0,00 EUR

Votre panier est vide.

Les leçons de l’expédition de Napoléon III au Mexique

Entretien avec Eric Anceau, spécialiste du Second Empire et biographe de Napoléon III.

Eric Anceau est l’un des meilleurs historiens français, domaine où les grandes plumes, que le Nouveau Conservateur a toujours à cœur d’honorer, sont des plus précieuses. Spécialiste reconnu du Second Empire et de Napoléon III, il enseigne à la Sorbonne l’histoire contemporaine de la France et de l’Europe. En 2000, il obtint le Grand Prix de la Fondation Napoléon pour ses travaux sur le Second Empire, ainsi que, par la suite, trois prix de l’Institut de France. Ancien chevènementiste, ce gaulliste de bonne souche fut membre du bureau national de Debout la France, notamment chargé du projet de programme présidentiel de N. Dupont-Aignan en 2017. Parmi de nombreux ouvrages, citons Comprendre le Second Empire (Saint-Sulpice, 1999, préface de Philippe Séguin) ; Napoléon III, un Saint-Simon à cheval (Tallandier, 2008, rééd. 2012, 2018, 2020) et plus récemment Les élites françaises – Des Lumières au grand confinement (Passés Composés, 2020). Remercions Eric Anceau de revenir pour nous sur un épisode sombre, mais d’une grande portée géo-politique, du règne de Napoléon III, l’expédition au Mexique – qui montre l’âpreté de la concurrence franco-états-unienne.

Le Second Empire est un curieux composé de « succès achevés et de malheurs exemplaires » comme le disait de Gaulle de l’ensemble de l’histoire de France. Parmi ces malheurs, il y eut l’expédition mexicaine. Pensez-vous exagéré de dire que cet épisode opposa directement les Etats-Unis et la France ? Napoléon III avait déjà exprimé de vives inquiétudes devant la progression de l’influence états-unienne dans le monde latin…

La plupart des grands événements historiques ne s’expliquent pas par une cause unique, mais par un faisceau de raisons, et l’expédition du Mexique qui commence en décembre 1861 n’échappe pas à cette règle. A l’origine de tout, se trouve l’instabilité politique du Mexique, auprès duquel les Européens (en particulier les Britanniques, les Espagnols et les Français) ont de nombreuses créances. Lorsque le nouveau président mexicain Juarez annonce qu’il ne les honorera pas, les trois pays décident d’envoyer des troupes sur place, comme tel a déjà été le cas dans le passé pour forcer celui-ci à revenir sur sa décision.

Cependant, très rapidement, les Britanniques et les Espagnols renoncent. Tel n’est pas le cas des Français qui, non seulement restent sur place après avoir débarqué à la Vera Cruz, en janvier 1862, mais vont envoyer de plus en plus de soldats au cours des mois suivants. Outre la volonté d’obliger les Mexicains à honorer leur dette, il y a d’autres raisons qui poussent Napoléon III à laisser son armée sur place, puis à la faire marcher ensuite sur Mexico. Il y a d’abord l’idée que le pays regorge de richesses naturelles, et en particulier de mines d’or et d’argent, qui pourraient permettre de se rembourser directement, mais aussi de profiter à la France sur le plus long terme. L’empereur des Français a également le sentiment qu’il serait possible de mettre en application, dans ce pays, ses projets de colonisation agricole qu’il a développés dans Extinction du paupérisme – ouvrage qu’il a rédigé, vingt ans plus tôt, alors qu’il n’était pas encore au pouvoir.

Il y a, par ailleurs, et en cela vous avez totalement raison, la volonté chez Napoléon III, d’établir un Empire latin et catholique en Amérique centrale, client de la France, qui permette de contrebalancer l’influence, de l’autre côté de l’Atlantique, de la République des Etats-Unis, anglo-saxonne et protestante. Napoléon III voit enfin dans ce projet un bon moyen de se rapprocher de l’Autriche à laquelle il a fait la guerre en Italie, en 1859 ; c’est pourquoi le trône du Mexique est proposé au frère de l’empereur François-Joseph, l’archiduc Maximilien.

Il faut dire que les Etats-Unis sont alors déchirés depuis peu par leur Civil War, que nous appelons chez nous la guerre de Sécession et Napoléon III espère bien qu’ils ne réagiront pas, en dépit de la doctrine Monroe – rappelons ici que le président américain Monroe avait déclaré en 1823 que « l’Amérique était la chasse gardée des nouveaux Etats-Unis », visant ainsi directement l’Europe dont il souhaitait la fin de l’influence sur tout le « nouveau continent ». Mais, en pensant que les Etats-Unis ne réagiront pas, Napoléon III se trompe.

Pouvez-vous justement nous rappeler ce qui arrive ensuite, épisode assez spectaculaire que l’on connaît assez mal en France ?

