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Nul ne sait de quoi le passé sera fait

Par Jean-Frédéric Poisson, président de VIA – La Voie du peuple et directeur de la publication du Nouveau Conservateur

La querelle historique entre les psychologues comportementalistes et les psychologues cognitivistes n’occupe pas nécessairement l’esprit de nos concitoyens. Elle prend pourtant ces temps-ci une résonance particulière. Les premiers, dominants aux Etats-Unis, considèrent que la majorité des troubles psychologiques relève de comportement et qu’il suffit, pour en guérir, de changer d’habitude – pour dire simple. Les seconds, dominants dans les pays latins, considèrent au contraire que toute forme d’amélioration d’un état psychique passe par l’interrogation de ses croyances, de ses représentations, et de la manière dont elle se sont originellement formées. Au fond, on pourrait dire, au risque d’aller un peu vite, que les premiers ne considèrent que le présent et le futur, alors que les seconds n’envisagent pas le présent et le futur sans une référence au passé. Nous y voilà ! Ces derniers temps, le Gouvernement a entrepris de permettre le remboursement des consultations chez les psychologues par la Sécurité sociale. Étant donné la dévastation psychique provoquée par la crise sanitaire de la Covid chez nombre de nos concitoyens, cela pourrait être une bonne nouvelle. Pour autant, ce remboursement serait conditionné par un « agrément » qui prendrait la forme d’une adhésion du psychologue au comportementalisme, plutôt qu’à la psychologie cognitiviste. Dans un prochain numéro, nous préciserons tout cela. Une telle menace, qui a provoqué un mouvement vaste de protestation chez beaucoup de psychologues français, est parfaitement emblématique de la haine des modernes pour le passé et tout ce qui pourrait s’y rattacher ou s’en nourrir. Rappelons à ce propos que, dans notre précédent numéro, nous avons pointé la disparition dans le langage courant du passé simple (cf. « De quoi la disparition du passé simple est-il le symptôme ? » par Jean-Gérard Lapacherie).

Nous annoncerons d’ailleurs prochainement le lancement par le Nouveau Conservateur d’une Association pour la sauvegarde du subjonctif imparfait et du passé simple, l’ASSIPS. De quel droit l’État se permet-t-il de considérer que la fréquentation de son propre passé, individuel ou collectif, n’a pas d’intérêt thérapeutique ? L’obsession contemporaine à ne pas laisser notre passé influencer notre vision de notre présent et de notre avenir est malheureusement aussi répandue que violente. Qu’est-ce que la « cancel culture » (en français la « culture de l’annulation ») sinon la volonté de nier le passé connu pour le remplacer par une fiction ? Le fameux mouvement « woke » (« éveillé »), qui admet manipuler consciemment les consciences par l’histoire officielle, n’invite-t-il pas, par son nom même, à rejeter l’histoire honnie au profit d’une relecture favorable aux minorités opprimées et par là seule acceptable ? Si le rejet d’un passé qui gêne, quels qu’en soient les motifs, demeurait un phénomène marginal, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter outre mesure. Malheureusement, le progressisme forcené qui inspire nombre de nos dirigeants et autres agitateurs professionnels ne peut prospérer sans que nous soyons collectivement séparés de notre passé – et de notre histoire. Nos gouvernants actuels n’en sont pas encore à effacer des photographies officielles les visages de ceux qui auraient eu le malheur de se fâcher avec le tyran, comme feue l’Union soviétique en avait pris l’habitude. Mais je vous invite à regarder attentivement la manière dont, dans quelques mois, le bilan de la crise sanitaire sera dressé : n’a-t-on pas déjà cherché, par le recours systématique à la manipulation et aux mensonges, à nous priver de la vérité sur cette Covid qui a tant impacté la société française ? A l’inverse, le Conservatisme repose sur un ensemble d’idées simples qui reconnaissent à l’Histoire, et tout simplement au passé, de solides vertus. La première est que la nature humaine ne varie pas d’un siècle à l’autre, et qu’il est donc utile de s’inspirer de ce qu’ont vécu nos aïeux. La deuxième est que la transmission de l’expérience des réussites et des échecs passés est une obligation stricte pour chaque génération – selon l’adage célèbre « Celui qui ne connaît pas son passé se condamne à le revivre ». La troisième est que ces deux attitudes précédentes sont impraticables sans qu’on s’accorde sur le fait que la vérité historique existe, nécessairement nuancée, certes, mais vérité tout de même. La quatrième, la plus importante, est que l’Histoire est une manière de comprendre le monde en repérant ses constantes, ses permanences, de sorte qu’elle est autant du passé que de l’avenir – elle est une lecture du présent, une manière d’être dans le temps, et tout simplement d’être.

Aujourd’hui, notre Histoire est si décriée, ou réinventée, elle est si malmenée, que la vieille certitude, sur laquelle reposent nos existences, selon laquelle « ce qui est fait est fait » est battue en brèche. Nul ne sait de quoi le passé sera fait, puisqu’il est désormais considéré comme légitime de le manipuler dans tous les sens. De sorte que nous n’avons plus seulement le devoir politique de préparer l’avenir, plutôt que de le prévoir, mais par-dessus tout de s’assurer de notre passé pour nous en nourrir. C’est vertigineux, c’est exigeant – mais c’est indispensable.

Jean-Frédéric Poisson

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