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Derrière l’Atlantisme, la soumission pure et simple

par Jean-Frédéric Poisson, directeur de la publication du Nouveau Conservateur

Il y a de nombreuses années (quelques-unes avant la deuxième guerre du Golfe), je préparais la visite aux États-Unis de Christine Boutin, dont j’étais alors le directeur de cabinet. J’avais été amené à rencontrer des membres du Congrès et leurs équipes pour préparer entretiens et interventions. Présentant à l’un de mes interlocuteurs le déroulé de sa première intervention, je le rassurais sur le fait qu’elle évoquerait bien sûr dès ses premiers mots « l’amitié séculaire et indéfectible qui unit nos deux pays, et qui remonte à La Fayette, bla bla bla ». M’efforçant de parler un anglais présentable, j’avais dû dire «you see what I mean» plutôt que «bla bla bla», mais mon interlocuteur n’avait pas apprécié cet effort. J’avais certainement accompagné cette sortie d’un geste de la main indiquant que nous n’avions pas à perdre du temps avec les évidences. De ce fait, j’avais subi un étonnement teinté d’agacement : « tu ne dois pas traiter une chose aussi importante que La Fayette et l’amitié franco-américaine avec tant de légèreté» m’avait-il reproché, ajoutant que les interlocuteurs de la ministre ne comprendraient pas une telle désinvolture. Je m’étais d’abord réjoui de voir que les États-Unis accordaient tant de valeur à cette insubmersible amitié. Puis je me suis posé des questions : était-ce seulement l’effet de la naïveté ? De l’ignorance ? Ou de la volonté de ne voir dans les relations franco-américaines que la seule chose qui « saute aux yeux », i.e. cette alliance qui a, du moins en apparence, toujours placé nos deux pays dans le même camp ?

Dans le « même camp », vraiment ? « C’était avant », comme on dit… Avant quoi, d’ailleurs ? Avant le « lâchage » par les Américains de la France dans la crise de Suez ? Avant le soutien des Etats-Unis aux mouvements indépendantistes algériens ? Avant l’interdiction des vols transatlantiques du Concorde ? Avant le discours de Dominique de Villepin annonçant au Conseil de sécurité de l’ONU le refus de la France de prendre part aux opérations militaires de la 2e guerre du Golfe ? Avant les révélations sur l’espionnage des autorités politiques européennes par les services d’écoute de la NSA ? Avant les sanctions prises contre les entreprises françaises qui travaillent en Iran ou à Cuba et celles que les E-U accusent de corruption ? Avant le démantèlement des fleurons de l’industrie française au profit d’opérateurs américains ? L’histoire des relations entre la France et les Etats-Unis d’Amérique est plus bigarrée qu’il n’y paraît. Plus compliquée, en tous cas, que ce que laisse entrevoir la formulation simpliste des « vieux alliés ». Elle trouve une formulation synthétique dans l’expression de mes deux collègues députés K. Berger et P. Lellouche (ce dernier, ancien secrétaire d’Etat aux affaires européennes de N. Sarkozy), auteurs d’un rapport remarqué « L’extraterritorialité de la législation américaine »(1). Ils décrivent ainsi les intentions américaines : « une volonté politique, parfaitement pensée, de valoriser la puissance américaine en faisant du droit un instrument de politique étrangère et de promotion de ses intérêts économiques ». « Du pur et simple espionnage économique ! » s’exclame P. Lellouche dans ses déclarations à la presse, pour ne pas parler de pillage organisé, au nom d’une indignation puritaine à géométrie variable. Le vieil ami indéfectible de la France, le « pays de La Fayette », n’est en fait pas mieux traité que les autres : la puissance américaine s’embarrasse peu de sentiments, fussent-ils amicaux et séculaires, et la manifest destiny, cette vocation spéciale que les E-U se sont conférée eux-mêmes et qui légitime à leurs yeux leur droit d’imposer leur loi au monde ne tolère pas d’exception.

On peut s’indigner, et même chouiner, mais s’indigner et la chouiner ne sont pas des actions politiques. Malgré le cours chaotique de cette relation « amicale », malgré les agressions répétées des États-Unis contre notre patrimoine industriel, malgré l’évidence d’une passivité complice des pouvoirs publics français, malgré le rapport parlementaire sur l’extraterritorialité, l’État français continue comme si de rien n’était. Pendant le quinquennat Hollande, le Gouvernement décida de confier la gestion des données des collectivités locales françaises à une entreprise de services américaine. Au milieu du quinquennat Macron, la gestion des données de santé des Français fut confiée à l’entreprise Microsoft. Et que dire de l’intervention massive de McKinsey dans la gestion des affaires publiques, qui aurait dû devenir un des grands scandales du temps ? Et de la tentative de démantèlement de la profession de taxi au profit d’Uber, une de ces entreprises qui ont largement aidé le candidat Macron à se faire élire en 2017 ?

Pourquoi de telles lâchetés ? Aveuglement, naïveté, complicité – voire prise illégale d’intérêts ? Tout cela à la fois ? Les Français n’ont pas jugé bon de punir dans les urnes ces trahisons qui nuisent à notre pays et à notre peuple. Malheureusement, le dernier épisode de cette soumission atlantiste est en train de se jouer sous nos yeux, une fois de plus à notre détriment : ce n’est pas le prix de la liberté que nous payons en aidant l’Ukraine, mais celui de notre incapacité à dire « non » aux États-Unis, c’est-à-dire notre incapacité à nous défendre. Quel est le plus insupportable : le silence systématique envers les attaques contre nos intérêts, ou les discours de nos dirigeants qui maquillent leur lâcheté ou leur cupidité des atours de la vertu – et d’une « vieille amitié » ?

Jean-Frédéric Poisson

Président de VIA – La Voie du Peuple

Directeur de la publication du Nouveau Conservateur

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