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La librairie des conservateurs – Les châteaux de sable du monde d’avant

par Gilles Brochard

Chaque mois désormais, retrouvez La Librairie des Conservateurs. Gilles Brochard, pour cette première, vous propose de découvrir l’œuvre originale d’un fervent royaliste. Et puis, aussi, peut-être même d’abord, un hommage à Roland Jaccard, disparu si tristement.

Vive le Roi

      Pour son 8e roman, Louis-Henri de la Rochefoucauld se prend pour un conteur. Tout à la fois humoriste, mémorialiste et historien, celui qui porte le nom d’une des familles de France les plus prestigieuses, s’amuse en effet à raconter une histoire insensée et presque loufoque si elle n’était pas si bien narrée. 

Tombant un soir, dans un bar clandestin du 6e arrondissement de Paris, sur « un repaire de royalistes, d’olibrius et de non-alignés comme on n’en voit plus », ce mari et père de famille peu fortuné fait la connaissance du patron, un ancien officier de la Légion étrangère, féru d’Histoire de France, qui lui présente un colosse en culotte de golf et mocassins italiens de 38 ans, amateur de champagne Drappier (comme le général de Gaulle), véritable réincarnation de Louis XVI. La vie du romancier sans succès bascule dans une autre dimension : le voilà confident et plume de ce Capétien, revisitant avec lui les dernières affres de l’Ancien régime. Tout y passe, les Tuileries, la fête de la Fédération, le marquis de Launay, gouverneur de la Bastille et ancêtre du narrateur, la fuite à Varennes, les amours secrètes de Marie-Antoinette, Robespierre, la monarchie de juillet., et même un clin d’oeil à Chateaubriand. Cela donne des pages brillantes sur la chute de la monarchie, le « déréglement des esprits » dont parle Tocqueville su sujet de la Terreur. L’érudition de l’auteur est finement disséminée dans ce roman épique qui en dit long sur la décomposition politique du moment. Ainsi, l’écrivain confident met dans la bouche de l’ancien légionnaire : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France ; sauf que ma France à moi, elle a existé entre le baptême de Clovis et la décapitation de Louis XVI. Treize siècles de grandeur »… 

    Ainsi ce Lemoine l’affirme haut et fort : « Tout ce qui a fini en politique doit recommencer en mystique. Les temps sont arrivés : la Restauration, qui a échoué au XIX e siècle, réussira au XXIe ! ». N’a t-il pas fondé le RPR, le Rassemblement pour le Roi ? L’aveu du narrateur pourtant est catégorique : « J’aimais Louis XVI pour des raisons familiales et poétiques plus que politiques. Dans ce domaine, aucune conviction ne m’avait jamais paru tout à fait comestible. »  Rien ne serait plus vain que la construction de châteaux de sable… 

Roland Jaccard in memoriam

   « Il faut apprendre à dire adieu à tout et d’abord à soi-même. Comme je me connais, cela peut être interminable. », écrivait Roland Jaccard en mars 1984. Il en avait fait du chemin depuis et ses lecteurs se réjouissaient de ses chroniques pertinentes dans Causeur depuis des années, alors qu’il se sentait le grand perdant d’un monde englouti, lui qui ne fut jamais engagé en politique, passant souvent pour une sorte d’intello de droite, assez libertaire mais de plus en plus souverainiste. Avant de se donner la mort à Paris en septembre dernier, il avait publié le volumineux journal de ses années 80, lequel revient en permanence dans un va et vient d’enthousiasme et de désespoir, sur sa position de critique littéraire du Monde, sa fascination envers l’actrice Louise Brooks, son amitié avec Cioran et celle avec son compère Gabriel Matzneff, et son indécrottable déférence envers le pessimiste Arthur Schnitzler et  le grand diariste, Henri-Frédéric Amiel, né en Suisse comme lui. Le Monde d’avant, explore « une forme de spontanéité jubilatoire » travaillée au scalpel. Le parfum des premières années SIDA, vue par un écorché vif. Jaccard aime cultiver ses défauts, même s’il avoue se rendre ainsi plus vulnérable. En parallèle de la passion qu’il entretient avec celle qui deviendra la romancière Linda Lé et qui rédige à sa place ses propres  articles dans Le Monde littéraire, Jaccard apparait entre dandysme, oisiveté et cynisme comme un amoureux de sa vie bien réglée, entre ses lectures, la piscine Deligny, ses thés au Lutétia ou chez Dalloyau avec François Bott, ou Serge Doubrovsky. 

    « En art, il n’y a qu’une règle : être soi » clame ce roublard si attachant. Je partage l’avis du romancier Jérôme Leroy qui dans son hommage, au lendemain de sa mort, a écrit sur le site de Causeur : «  Il a écrit des livres essentiels sur la psychanalyse avec laquelle il entretenait des rapports ambigus comme avec tout le reste, notamment L’exil intérieuren 1975. Il y disait d’une autre manière, ce que Debord avait cerné dans La Société du Spectacle : l’impossibilité dans le monde moderne pour les êtres de rencontrer d’autres êtres, et pire encore l’impossibilité pour l’homme de coïncider avec lui-même. »

Châteaux de sable, de Louis-Henri de La Rochefoucauld, Robert Laffont, 244 pages, 19 €.

Le Monde d’avant, Journal 1983-1988, par Roland Jaccard, Serge Safran éditeur, 835 pages, 27, 90 €.

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