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Alain de Benoist et les « morticoles »

Entretien de Paul-Marie Coûteaux avec Alain de Benoist.

C’est une introduction un peu particulière qu’il nous faut faire ici. D’abord parce qu’il est superflu de présenter Alain de Benoist, l’un des plus grands intellectuels de notre temps, fondateur d’une véritable école de pensée (dont l’audience va croissant – voir le succès des conférences de l’Institut Iliade pour la longue mémoire européenne), créateur de plusieurs revues (« Nouvelle Ecole », « Krisis », « Eléments »), auteur de plus de cent ouvrages (on ne les compte plus), scrutateur universel de tout ce qui se publie (et pas seulement en français), travailleur infatigable qui avoue avoir mauvaise conscience quand il passe plusieurs heures sans lire ni écrire. Un des meilleurs signes de son importance est le contraste, presque comique, entre la marginalité dans laquelle le tient la presse officielle depuis qu’il publia son magistral « Vu de droite » (livre qui, en 1977, me permit de le découvrir avec ravissement) et surtout depuis qu’il lança, après l’élection de F. Mitterrand, une formidable contre-attaque méta-politique, la « Nouvelle Droite », et, en regard, l’influence qu’exerce sa pensée en de nombreux pays, de l’Allemagne aux Etats-Unis, de l’Italie à l’Argentine. A ceux qui tenteraient de se repérer dans l’incroyable richesse d’une œuvre proprement océanique, conseillons la lecture de Mémoire vive (éd. de Fallois, 2012), série d’entretiens avec François Bousquet – lequel n’est pas le moindre de ses innombrables fidèles et émules. Ce qu’il nous faut surtout présenter ici, c’est l’entretien qui suit : une petite histoire à elle seule. Préparant, voici un an, le premier numéro du Nouveau Conservateur, je l’appelai pour lui demander un entretien sur « l’affaire Covid », dont j’étais curieux de savoir ce qu’il en pensait : il en était alors aux hypothèses, certaines très hardies, mais dont il n’était pas assuré, concluant qu’il nous fallait du temps pour réfléchir – ce trait le dépeint tout à fait. C’est ce qu’il me demanda derechef lorsque je le relançai quelques temps plus tard : mêmes hésitations, au point que nous avons envisagé de changer de sujet et d’organiser un entretien autour d’un de ses livres récents, « L’homme qui n’avait pas de père – le dossier Jésus » (Krisis – 2021) ; mais l’ouvrage est si monumental (et si secouant…) que nous avons choisi de reporter ce projet, afin de lui donner l’ampleur qu’il mérite, et de revenir au sujet Covid. Pour la première fois, il fallut plusieurs relances – j’en viens à craindre qu’il n’accepta que par simple amitié, sentiment qu’il prend, il faut dire, très au sérieux, y mêlant une fidélité et une affection devenues rares. Je le confesse, j’ai donc un peu insisté, étonné de constater que, dans l’ensemble, les plus grands intellectuels observaient sur le sujet (la Covid, et l’Injection vaccinale peu à peu rendue quasi-obligatoire) une grande prudence : on en trouvera des traces dans l’entretien qui suit, s’ouvrant d’ailleurs sur une adresse sévère à « certains de vos lecteurs » (en fait, nous-mêmes) sur la brûlante question du « complotisme », qui explique que ledit entretien frôle à son début la controverse, ce qui ne fait que renforcer son intérêt.

Paul-Marie Coûteaux – Alain de Benoist, de quel œil regardez-vous l’affaire « Covid » : la façon dont les médias s’en sont emparés, dont le gouvernement l’a traitée, dont elle a été reçue par les Français, etc. N’y voyez-vous, comme Marcel Gauchet, qu’une nouvelle illustration du degré qu’a atteint la perversion bureaucratique de notre Etat et des corruptions qui en découlent ?