Après avoir pris Mexico dont se sont enfuis Juarez et son gouvernement, à l’été 1863, les Français font proclamer Maximilien, empereur du Mexique, mais les soutiens de celui-ci sont limités aux forces conservatrices et catholiques de la société mexicaine. Les Français qui ont eu les plus grandes difficultés à prendre Puebla, sur la route de Mexico, sont maintenant confrontés à une guérilla intense. Surtout, les victoires du Nord sur le Sud dans la Guerre Civile états-unienne changent la donne. En 1864, le Congrès des Etats-Unis vote une résolution protestant contre l’intervention française au Mexique, en parfaite conformité avec la doctrine Monroe, refusant bien sûr de reconnaître le gouvernement de Maximilien – notons, car ce point est capital, que ladite doctrine Monroe est alors très ouvertement évoquée dans des papiers gouvernementaux et des dépêches diplomatiques. Des armes, des munitions et du matériel commencent à être livrés par Washington aux partisans de Juarez.

Lorsque le Nord l’emporte définitivement en 1865, des soldats américains démobilisés se rendent en nombre au Mexique pour les aider. Les troupes régulières américaines sont en outre massées sur la frontière et le secrétaire d’Etat Seward menace la France d’une guerre ouverte si elle ne se retire pas. Pendant ce temps-là, l’armée française rencontre de plus en plus de difficultés, malgré la contre-guérilla mise en place par le commandant en chef des troupes françaises, Bazaine, en raison de l’hostilité croissante de la population. L’expédition du Mexique, qualifiée bien imprudemment de « plus grande pensée du règne » par Rouher, le principal ministre de Napoléon III, est en train de devenir un « guêpier », comme l’Espagne en avait été un pour Napoléon sous le Premier Empire. La raison principale du départ français est cependant à chercher ailleurs.

Le 3 juillet 1866, la Prusse vient d’écraser l’Autriche à la bataille de Sadowa, entraînant une reconfiguration de toute l’Allemagne à son profit et devenant une menace pour la France. Devant le danger, Napoléon III ne peut pas se permettre d’avoir une partie de ses meilleures troupes engagées outre-Atlantique. Il ordonne leur rapatriement. En février 1867, le dernier navire français quitte le Mexique. Malgré la proposition que lui a faite Napoléon III, Maximilien refuse de regagner l’Europe. En juin, il est fait prisonnier à Querétaro où il s’était réfugié avec ses derniers partisans, et il est aussitôt fusillé.

A la lumière de ce que vous venez de dire, peut-on avaliser l’idée souvent répétée selon laquelle les États-Unis et la France sont les deux seules grandes puissances qui ne se sont jamais fait la guerre ? Et plus largement, comment évaluez-vous la balance dans les relations entre Paris et Washington entre les concordances et les moments de concurrence, voire de conflit ?

Idée souvent répétée que les États-Unis et la France ne se sont jamais fait la guerre… vous ne croyez pas si bien dire ! C’est une antienne que nous ressortent constamment les journalistes. Elle est presque aussi fréquente et tout aussi fausse que le soi-disant « couple franco-allemand ». Il faut dire que la presse ne fait ici que suivre la plupart de nos politiques et en particulier nos Chefs d’État. Sans remonter trop haut dans notre histoire, on se souvient par exemple des paroles très aimables du président Pompidou à l’égard des Américains, lors de sa visite officielle aux États-Unis sous Nixon, en 1970, voyage destiné à renouer un lien qui s’était distendu sous le général de Gaulle, c’est le moins que l’on puisse dire. Il y a seulement quelques jours, Macron rappelait encore cette idée d’une « relation spéciale », si j’ose dire, lors de sa visite d’Etat, devant Joe Biden… Or, la vérité est quelque peu différente. Certes, les Français ont aidé les anciennes colonies anglaises d’Amérique à accéder à l’indépendance et à devenir les États-Unis en 1783. Certes, les Etats-Unis se sont retrouvés à nos côtés lors des deux Guerres mondiales. On ne peut nier ces faits majeurs.

Idée souvent répétée que les E-U et la France ne se sont jamais fait la guerre : c’est une antienne que nous ressortent constamment les journalistes. Elle est presque aussi fréquente et tout aussi fausse que le soi-disant « couple franco-allemand » !

Certes, enfin les moments de conflit armé entre les deux puissances sont rarissimes, mais ils ont bel et bien existé. Une guerre navale s’est ainsi déroulée entre les Etats-Unis et la France entre 1798 et 1800. Rappelons aussi que pendant l’expédition du Mexique, fin 1865, un contingent français épaulé par des Autrichiens s’est retrouvé directement au contact des troupes américaines dans le village de Bagdad, à l’embouchure du Rio Grande, et que des coups de feu ont été échangés entre les deux camps, le 4 janvier 1866. Et rappelons surtout que le premier télégramme de félicitations que reçoit Bismarck, après la bataille de Sedan qui voit la capitulation de Napoléon III face à l’armée allemande, les 1er et 2 septembre 1870, vient du président des Etats-Unis, le général Grant. Celui-ci, qui commandait les troupes du Nord, n’avait pas pardonné la sympathie de la France pour les Confédérés du Sud. Il faut dire que, comme l’Angleterre, la France avait besoin du coton des plantations du Sud pour son industrie textile. Il faut dire aussi que Napoléon III souhaitait profiter de l’affaiblissement du Nord pour son dessein mexicain et rabattre l’arrogance et les prétentions de Washington.

Retrouvez la suite de cet entretien avec Eric Anceau dans le numéro IX du Nouveau Conservateur.

Voir aussi

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici