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Effervescence de l’orgie

Par Valentin Gaure

Une nouvelle édition de L’Ombre de Dionysos, récemment parue chez Xio, permet de retrouver la pensée iconoclaste, finalement poétique, du sociologue visionnaire Michel Maffesoli. Les lecteurs du Nouveau Conservateur se souviennent de l’entretien qu’il nous avait accordé dans le n° 7 – au sujet de la démocratie postmoderne. De postmodernité, il sera aussi question ici mais dans un champ plus large : celui du passage de l’époque dramatique à celle du tragique. Des temps d’Apollon à ceux de Dionysos.

« Il est certain que la circulation du sexe, l’éclatement initiatique du soi, l’effervescence orgiaque renvoient à « l’extase », à l’outrepassement de l’individu dans un ensemble plus vaste. Et il est frappant de constater que la domestication des mœurs, l’idéologie du risque zéro, l’asepsie de l’existence, les divers changements socio-économiques, les développements scientifiques et techniques n’ont en rien amoindri cette pulsion à l’errance. ».

Une grande part de l’œuvre de Michel Maffesoli est là : dans cette description métaphysique de l’individu postmoderne. Pour Maffesoli, la postmodernité est d’abord la résurgence du fait tribal. Un retour aux valeurs refuges de la communauté, de l’instinct, du nomadisme et de l’orgie – entendue dans son étymologie première : orgia, relatives aux « fêtes solennelles données en l’honneur de Bacchus ». Une manifestation qui peut prendre bien des visages, du chaos à l’effervescence, où le domaine sensible prend le pas sur la mécanique. Voilà Dionysos (préférons le grec au latin) qui surgit. Figure majeure pour Maffesoli, la divinité incarne la prééminence du temps qui vient : celui-ci sera éclaté, diffus, acquis aux métamorphoses et à l’allure bicéphale : il signe le grand retour du sacré. Dieu du plaisir et de l’ivresse, Dionysos est aussi celui de l’excès et d’une forme d’ambiguïté, si l’on osait, une émanation de la transidentité (il se montre parfois sous les traits d’une femme)… Intéressant au regard de « la féminisation du monde » que pointe souvent Michel Maffesoli. Certes, Dionysos est aussi le dieu de la folie, puisqu’il soumet les Bacchantes aux pires délires. La modernité invoque la figure du dramatique et rêve de conjurer son sort. Les élites s’y raccrochent, désireuses d’abattre la fatalité.

Derrière l’idée moderne, il y a la folle course du progrès et l’opium des grandes idéologies. Elle est l’apanage d’Apollon et surtout de Prométhée. Au contraire, la postmodernité est d’essence tragique ; elle ne tente pas de se sauver, persuadée de sa propre finitude, occupée simplement à exister intensément. Le sens populaire, véritable clef de voûte pour Michel Maffesoli, s’y range désormais. Profondément païenne, la postmodernité maffesolienne retrouve l’esprit du temps cyclique. La fête y est omniprésente – symptôme dionysiaque. Maffesoli évoque l’aspect tragique des festivités contemporaines, qui caractérise à son avis une « homéopathie de la mort ». En convoquant du ciel grec cette résurgence soudaine du primitif, la postmodernité de Maffesoli nous rassure. Plus sauvage que progressiste, plus naturelle que technique, plus instinctive qu’idéologique ; elle correspond au retour d’un vieil ordre étrange – marqué par la victoire du sensuel et d’une forme d’instinct primaire.

Michel Maffesoli, L’Ombre de Dionysos,(Xio éditions)

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