Alain de Benoist – D’abord, un propos d’ordre général. Je suis rebelle, peut-être un peu plus que certains de vos lecteurs, aux explications de type conspirationniste, dont on a vu l’épidémie de la Covid-19 « libérer la parole » au moyen d’un tsunami d’hypothèses douteuses ou extravagantes, mijotées dans ce chaudron de sorcières que sont devenus les « réseaux sociaux ». Le complotisme, c’est comme le pâté de cheval et d’alouette : 10 % de vérité ou de doute légitime, 90 % de délire. En l’occurrence, les thèses conspirationnistes sont d’ailleurs totalement contradictoires (« la maladie n’existe pas, on nous raconte des histoires, ce n’est rien du tout », d’un côté, et de l’autre : « c’est une maladie terrible sciemment mise au point pour exterminer l’humanité »). Rien de plus lamentable, en outre, que d’assister depuis des mois au défilé ininterrompu des infectiologues d’occasion et des virologues de comptoir, tous convaincus de détenir une « vérité » qu’ils ont acquise au doigt mouillé. La maladie est bien réelle, même si beaucoup de gens ne sont pas morts de la Covid, mais avec la Covid. L’épidémie a quand même tué plusieurs millions de personnes. Aux Américains, elle a causé des pertes humaines supérieures à celles de leurs soldats durant les deux guerres mondiales et la guerre du Vietnam réunies, ce qui n’est pas rien. Il y a de plus la question des « Covid longs » et des séquelles qui sont parfois très lourdes (j’en ai vu plusieurs cas autour de moi, qui ne concernaient pas, de surcroît, seulement des personnes âgées). Passons sur l’origine, toujours discutée du virus. Dès l’instant où l’on a appris que l’épidémie a pris son essor dans une ville, Wuhan, où se trouve un grand laboratoire de recherche sur les virus les plus dangereux existant aujourd’hui, il a paru légitime d’imaginer que le virus en question était « sorti » de ce labo de Wuhan dans des circonstances qui restent à déterminer. L’hypothèse a d’abord été taxée de complotiste, mais je constate qu’aux dernières nouvelles, de plus en plus de chercheurs la prennent au sérieux.

L’explosion en direct d’une certaine « science »

Je réponds maintenant à votre question. Le gouvernement s’est d’abord réfugié dans le déni (« ça ne viendra pas chez nous, c’est une grippette »), après quoi nous avons assisté à un incessant défilé de cafouillages, consignes contradictoires, règlementations grotesques et mensonges d’Etat. Rien n’avait été prévu, alors que des voix nombreuses s’étaient élevées ces dernières années pour laisser prévoir une nouvelle pandémie venue d’Asie. « Gouverner, c’est prévoir », disait Emile de Girardin. Si c’est vrai, alors nous ne sommes pas gouvernés. Il est en effet ridicule de dire qu’une telle épidémie était « imprévisible », alors que ce n’est jamais que la quatrième pandémie mondiale que l’on enregistre en un peu plus d’un demi-siècle. Il n’y a pas non plus besoin d’être grand clerc pour comprendre que la mondialisation, si elle n’est pas responsable en elle-même de l’apparition de l’épidémie, l’est en revanche de sa vitesse de propagation – et que la multiplication rapide des épidémies infectieuses est aussi la conséquence de notre emprise grandissante sur les milieux naturels (qui fait apparaître de nouvelles chaînes de transmission infectieuse). Quand on se réclame du principe de précaution, on est censé envisager ce genre de choses. En France, on n’avait rien prévu. Rien. Ni masques, ni tests de dépistage, ni lits en nombre suffisant, ni appareils respiratoires, ni services de réanimation : on manquait de tout. Rappelons-nous le scandaleux psychodrame des masques, que l’on a détruits par millions avant de proclamer qu’ils étaient « inutiles », pour finalement les rendre obligatoires. On n’a commencé à réagir qu’au moment où les premiers morts ont été enregistrés. Imagine-t-on le capitaine du Titanic annoncer avoir commandé les canots et les gilets de sauvetage au moment où le navire coulait ?

PMC – Il est certes facile de caricaturer ceux que l’on accuse ensuite, à peu de frais, de « complotisme ». Cette littérature abonde, montant en épingle des spéculations puériles, d’ailleurs de nature moins complotiste que délirante, au point que personne ne les mentionnerait si elles ne servaient à mettre en accusation ceux qui contestent la thèse officielle de l’épidémie soudaine qui fera « au moins 300 000 morts », comme l’avait annoncé le ministre Blanquer dans le JDD du 22 mars 2020. Mais je sais bien que ce n’est pas votre cas, et que vous voyez, dans cette affaire complexe, autre chose que l’incapacité des pouvoirs publics à raisonner au delà du court terme ; n’y a-t-il pas autre chose de plus frappant ?

Alain de Benoist – C’est leur indécision qui a été la plus frappante. Entre les « bulletins du front » du sinistre Jérôme Salomon, l’arrogance du petit Véran, les prévisions cacophoniques des morticoles, Emmanuel Macron s’est longtemps révélé totalement incapable de trancher. L’aptitude à la décision révèle le souverain, disait Carl Schmitt. On a rarement vu moins souverain que ce président qui n’a cessé, face à une situation d’exception, de se retrancher derrière les avis contradictoires d’une assemblée d’« experts » dont il a fait une manière de shadow government. Or, l’une des grandes leçons de la crise sanitaire, c’est la défaite des « sachants » et l’explosion en direct d’une « science » dont les prévisions et les directives auraient valeur d’évangile, puisque l’on sait maintenant que les experts, même également qualifiés, ne sont pas d’accord entre eux. Une autre cause, dont on n’a pas assez parlé, est que, pour se conformer aux règles de l’idéologie libérale, on a voulu soumettre le secteur de la santé publique à des principes de rentabilité, de concurrence et de gestion à flux tendu qui ont entraîné la fermeture de milliers de lits, la destruction de stocks de réserves, la précarisation croissante d’un personnel déjà sous-payé. En d’autres termes, nous avons intégré au système du marché un domaine qui est par définition hors marché. D’où des coupes budgétaires qui ont réduit l’hôpital public à une dépendance du Mont-de-piété. Le résultat a été un effondrement généralisé des capacités de l’hôpital public. Résultat général : confinement, déconfinement, reconfinement, masques déconseillés puis interdits puis obligatoires, valse tragique des covideurs et des covidés, des piqueurs et des piqués, des masques et des baîllons (ou des muselières), ce régime de montagnes russes s’est vite révélé insupportable. Les gens n’en peuvent plus. Résumons. La Covid-19 est un virus à forte contagiosité, mais à létalité sélective et relativement faible (hors co-morbidités). Cependant, pour y faire face, on a mis le monde à l’arrêt, et la population aux arrêts. Plus de quatre milliards de bipèdes assignés à résidence, voilà ce qui effectivement ne s’était jamais vu. Le vrai problème, c’est donc le contraste entre la réalité de la pandémie et le caractère disproportionné des mesures adoptées pour y faire face. Le monde mis en arrêt pour une maladie, certes sérieusement contagieuse, mais dont le taux de létalité réelle n’atteint pas 1 % de la population est stupéfiant. Comment l’expliquer ? Pour les complotistes, tout cela a été prévu depuis le départ pour prendre le contrôle de la population. Je n’y crois pas. Le fait que, dès le début des années 2000, diverses officines (dont la CIA) aient étudié le scénario des effets d’une pandémie mondiale comparable à celle que nous vivons n’est nullement la preuve que cette pandémie fut sciemment organisée. Comment tous les pays du monde, la Russie comprise, auraient-ils pu s’en faire les complices ?

Retrouvez la suite de cet entretien de Paul-Marie Coûteaux avec Alain de Benoist dans le numéro 4 du Nouveau Conservateur – Eté 2021

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