0,00 EUR

Votre panier est vide.

La soviétisation du système libéral

Par François Martin

S’il n’est pas démontré que le système « libéral démocratique » pratiqué en occident (ce terme s’entend comme la partie du monde comprenant les USA et une portion de l’Europe, une « bulle » de moins en moins représentative de l’ensemble de celui-ci) est fondamentalement et intrinsèquement totalitaire, il est chaque jour mieux compris que sa dérive dans cette direction est extrêmement facile et, d’une certaine façon, naturelle, et qu’elle est aujourd’hui avérée.

En 1991, le philosophe et prêtre Michel Schooyans avait publié un ouvrage passionnant, « La dérive totalitaire du libéralisme ». Une description du livre indiquait : « Dès que les lois du marché, indiscutables, sont érigées en critères moraux, l’idée même de justice est pervertie ». Une autre critique disait : « Remontant aux origines de la pensée libérale, il montre que le ver était dans le fruit : que la dérive « totalitaire » du libéralisme économique s’inscrit dans la logique de l’anthropologie sous-jacente à la pensée libérale ». Il est peu de dire que ce livre (qui comportait, il faut le souligner, une dédicace spéciale de Jean-Paul II, signe de l’importance que l’Eglise y accordait) n’avait pas eu, à l’époque, l’impact qu’il méritait. Avant cela, et dès les années 60,  étant prophète dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, Charles de Gaulle avait fustigé « le libéralisme qui ne libère personne ».

Mais si ce débat théorique, pourtant fondamental, n’a jamais vraiment eu lieu, noyé, on ne le comprend que trop bien, sous les rhétoriques d’essence anglosaxonne, pourtant bien imprécises, de « liberté » et de « démocratie », la suite des choses a démontré, et le présent le rend aujourd’hui clair pour tous, à quel point la dérive du libéralisme à la fois en ploutocratie (le gouvernement des plus fortunés) et en oligarchie (celui d’une classe restreinte et privilégiée) est devenue maintenant un système à la fois malfaisant et verrouillé.

Il se reconnaît à plusieurs caractéristiques. On peut en décrire six :

L’une, la plus importante, est évidemment la fracture sociale, provoquée par la prédation des castes dirigeantes sur les autres classes sociales et sur le travail, enrichissant toujours plus les riches au détriment des autres, en particulier des plus pauvres. Ainsi, la pratique des affaires dans de nombreux pays du « sud », où l’Etat est faible ou même très faible, permet d’infirmer le dicton asiatique, souvent entendu, qui assure que « Lorsque les riches sont riches, les pauvres sont pauvres, mais lorsque les riches sont pauvres, les pauvres sont morts ». Ce dicton se veut d’une certaine façon justificatif de la fracture sociale. Il part aussi d’une logique fausse, car le but n’est pas  d’appauvrir les riches, mais d’enrichir les pauvres, en rééquilibrant la balance riches/pauvres, en particulier dans le partage des fruits du travail, une opération dont, normalement, chacun peut sortir gagnant.  En réalité, dans les pays du « sud » en question, il n’existe jamais aucun scrupule, de la part des plus riches, par rapport à une limite de la prédation. Bien au contraire, on y constate que plus les pauvres y sont pauvres, plus les riches y sont riches, et souvent de manière incommensurable. Leur mentalité est celle de la Bible (Amos) : « Nous fausserons les balances. Puis nous acheterons les misérables pour de l’argent, et le pauvre pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux balayures du froment ». Si de tels excès sont possibles, c’est parce qu’au fur et à mesure, leur pouvoir économique s’est transformé en pouvoir politique, au point que les politiques y sont devenus leurs « choses », des choses qu’ils ont achetées, seulement dédiées à créer les conditions, les lois et les décrets propres à faciliter leurs affaires, ainsi qu’à obtenir les passe-droits dont ils ont besoin, ou à cacher et effacer leurs turpitudes, toujours plus grandes et scandaleuses.

Contre les ploutocrates

Ces pratiques, qui sont monnaie courante dans de nombreux pays du monde, le deviennent aujourd’hui chez nous, et pour les mêmes raisons : parce que le renforcement du pouvoir ploutocratique et oligarchique entraîne la même dérive que celle observée dans les républiques dites « bananières », le passage du pouvoir politique institutionnel sous la coupe de ces lobbies. Et la conséquence chaque fois plus observable en est le creusement, sans arrêt et sans limites, du fossé riches/pauvres. Là aussi, notre naïveté institutionnelle, renforcée par les cris « Démocratie ! démocratie ! » répétés sans cesse par les intellectuels et les journalistes « aux ordres », nous laisse à penser que, « naturellement », si la colère du peuple est forte, le changement de régime se produira à un moment donné. Il faut être bien bête pour le croire, comme si la violence institutionnelle, les chausses-trappes gouvernementales, ou le « deux poids, deux mesures » de la justice ne nous avait pas encore fait comprendre que le régime, qui est tenu de protéger à tout prix de tels intérêts stratégiques, ne reculera devant rien pour assurer sa durée. Soljenytsine nous avait pourtant bien prévenus, qui affirme, dans « L’erreur de l’occident », que « Ce qui fait les révolutions, ce ne sont pas les revendications fortes, mais les régimes faibles ». Même dans un régime qui se prétend démocratique, l’injustice sociale grandissante n’est donc en aucune façon un critère « naturel » de changement. Il ne faut jamais le croire, car c’est un leurre. La Révolution française, par exemple,  Régine Pernoud le démontre magistralement dans « Histoire de la bourgeoisie en France », n’a pas été faite par le peuple (ça, c’est la présentation romantique pour le flatter), mais par des bourgeois influents et bien organisés, qui ont fait face à un pouvoir faible. Ensuite, au XIXème siècle, leurs profits ont été gigantesques. Aujourd’hui, seule la volonté farouche de groupes d’opposants qui chercheront, et trouveront, les faiblesses du régime et les exploiteront jusqu’à le vaincre, pourra y parvenir.

« Ce qui fait les révolutions, ce ne sont pas les revendications fortes, mais les régimes faibles ».

Soljenytsine

Un autre critère qui permet de reconnaître la dérive totalitaire des régimes libéraux démocratiques, c’est la croissance sans limite de l’administration. En effet, ce mouvement profite de l’affaiblissement du pouvoir politique, et du vide ainsi créé, dont il prend la place. Il permet d’invisibiliser les pratiques de pouvoir, de profiter des avantages que procure L’État, de « manger » celui-ci en toute impunité, comme le démontre Paul-Antoine Martin dans « Le clan des Seigneurs », ou comme le montre Paul-Marie Coûteaux, dans son entretien avec Eric Verhaeghe, sur son expérience de député européen. Qu’on me permette ici une anecdote : je me trouvais un jour, pendant les années 80, à Cotonou, au Bénin. Un matin, j’avais souhaité rencontrer, au Ministère des Finances, un très haut fonctionnaire, pour avoir de sa part une analyse des perspectives économiques du pays. J’avais été reçu très aimablement. L’après-midi du même jour, j’avais sollicité, pour avoir une analyse parallèle, un rendez-vous avec le PDG de la plus grande banque privée du pays. Quelle n’avait pas été ma surprise d’y rencontrer le même homme ! Devant mon air interloqué, il m’avait dit en riant : « Cher Monsieur, certaines choses sont possibles au Bénin qui ne le sont nulle part ailleurs.. ». Combien de temps faudra-t-il pour que la même situation se produise en France ? Déjà, on peut constater, avec la collusion existant entre public et privé dans « L’État profond » américain, ou dans le système européen, ou dans l’administration française, à quel point l’intérêt général a disparu des principes et des pratiques, au profit des intérêts particuliers de l’oligarchie.

On constate ici que cet effacement de la différence entre intérêt privé (particulier, devrait-on plutôt dire) et public, sous couvert d’administrations devenues de plus en plus pléthoriques (mais inefficaces, et aussi, forcément, corrompues) , n’est pas propre aux dérives des systèmes libéraux, mais qu’on le retrouve, avec exactement les mêmes caractéristiques, dans les pays socialistes. Ainsi en était-il à l’époque de l’URSS (c’est même cette inefficacité administrative grandissante qui a causé sa perte). Ainsi en est-il, on ne le sait que trop, dans le système chinois, où, par exemple, l’opacité du système bancaire permet tous les « arrangements » entre administration et affaires, entre décision politique et enrichissement privé. Pour ce qui est de notre propre modèle occidental, on peut donc parler à bon droit de « soviétisation du système libéral », car si les prémices idéologiques sont opposés, la logique prédatrice des castes au pouvoir, ayant conquis, à l’ouest, le pouvoir politique à partir de l’économique, et l’inverse à l’est, dans les deux cas reste la même.

