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Maigret, Depardieu et un joli monde disparu

Par Valentin Gaure

Pas de petit salé aux lentilles. Mais tout le reste. Patrice Leconte a su réanimer l’inimitable de l’esprit Maigret, dans son film qui fait corps, il est vrai jusqu’à sa photographie granulée, avec l’esprit de naphtaline. Longues promenades dans le Paris de l’après-guerre, vrombissant entre un rural-en-ville (dans ce Paris là, on mange encore de la tête de veau – impensable aujourd’hui) et quelques vieilles images des années folles. Quai de Seine avec des barques, presque des pêcheurs. Monde déçu et déchu. Le commissaire, ombre furtive, aux traits incertains, se trouve ici le plus hénaurme des corps : Gérard Depardieu. Juste, comme si souvent, n’en déplaisent aux lèvres pincées, le Gulliver du cinéma français se saisit à plein de ce personnage inimitable. Le trait d’humour qu’il faut, quelque chose aussi du vieillissement, d’une tension dramatique, d’un homme soudain désarmé par l’âge et qui se retrouve un peu “comme un gosse qui a peur du noir” face à cette jeune morte retrouvée dans la nuit froide des Batignolles. Madame Maigret est là aussi, touchante, dans ses appartements confinés, avec l’amour des ménagères pour leurs maris fourbus. Il y a la chambre vide aussi, au fond de l’appartement des Maigret, ce petit lit vide et froid où dormait la fille qui n’est plus là. Hommage discret à Simenon et à sa disparue à lui, sa fille envolée, le drame de sa vie. Il en avait parlé, avec une telle pudeur, dans un vieux numéro d’Apostrophes passé à la postérité. Bernard Pivot était allé voir le belge chez lui. En Suisse. Moment de télévision, presque de grâce.

Maigret donc. Quelque chose de la France d’avant l’après, de cette Quatrième République et de ses bateaux qui s’élançaient du Havre – non pour faire la guerre, mais au contraire, pour s’effilocher dans l’esprit mondain. Paris et New-York semblaient plus proches qu’aujourd’hui au temps d’avant la crise, d’avant ce choc pétrolier qui devait plonger la France dans la sinistrose, un lent dégoût d’elle-même. Maigret. Il l’avait promené partout, son fabuleux auteur accablé de talent, prolifique jusqu’à épuiser les fans les plus aguerris. Vichy, Fontenay-le-Comte, Antibes… Mais c’est surtout à Paris que tout s’est déroulé. Ce Paris qui sent encore un peu le Gavroche, juste avant la destruction des Halles – à jamais une meurtrissure. On boit encore un petit blanc au comptoir, un tout dernier avant de partir. Depuis son tabouret de bar, on regarde dehors. Une blonde remet un franc dans la cabine téléphonique – pour parler à son amoureux. Comme un refrain d’accordéon accompagné d’un calva. On casse même un œuf dur sur le comptoir, comme le racontait Prévert, avec cet insalubre écho qui trotte dans la tête de l’homme qui a faim : “Il est terrible le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain, il est terrible ce bruit.” Il l’a si bien racontée cette capitale honnie, des barbots du Quai des Orfèvres aux nuits canailles de Pigalle en passant le Canal-Saint-Martin (un monde à soi-seul). 

Maintenant c’est terminé. Au Quai des Orfèvres, on ne les voit plus, les “flics”. Il n’y a plus que les chefs, et encore. Si Maigret était-là, on l’aurait installé dans un bureau de verre – auprès de cette grande tour des Batignolles, presque coincée contre le périph’. Le midi, il ne mangerait pas de jambon beurre – mais probablement une salade détox. Avec une bouteille d’Evian. Petite époque pâlotte.

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