemmour est d’abord, aujourd’hui, un « candidat » qui parle aux bourgeoisies (3). Même s’il est issu d’un milieu modeste et populaire, il s’est, par son talent et sa qualité d’intellectuel et de journaliste, assimilé aux classes aisées. S’il veut réussir son pari, à l’inverse de Marine Le Pen, dont les électeurs sont avant tout populaires, et qui aurait dû aller « chercher » les votes bourgeois (mais elle est visiblement incapable de faire), Eric Zemmour doit « migrer » pour aller chercher les votes populaires (4). Mais avant cela, il doit sécuriser les votes bourgeois, qui sont sa première et actuelle « zone de chalandise ». Pour cela, il ne lui suffira pas d’affirmer qu’il veut sauver la France. En effet, les bourgeoisies sont pour la plupart assez peu sensibles au fait de sauver la France, parce qu’elles ont souvent, de par leur mode de vie plutôt protégé, une conscience moins forte que les classes populaires de la gravité de la situation. Par contre, elles sont extrêmement sensibles à la question de la sécurité (5). Pour les convaincre et les rassurer, et même s’il ne doit pas renoncer à cliver (6), Eric Zemmour devra les aborder avec un programme, et surtout une doctrine, aussi riches et étoffés que possible. Il devra montrer qu’il est très solide sur tous les sujets importants (7). Sur ces thématiques, il devra disposer d’experts de haut niveau, capables de relayer sa doctrine. Il devra mettre beaucoup de chair autour du squelette de ses grandes idées. C’est à ce prix qu’il obtiendra, auprès d’électeurs bourgeois facilement inquiets (et parfois même terrorisés) par les changements qu’il propose, la reconnaissance et la crédibilité dont il a besoin. Du Général de Gaulle, Pompidou disait drôlement : « Il faut un gant de velours à cette main de fer » (8). Donner un « gant de velours » à la « main de fer » des grandes propositions zemmouriennes, c’est précisément ce à quoi doit servir ce programme et cette doctrine, très bien construits et exprimés. Sans cette prise en compte, Zemmour ne sécurisera pas les votes bourgeois, qui le fuiront comme ils ont fui en leur temps les candidats Le Pen.

Les masques vont-ils tomber ?

Le sociologue américain Timur Kuran (9) explique que les électeurs ont deux « personnalités », l’une privée et l’autre publique. En général, parce qu’ils préfèrent être en paix avec leurs voisins plutôt qu’avec leur conscience, lorsque l’opinion publique générale est assez ou même très impérative (comme aujourd’hui), ils cachent leurs préférences privées pour afficher des opinions publiques contraires, conformes à la « doxa » du moment. Le problème, c’est qu’à certains moments de frustration ou de colère rentrée, la différence entre les deux est maximale. Ce sont les moments pré-révolutionnaires, ceux où la parole dissidente forte d’un nouveau leader peut faire basculer l’opinion d’un seul coup. La peur disparaît, et les masques tombent. Ceux qui les portaient les enlèvent enfin, trop heureux de pouvoir dire ce qu’ils pensent, et ceux qui n’en avaient pas se dépêchent d’en mettre…. Il est très possible que nous soyons dans un tel moment. Une force d’Eric Zemmour dans cette affaire, c’est qu’il ne s’appelle pas Le Pen (10)….

Conquête des votes populaires : la « Trumpisation » d’Eric Zemmour  

Un autre phénomène remarquable peut aussi se produire, c’est la « Trumpisation » d’Eric Zemmour. En effet, nous l’avons vu, il va lui falloir, outre la consolidation des votes bourgeois, conquérir les votes populaires (11). Intellectuel comme il l’est, sera-t-il assez « tripal » pour cela ? Nul ne le sait. En revanche, il peut provoquer, chez les électeurs du peuple, un réflexe d’identification. De fait, les « petits » ressentent vivement, et en permanence, la morgue des « grands », une humiliation dont ces derniers n’ont souvent pas conscience. Notre démocratie, devenue très fortement oligarchique, et peu préoccupée de résoudre la fracture sociale (12), accentue vivement ce sentiment. Pour cette raison, plus Zemmour est humilié par la « nomenklatura » politique et journalistique, plus ces électeurs risquent de se dire « Il est constamment harcelé. Il nous ressemble, il est comme nous ». On se souvient que cette identification avait été l’un des moteurs de l’élection de Trump. Zemmour n’est pas Trump, mais la mécanique politique est la même. Lorsqu’il sera devant ces électeurs-là, il lui suffira de leur dire « Voyez ce que je subis. C’est bien la preuve que je vous défends. Je suis votre meilleur avocat ». Il n’aura guère besoin de développer. Forcément, ça marchera. En fait, tant le CSA que Ruquier, Bourdin, Charline Vanhoenacker ou Paris Match font sa campagne. Ils lui apportent même le Graal : une voie royale vers les votes populaires, avec la victimisation dont il a besoin. Et ils font plus encore : ils en font un résistant jusqu’à l’héroïsme, et même une « rock star ». Il ne manque plus qu’ils traitent ses futurs électeurs de « déplorables » (13) et l’affaire sera faite.

Tout cela, ils le savent parfaitement, mais, trop habitués à ce que rien ne leur résiste, ils sont incapables de faire autrement. C’est l’histoire africaine du scorpion qui veut traverser le fleuve, et qui demande à l’hippopotame de le prendre sur son dos. « Mais tu vas me piquer », lui dit celui-ci. « Pourquoi le ferais-je, car je me noierai », lui répond le scorpion. L’hippopotame accepte, et au milieu du fleuve, le scorpion le pique. Au moment de mourir, l’hippopotame lui demande « Pourquoi as-tu fait ça ? Tu vas mourir aussi ». Et l’autre de répondre « Je sais, mais je ne peux pas m’en empêcher ». Dans cette partie qui se dessine, comme Trump à l’époque, les ennemis forcenés d’Eric Zemmour sont en réalité ses meilleurs alliés. Et ils sont déjà piégés : s’ils cessent de l’attaquer, qu’il s’exprime, et que les masques tombent, il va monter. S’ils l’attaquent, il montera encore plus vite. Tout ceci sera très intéressant à suivre.

François Martin

  1. Est-ce un hasard s’il a voulu démarrer sa « campagne » à Toulon, là où Bonaparte a commencé la sienne ?
  2. https://www.valeursactuelles.com/politique/le-climat-politique-est-propice-a-une-recomposition-des-droites/
  3. Même si, paradoxalement, son message sur l’immigration s’adresse beaucoup plus aux classes populaires qu’aux classes bourgeoises.
  4. Tant que cela n’est pas fait, et contrairement à ce qui se dit, il n’est pas vraiment (pas encore…) un concurrent frontal de Marine Le Pen.
  5. Et d’abord de la leur. Et pas seulement civile, mais sociale, économique, politique, etc… S’il y a bien quelque chose qu’elles ont en horreur, c’est l’aventurisme
  6. Contrairement à ce que disent les peureux, c’est bien le but d’une élection présidentielle que de cliver. Autrement, où sont les choix ? Et sur quoi se dégage la majorité ? Si l’on veut « faire du consensuel », « rassembler », dit-on, avant l’élection, on ne fait qu’édulcorer les choix, et il se passe ce qui est notre lot depuis 40 ans : rien. Simplement, il faut que les clivages se fassent sur les questions fondamentales. Ensuite, c’est lorsque l’élection est acquise que le rassemblement peut et doit se faire, avec l’acceptation par tous des choix que l’élection a décidés. 
  7. Famille, Enseignement et Éducation, Culture, Écologie, Agriculture, Industrie, Santé et Médecine, Entreprise et Travail, Économie et Finance, Politique sociale, Aménagement du territoire et Décentralisation, Immigration et Intégration, Sécurité et Justice, Défense et Renseignement, Politique étrangère, Europe, etc… 
  8. C’est de lui-même qu’il parlait, bien entendu.
  9. Dans son livre « Private truths, public lies ». Cf Timur Kuran 1995 – www.micheletribalat.fr 
  10. En effet, on a entré dans la tête des français, à force de propagande, l’idée que Le Pen = nazi. Ceci ne repose sur rien, mais contribue puissamment au maintien des masques chez de nombreux électeurs terrorisés. 
  11. Déjà, il aura pour lui sa thématique principale sur l’immigration, qui intéresse beaucoup plus les classes populaires que les classes bourgeoises. Il faudra qu’il y rajoute, dans son programme, un vrai volet social.
  12. Rien n’a été fait jusqu’ici pour répondre vraiment aux demandes des Gilets Jaunes…
  13. On se souvient que c’est ce qu’avait dit Hillary Clinton des électeurs de Trump, et cela avait été désastreux pour elle.

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