La faiblesse des dirigeants

Une troisième caractéristique des régimes oligarchiques est le fait que, de par la logique de ces systèmes, les dirigeants sont faibles, et ils doivent l’être, puisqu’ils ne sont plus que des porte-paroles de groupes oligarchiques qui les commandent et les manipulent. Quel meilleur exemple, pour le démontrer, que Joe Biden, ce vieillard sénile, qui dirige le pays qui reste encore (pour combien de temps ?) le plus puissant du monde ? « C’est un zombie qu’on mènera ! », doit se féliciter L’État profond : aux yeux des lobbies qui dirigent ce pays, son impuissance cacochyme reste le meilleur argument électoral. Et quel aveu, de la part de notre presse, de son propre caractère oligarchique, que de justifier cet homme, et de passer sous silence, en permanence, une situation politique aussi catastrophique ! Quel autre dirigeant aurait bénéficié d’une telle mansuétude ? On peut se rappeler, de même, le « légume » qu’était, à la fin de sa vie, le dirigeant algérien Bouteflika. Là aussi, la junte oligarchique des généraux au pouvoir dans ce pays avait privilégié l’homme le plus faible qui se puisse trouver, afin qu’il ne puisse perturber leurs jeux. De même encore, on se souvient qu’en URSS, après les fortes personnalités de Staline et de Kroutchev, les suivants, jusqu’à Andropov, n’avaient pas été, au sens propre, des dirigeants, mais seulement des représentants de la caste au pouvoir

Mais nos propres dirigeants européens, le faible Scholz en Allemagne, la corrompue Von der Leyen à Bruxelles, ou l’inexistant Macron en France, qui tente désespérément, par la provocation permanente, d’exister en rallumant encore et toujours les brasiers nationalistes ou sociaux, pour resserrer autour de lui les bourgeoisies et les retraités terrorisés, ne sont-ils pas de même nature ? Certainement, à part quelques individualités notables, il n’existe plus, dans notre environnement européen parfaitement oligarchique, de personnalités fortes propres à créer l’adhésion générale,  et d’abord celle des peuples, pour affronter l’avenir. Elles ont toutes été soigneusement écartées. Y en aurait-il qu’elles seraient, comme tous les « forts » d’aujourd’hui, Poutine, Trump, Orban ou d’autres, traitées avec le plus grand mépris. Ils feraient l’objet de harcèlement médiatique et de sarcasmes permanents. Quel meilleur aveu de la « moutonnerie » oligarchique que cette accusation de « fascisme » vis-à-vis de tout ce qui cherche à sortir du lot ! On sait que, de même, dans le modèle soviétique, le dénigrement et l’accusation faisaient partie du système pour éliminer les gêneurs et les « dissidents ».

Une autre marque, encore, de la dérive oligarchique du système libéral est le dévoiement de la Justice. En effet, avec l’Ordre et la Défense des frontières, la Justice est la troisième prérogative d’un État digne de ce nom. Lorsqu’elle ne s’applique plus, c’est que l’État proprement dit n’existe plus, détourné par les lobbies. La Justice, alors, sert soit à justifier l’apparence d’État qui tient lieu de pouvoir, soit à défendre des intérêts particuliers haut placés. Les exemples dans ce sens abondent, que ce soit aux USA, avec par exemple le harcèlement judiciaire dont Trump est victime, alors que la justice américaine dispose, depuis 2019, de l’ordinateur d’Hunter Biden, qui contient toutes les turpitudes et les preuves de sa corruption et de celle de son père, et qu’elle ne le traite pas. Il en est de même en France, où l’on peut comparer le traitement infligé à François Fillon en 2017 avec l’impunité dont semblent avoir bénéficié les multiples oligarques partie prenante du pouvoir, que ce soit Richard Ferrand, Agnès Buzyn, ou Emmanuel Macron lui-même, ou encore les anciens condamnés Fabius et Juppé qui siègent au Conseil Constitutionnel ! 

Les nouvelles Pravdas

Une autre caractéristique encore, indélébile, des régimes oligarchiques, qu’ils soient d’origine libérale ou soviétique, est le rôle institutionnel de la presse. En effet, dans l’un ou l’autre cas, un Etat diffus qui n’est pas entraîné par un chef charismatique a besoin d’une presse puissante pour tenir lieu de « voix du pouvoir ». A l’époque de l’URSS, ce rôle dévolu à la presse était si important que le pouvoir n’avait pas hésité à nommer le principal organe « La Pravda », c’est-à-dire « La Vérité ». Dans nos démocraties dévoyées, il en est exactement de même, par un retournement des principes et des pratiques tout à fait caractéristique.

On peut dire que toute la presse moderne s’est construite, depuis 1972, autour des « héros » du Watergate, les duettistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein. Tous  les journalistes du monde entier ont rêvé de les imiter, et d’acquérir la gloire en découvrant et dénonçant un complot d’État, puis de faire tomber le Président, en faisant triompher la vérité cachée par des politiciens a priori corrompus et menteurs. Le nec plus ultra journalistique était d’être complotiste. Or, aujourd’hui, le principal argument journalistique pour dénigrer un opposant au pouvoir est précisément de l’accuser de complotisme. En utilisant ce mot, tous ceux qui l’emploient démontrent donc, à l’inverse de leurs fiers aînés, qu’ils sont devenus des carpettes du pouvoir, des fonctionnaires d’un système soviétoïde. Lorsqu’ils utilisent cette réthorique, le rouge de la honte devrait leur monter aux joues, à eux et aux intellectuels qui les entourent, qui sont là pour appuyer sous la forme affirmative le « discours officiel » étatique que les journalistes sont obligés d’introduire de façon interrogative.

D’un principe d’indépendance et de critique du pouvoir, la presse en est venue, globalement, à être son meilleur défenseur. Comment en est-on arrivé là ? De quatre façons :

  • d’une part, par le resserrement du nombre de « grands médias »,  et leur rachat par des ploutocrates proches du pouvoir. Il ne s’agit plus de critiquer le pouvoir, mais de le justifier.
  • Ensuite, par le renversement des objectifs stratégiques des médias : autrefois, la publicité servait à soutenir le coût du journal, permettant de diffuser l’information moins cher, donc de façon plus démocratique. Aujourd’hui, c’est l’information qui doit attirer le lecteur vers la publicité. Les impératifs des sponsors ne peuvent donc souffrir aucune information qui soit pour eux dévalorisante, mais pas non plus celle qui « n’attire pas le chaland ». Le « buzz » est devenu roi, la vérité est passée à la trappe.
  • Par ailleurs, le pouvoir oligarchique a « acheté » la presse par de larges subventions. Elle est bien « dans la main » du pouvoir
  • Enfin, dans un contexte de fracture sociale grandissante, où l’on a peur d’être exclu, les journalistes et les « intellectuels de plateau » se perçoivent eux-mêmes comme des oligarques et, de fait, ils le sont, et peut-être les plus importants d’entre eux. Sauf pour quelques uns, la plupart méprisent profondément le peuple. Ils ne le connaissent pas, et ne veulent surtout pas s’en approcher.

Enfin, la dernière caractéristique de la dérive oligarchique du pouvoir démocratique libéral est l’absence de vision et de stratégie. Il faut remarquer que ceci est moins vrai dans les pays socialistes que dans les pays libéraux, car dans le premier cas, la dérive oligarchique vient du pouvoir et non de l’argent, et donc qu’il y reste un certain sens du bien commun.

Bien que le système chinois soit totalement oligarchique, on ne peut pas dire qu’il n’a ni vision, ni stratégie. C’est parce que dans ce cas, ce sont les politiques qui ont mis la main sur l’argent et non pas, comme chez nous, les hommes d’argent qui ont confisqué le pouvoir politique. Dans les pays libéraux au contraire, une fois que l’argent a pris le pouvoir, tout sens du bien commun, et donc d’une vision pour le pays, disparaît. Il ne reste plus que la prédation, partout et par tous les moyens. Il ne faut donc pas s’étonner qu’aujourd’hui, tant à New York qu’à Bruxelles, à Berlin ou à Paris, les stratégies étatiques soient devenues totalement illisibles. Simplement, elles n’existent plus, l’argent étant devenu la seule priorité.

La soviétisation du système libéral n’est donc pas un « complotisme » de plus, mais une réalité, et chaque jour plus contraignante. Sans une implosion du système, coulé par ses propres contradictions, comme l’URSS, ou une révolution, il sera impossible d’en sortir. En France, un pays où l’oligarchie, depuis 1983, a instrumentalisé les populations d’origine exogène, en les survalorisant artificiellement, pour mieux humilier, hystériser et isoler les classes populaires et les bourgeoisies patriotes, le système est encore mieux verrouillé. D’où la violence qui sourd de partout. Une telle révolution, de palais plus que de rue, pourrait tenter, comme c’est souvent le cas, une partie de l’oligarchie elle-même, la plus intelligente, se rendant compte que sans cela, elle va à sa perte. Parfois, la peur d’un scénario du pire peut faire réfléchir même les plus cupides. « Moi ou le chaos » pourrait alors devenir un discours crédible pour certains d’entre eux, et conduire au changement espéré.

François Martin

Voir aussi

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici