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États-Unis 2023 : la chute de la nouvelle Rome

Par Guillaume de Thieulloy, directeur des 4 Vérités

On votait en novembre dernier, aux États-Unis, pour les élections dites de « mi-mandat » : occasion de renouveler la Chambre des Représentants, le tiers du Sénat, et les dirigeants d’environ un tiers des États, à commencer par leurs Gouverneurs. Les Démocrates ont finalement conservé la majorité au sénat (gagnant un siège pour parvenir à 48, auxquels s’ajoutent deux indépendants votant normalement avec eux, et le siège de la vice-présidente Kamala Harris qui est à la fois le second personnage de l’exécutif et la Présidente du Sénat). Le parti de Joe Biden a, en revanche, perdu la majorité à la Chambre des Représentants où il ne compte plus que 213 sièges (contre 221 pour les Républicains, qui ont gagné 9 sièges). Enfin, les Gouverneurs des États sont désormais 26 Républicains (soit une perte de 2 États) et 24 Démocrates. Guillaume de Thieulloy, éditeur de presse, était aux États-Unis en novembre ; il en est revenu avec l’impression que, unis, les fameux États du Nord de l’Amérique ne l’étaient plus guère et la société civile moins encore, tandis que partout s’y révèlent des mœurs de bas-empire…

La première chose qui frappe, c’est que ces résultats sont bien moins bons pour les Républicains que ce à quoi s’attendaient les commentateurs et les sondages. Traditionnellement, les élections de « mi-mandat » s’achèvent par une défaite plus ou moins nette du parti présidentiel. Ici, non seulement il n’y a nulle déroute mais, au contraire, en bien des endroits, ce sont les Républicains qui réalisent des contre-performances.

Les oligarques

Ce phénomène s’explique notamment par le poids croissant de ce que l’on appelle là-bas le « ballot harvesting » – c’est-à-dire la collecte de votes par correspondance. La participation électorale est traditionnellement faible aux États-Unis. Par conséquent, des dizaines de millions de personnes ne prévoient pas de se rendre aux urnes et le parti qui parvient à les convaincre de remplir un bulletin de vote par correspondance dispose d’un immense avantage (en 2020, 69 % des électeurs ayant participé au vote l’ont fait par correspondance !). Or, les Démocrates sont bien mieux armés pour cela, notamment parce qu’ils peuvent compter sur des myriades d’organisations agissant dans le secteur social et donc en contact avec les Américains les plus pauvres, qui sont aussi les moins enclins à voter.

Il est étrange que la première démocratie du monde garde un système électoral qui prête le flanc à tant de critiques.

Cet avantage historique a été fortement développé au cours des dernières années. Pour les seules élections de mi-mandat, le fameux milliardaire d’extrême-gauche George Soros a dépensé plus 125 millions de dollars et une part importante de cette somme gigantesque a été utilisée pour « favoriser la participation » des « minorités » – c’est-à-dire, en clair, pour financer du ballot harvesting. Au total, selon CNBC, qui n’a certes pas la réputation d’être « complotiste », une poignée de milliardaires « progressistes » (outre Soros, des magnats comme Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, ou l’ancien patron d’eBay Pierre Omidyar) ont dépensé 880 millions de dollars pour ces élections de 2022 – dont une part très significative pour financer les multiples associations locales capables de réunir des millions de votes par correspondance.

Ce processus, en principe légal, nourrit les soupçons de fraude électorale. Des personnes ayant déménagé, mais n’ayant pas été rayées des listes électorales, votent dans des Etats où elles n’ont plus le droit de le faire. Certaines se présentent dans les bureaux de vote le jour de l’élection et découvrent qu’elles n’ont pas le droit de voter parce qu’elles sont supposées l’avoir déjà fait par correspondance. Souvent, des morts font même des électeurs fort convenables ! De nombreuses organisations conservatrices ont réuni des milliers de témoignages de ce type pour l’élection de 2020 et celle de 2022 n’a pas échappé à cette règle récente, et de plus en plus marquante.

En particulier, il existe de très forts soupçons de fraude en Arizona, Etat-clé pour le contrôle du Sénat, et qui a vu la défaite des Républicains plusieurs jours après l’élection grâce au comptage de ces fameux votes par correspondance. Pour nous, Français, il est assez étrange que la première démocratie du monde garde un système électoral qui prête si facilement le flanc à tant de manipulations. Mais il est assez remarquable qu’en 2022, les nombreux commentateurs républicains évoquant ces soupçons sur les résultats ne se sont pas contentés de dénoncer des méthodes susceptibles de permettre à l’oligarchie de voler l’élection aux citoyens (puisqu’il suffit de disposer de la « logistique » la plus efficace et donc la plus coûteuse pour l’emporter) ; ils ont souvent appelé leur propre camp à mettre en place une semblable organisation pour aller chercher les votes par correspondance. Cela s’interprète aisément : ils ne pourront pas changer les règles du jeu avant l’élection présidentielle prochaine et veulent pouvoir au moins jouer à armes égales. Il reste que c’est un calcul dangereux car cela contribue à légitimer des méthodes peu recommandables, sans pouvoir en bénéficier pleinement pour eux-mêmes : l’avance des Démocrates en matière de votes par correspondance est si gigantesque qu’elle ne sera certainement pas rattrapée en deux ans. Tout aussi frappant, dans cette ambiance délétère, est le parfum de guerre de sécession qui s’élève peu à peu sur l’ensemble de la démocratie états-unienne. Cette fois, il ne s’agit plus du Nord contre le Sud, des industriels contre les propriétaires de plantation, des « libérateurs » contre les esclavagistes (« libérateurs » entre guillemets car, jusqu’à la veille de la guerre de Sécession, bien des dirigeants des Etats du nord possédaient des esclaves et que ce sujet, aussi important soit-il du point de vue de la dignité humaine, ne fut qu’un prétexte politique), mais des Etats côtiers contre ceux du centre, des « minorités » contre les « white trash », de l’oligarchie contre les « déplorables », du nom dont usa un jour Hillary Clinton pour désigner les électeurs de Trump.

Un parfum de nouvelle « guerre de sécession »

Depuis 2016 au moins (mais les racines du phénomène sont sans doute plus anciennes), ce parfum se répand dans l’espace public avec une facilité déconcertante. Ce ne sont plus seulement des conversations discrètes, mais des positions de plus en plus assumées publiquement : le « camp d’en face » n’est plus seulement composé d’adversaires politiques mais de personnes indignes d’être américaines. A cette aune, le « consensus », du moins cette « amitié civique » dont Aristote faisait le ciment des sociétés, et qui, en temps normal, surpasse aisément les clivages politiques, a disparu : plus de 40 % des Etats-Uniens jugent que 40 % d’autres Etats-Uniens ne le sont pas. Plus précisément, l’appartenance au peuple américain est désormais si fortement idéologisée que vous ne pouvez être « américain », pour votre interlocuteur, qu’en partageant les éléments centraux de sa propre idéologie.

En un sens, c’est toute la conception moderne du patriotisme qui conduit à cela, comme Jean de Viguerie l’a bien démontré dans Les Deux Patries – et nous, Français, en savons quelque chose, qui connûmes un temps où être « aristocrate » ou « suppôt de la superstition » faisait perdre la qualité de « patriote ». Cette tendance est sans conteste aggravée aux Etats-Unis par l’élaboration du peuplement par vagues successives d’immigration : ce qui tient lieu d’appartenance n’est pas, comme dans le vieux monde européen, une commune filiation (nous sommes frères car nos aïeux l’étaient déjà avant nous), mais l’adhésion à une « religion civique ». Cela rend l’intégration admirablement simple et efficace (en deux générations un Irlandais ou un Italien sont devenus véritablement des « Américains »), mais rend aussi cette appartenance fragile, puisque, après tout, elle n’est qu’idéologique…

Plus de 40 % des États-uniens jugent que 40 % d’autres États-uniens ne le sont pas. Plus précisément, l’appartenance au « peuple américain » est désormais si idéologisée que vous ne pouvez être « américain », pour votre interlocuteur, qu’en partageant les éléments centraux de sa propre idéologie.

Pourtant, ce n’est pas là la seule menace sur la cohésion nationale américaine. Les récentes élections de mi-mandat ont montré que ces ferments de division se trouvaient désormais au sein même des partis. Nous avions déjà pressenti cela chez les Démocrates entre les électeurs de Bernie Sanders et ceux d’Hillary Clinton. C’est désormais tout aussi frappant au sein du parti républicain entre les électeurs de Donald Trump et les autres. En particulier, les débats ont été très virulents au sujet des soutiens apportés par l’ancien président à certains candidats. Ces appuis ont été décisifs pour gagner les primaires, mais beaucoup des candidats « trumpistes » ainsi désignés ont ensuite échoué à l’emporter. Ce qui conduit à l’étrange impression que, sans le secours de Donald Trump, peu de candidats peuvent remporter une primaire républicaine, mais que, avec ce soutien, peu peuvent gagner l’élection générale. Naturellement, cette vision un peu caricaturale devrait être affinée en regardant Etat par Etat et candidat par candidat, mais c’est bien ce message caricatural qui se diffusait, y compris sur Fox News, dans les heures qui suivaient les élections.

Retrouvez la suite de cette analyse de Guillaume de Thieulloy dans le numéro IX du Nouveau Conservateur.

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