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Le journal de PMC – Septembre 2021

Paul-Marie Coûteaux

Mercredi 1er septembre deux mil vingt et un. A Charmant, l’air est si doux que, après avoir dîné (pâté de sanglier acheté hier à la ferme des Templiers, en contrebas de la maison ; pain sans levain ; premières noix, premières confitures), puis fait un tour du parc où j’ai ramassé force arbouses bien rouges qui m’ont servi de dessert, je me suis installé sur la terrasse pour lire – avant que ne tombent la pénombre, et les fraîcheurs de l’automne, dont les premiers signes s’installent partout.

  Me suis dit tout à l’heure, repliant ma méridienne, que l’été fut délicieux cette année, du moins pour moi qui n’aime guère l’été, redoutant ses touffeurs, ses fêtes trop répétées et ses mouvements incessants – le seul charme de ces grands mois agités se résume pour moi aux douceurs des soirs et des nuits. Cette fois, pas d’accablantes chaleurs, et, souvent, des jours frais et tranquilles. Je m’amusais tout à l’heure à fixer quelques images, l’installation rue Saché, les cavalcades de Leroy-Merlin et les plaisirs de la nouvelle demeure ; les premières manifestations contre la dictature, qui n’est plus du tout sanitaire ( il n’y eut d’épidémie véritable qu’au cours du Printemps ; depuis, de simples campagnes politiques pour affoler les braves gens, les masquer, les terroriser avec de scandaleuses histoires de passeport sanitaire, des mensonges officiels en tous genres, l’arsenal habituel des dictatures) ; un court séjour en Auvergne chez Bernard Lugan, puis un petit hôtel ouvrant sur la place d’un village tranquille devant les volcans ; quelques nuits d’autant plus savoureuses qu’elles furent imprévues, qui m’ont permis d’apercevoir la Serbie, l’ Afrique et les Etats-Unis ; un beau séjour en Bretagne avec D et A, que nous aurions dû prolonger.

J’ai peu à peu compris pourquoi la Bretagne m’attirait tant et depuis si longtemps : elle est par excellence le lieu de ce que l’on appelait autrefois « les éléments », la mer, la pluie, les tempêtes, les forêts, les nuages, la pierre, celle du littoral et celle des maisons, la terre – en somme le Temps dans ses deux sens, celui du temps qu’il fait, si changeant que l’esprit s’y ramène toujours, et le temps immémorial du granit, la plus dure sorte de pierre, celle qui dure. Mieux que toute autre contrée, la Bretagne immobile dit ce qui revient toujours, l’invariable retour des éléments et ce qui est dur, et qui dure – une plongée bienheureuse dans le mystère de la durée. Ces terres sont habitées depuis des centaines de milliers d’années – du moins pour l’instant, puisque, comme toujours, plus le temps passe et plus loin l’homme qui cherche l’histoire remonte le temps. Idée fascinante : plus on avance dans le temps, plus loin on recule dans la mémoire collective…


          Nous aurions dû aller voir la grotte de Menez Dregan, qui est près d’Audierne dans le Finistère ; cette grotte marine a livré des signes d’habitat typiques du paléolithique inférieur, que l’on date, grosso modo (à de telles échelles, l’exactitude compte moins ) de 400 000 ans – soit environ ( très environ ), 398 000 ans avant notre Jésus que l’on croit lointain, mais dont la belle aventure n’est finalement que très récente. Des indices de feux entretenus, qui furent récemment découverts dans les niveaux inférieurs de cette grotte, comptent parmi les quatre ou cinq plus anciens connus dans le monde – il y a aussi Terra Amata, dans les Alpes-Maritimes, Bilzingsleben en Allemagne, Vertesszellos en Hongrie, ainsi qu’un autre, en Chine, dont j’ai oublié, et n’ai pas cherché à retenir, le nom. L’épaisseur du Temps, en Bretagne, je la renifle sans cesse, de toutes parts et de multiples façons : aux arbres, à la pierre, au granit, à l’air, à la mer inlassable, par-dessus tout aux nuages et aux petits hommes qui passent ensemble depuis tant de lunes entre la terre et le Ciel…

            *

Jeudi 2 septembre deux mil vingt et un. L’air était frisquet, ce matin, tandis que j’allais chercher les oeufs du poulailler – cinq de belle taille. C’est décidément l’automne : déjà les feuilles tombent en nombre, jonchant le parc par touches brunes, sous les figuiers et les pommiers, sur l’allée cavalière des hauts marronniers, tandis que les jours raccourcissent à grande allure.

 Le calendrier est toujours en retard, pensais-je en faisant un feu dans ma chambre : l’hiver pointe son nez dès le 1er décembre, et l’on s’autorise enfin à allumer les radiateurs ; de même que, dès les premiers jours de mars, éclate le Printemps, quand partout les arbres bourgeonnent ; et les premières chaleurs emplissent l’air dès les premiers soirs allongés de juin, qui est bel et bien un mois d’été. Bref, les saisons commencent avec les premiers jours de leurs premiers mois, pourquoi les retarder chaque fois de trois semaines ?

*

Vendredi 3 septembre deux mil vingt et un. Hier au soir, retour à Paris (ne voyager que le mardi, le mercredi ou le jeudi, quand les trains sont calmes. Du coup, je redoute les contrôles, et les nouvelles scènes, comme celle qui, au début de l’année, me valut de débarquer à Chatellerault pour échapper, avec la complicité du contrôleur, aux foudres de la police. Quelle vie !.  

Tout à l’heure, attendant un autobus, je fus rejoins par deux jeunes filles, du genre déluré, l’une parlant assez fort, à coup de « j’ai grave froid », « j’ai kiffé un truc dément sur fessebouc », etc. Son amie, qui se taisait en tirant sur sa clope, m’intrigua davantage par le nombre remarquable d’anneaux dont elle parait son corps : plusieurs autour des bras, plusieurs autres aux pieds, en grand nombre aux oreilles, une, très brillante, sur le coin de la bouche, deux au nez ; maquillage épais, multicolore, indescriptible ; talons immenses, qui la font boiter ; pantalon en toile de Nîmes si serré qu’on doute qu’elle puisse l’enlever ; restes d’une chemisette savamment déchirée, épaules et ventre nus – oublié de signaler, sur le nombril, un autre anneau dont le mauve attirait l’œil, si l’œil savait où donner de la tête. Bref, parfaite punquette

Mais voici que la demoiselle sort de son silence et dit : « Il fait froid quand même pour un mois d’août ! Y a plus de saison, ma parole ! », phrases qui auraient aussi bien pu sortir, et qui sont sans doute sorties cent fois de la bouche de ma grand-mère, et probablement de mon arrière-grand-mère, ainsi de suite. D’un coup, grand amusement : cette résurgence archaïque me ravit d’autant que son amie, baissant soudain le ton (on était loin du théâtre punk) lui dit affectueusement : « j’te l’vais dit, tu aurais dû prendre ton paletot ». Ton paletot ! La copine aurait parlé de robe de chambre, de plastron ou de corset que je n’eusse pas été plus étonné ni plus ravi. On ne peut donc tenir la distance, se vouloir hyper-XXIè sans parler comme en 1920 ? Sous la plage, les pavés – sous l’apparence babacoulienne, moderne à donf, les bons vieux pavés de la tradition langagière ! 

( Il n‘y a pas mieux, d’ailleurs, que le temps qu’il fait pour plonger dans le Temps : ainsi, par exemple, quand j’entends dire : « encore heureux qu’on s’en aille vers l’été » j’ai l’impression de traverser les siècles – ce qui est sans doute l’une des saveurs de la langue, du cycle des saisons, du temps qu’il fait et du temps qui passe, de tout ce qui dure et de cette forêt de permanences qui nous entourent et nous sourient à tout moment en secret, profonde forêt de l’archaïque à laquelle mon esprit revient toujours, comme par reflexe, et qui le console de tout ) 

            *

Dimanche 5 septembre. Messe à Saint Roch. Je me disais, en entendant les chants que je chantais déjà voici plus d’un demi-siècle dans une autre église baroque, très semblable à celle-ci (Notre-Dame de Bordeaux, proche de la magnifique place Tourny où nous habitions), que la notation jetée sur ce journal avant-hier multipliait ses tours : car c’est bien le sentiment de la durée, de la très longue durée, de la persistance de l’archaïque, que je viens chercher à la messe – et que je n’aurais pas plus d’attirance pour une confession qui  n’a que deux ou trois siècles d’âge que pour un vin de quelques mois. 

Raison, bien sûr, de mon attirance pour la messe en latin, pour toute tradition, pour l’esprit conservateur, le réflexe conservateur, l’esthétique conservatrice – l’esthétique conservatrice, sujet qu’Elisabeth Levy m’a demandé de traiter pour Causeur, et sur lequel il y a tant de choses à dire que… je ne l’écris pas. L’esthétique est tellement du côté de la tradition, elle est un tel boulet tiré sur le parti moderne que tout va de soi : ce qu’il faudrait montrer, c’est la force extraordinaire de la durée, de ce qui est premier et perdure, splendide et tranquille dans l’épaisseur souterraine de nos vies ; ce dont il faudrait persuader nos contemporains agités, c’est la permanence de l’archaïque, car c’est bien là ce qui se pourrait opposer de plus puissant aux délires du techno-progressisme. 

Je me demande d’ailleurs si, dans la ligne de l’essentialisme platonicien, « le mystère de la durée », comme disait mon « de Gaulle philosophe » (encore un livre à reprendre, encore des écritures à mettre au clair !) n’est pas pour moi, comme il l’était aussi pour lui, un objet de piété aussi puissant que les mystères des Evangiles. Peut-être un concurrent du christianisme, ce mystère de la durée, donc des cycles, que l’Eglise a voulu gommer dans les coins – substituant Noël, à la bienheureuse reprise des jours, la diminution des nuits, la victoire païenne de la lumière ; ou remplaçant la résurrection toute humaine de Pâques à l’ancestrale renaissance de la Nature toute entière, fêtée depuis des dizaines de millénaires, etc. (mon paganisme est en progrès…)

Contentons-nous de cette première question, à la surface : pourquoi l’archaïque gagne-t-il toujours ?  Question que je me posais, le mois dernier, en recevant un groupe de sept jeunes couples (tous aux alentours de la trentaine) venus passer deux ou trois jours au château de Charmant. J’avais fait avec eux le tour de la maison, puis les avais laissé s’installer, le début de la soirée approchant. Hélas, j’avais laissé dans mon bureau le cordon d’alimentation de mon téléphone, de sorte que je dus revenir sur les lieux. Que vois-je ? Deux garçons jouaient au ping-pong dans le parc, trois fumaient dans le salon, deux autres s’absorbant déjà dans une partie de billard. Sur la terrasse, trois jeunes filles arrangeaient les tables et mettaient le couvert en vue du dîner, quatre autres s’affairaient dans la cuisine. Cinquante années du plus impérieux féminisme n’y avaient rien fait, avaient coulé sur les générations comme l’eau sur les plumes du canard. L’archaïque gagne toujours : les hommes s’amusaient, les femmes préparaient le repas. Filant vite, je m’engouffrai dans ma voiture en riant aux éclats, mon bonheur fut constant plusieurs jours durant…

    *

21 septembre. Paris, un de ces beaux jours d’automne dont la lumière, vers le milieu du matin, est si claire et fraîche, magnifiée par les premières pointes d’humidité automnale, que la ville en est toute adoucie – rues fraîches, jardins, bars grands ouverts et rénovés. N’étaient les travaux que multiplient les édiles en tous sens et qui sont souvent engagés sans être jamais achevés, enlaidissent de part en part toute perspective, on dirait que la ville aimerait tout de même demeurer, malgré ses blessures et les tourments que lui inflige la modernissime municipalité, la plus majestueuse de l’univers.

    Sondage étonnant pour Eric Zemmour (11%, un saut de 6 points en trois semaines : c’est, lui dis-je pour emprunter (car je les lui rends aussitôt, en général) à ses références favorites, « le vol de l’Aigle ! ). Le voici plus que jamais poussé sous les projecteurs par une décision imbécile du CSA qui le prive de sa chère émission quotidienne sur CNews – où, d’ailleurs, il n’avait plus rien à prouver. Imbécile mais salutaire pour lui, comme je me suis tué à le lui dire des mois durant, le suppliant de quitter sa chère Téloche et de troquer la posture du commentateur (ou du journaliste, ou du polémiste) pour celle, toute différente, de l’Homme politique, si possible de l’Homme d’Etat, celui qui appartient à tous parce qu’il n’appartient à personne : ni parti, ni coterie, ni même corporation – et surtout pas celle du journaliste. Grâces soient rendues au CSA : Zorro est arrivé là où il doit être : hors de l’Etablissement, pour être son adversaire le plus crédible.  

Comme ces empatouillés du Système dominant ignorent les fondamentaux de toute vraie politique ! C’est un régal. Voilà que l’on mesure son temps d’antenne sous prétexte qu’il pourrait être candidat, condition qui est celle de bien d‘autres personnages qui n’en encombrent pas moins la scène. Typique de ces décisions faussement juridiques mais pleinement politiques qui achèvent de corrompre le droit et de plonger le pays dans un doux arbitraire. Certes, on peut se demander ce que vaut un sondage en septembre. En septembre 1980, VGE dépassait de dix points François Mitterrand, qui finit par l’emporter ; en septembre 1985, Barre distançait Chirac ; dix ans plus tard, Balladur avait l’élection en poche. Un sondage du 23 septembre 2016, il y a exactement 5 ans, donnait Alain Juppé grand favori avec 34% d’intentions de vote au premier tour. Si, dans trois mois, Z. fait jeu égal avec Marine le Pen (ce que je crois) l’inversion des courbes rendra sa progression irréversible, et ledit Macron, si décidemment il est candidat (ce dont je persiste à douter : cet aventurier est de la race de carnassiers qui, une fois la proie tuée, je veux dire la France, s’en ira ailleurs pour d’autres aventures) aura perdu sa meilleure alliée… Bref, le spectacle reprend et, bien que l’enjeu de l’époque soit ailleurs et tout autre (la formidable soumission des Etats et des Gouvernements aux oligarchies supranationales, qui réduit à si peu de choses les consultations nationales, aussi  flamboyantes soient leur mise en scène rituelle ), ce spectacle-là  passionne tout le monde, comme si l’Histoire de France s‘était faite à coups d’élections. Je le vois partout autour de moi, les électeurs se prenant au jeu de plus belle – en pure perte sans doute… 

    *

Vendredi 24 septembre. Paris. En taxi, tandis qu’un embouteillage m’immobilisait longuement sur le quai de Montebello, le long de Notre-Dame, un souvenir me revint avec une acuité extraordinaire : j’avais été semblablement retenu, au même endroit, voici plus de quarante ans. C’était un matin pluvieux de l’hiver 1979 – le 27 décembre exactement – date facile à retrouver, la radio du taxi annonçant ce jour-là l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan. Je rentrais aux petites heures d’une nuit pas tout à fait calme quelque part dans l’est lointain de Paris, heureux et fourbu – heureux, pas simplement par la grâce du retombement des forces qui enchante le corps au retour d’une belle nuit, mais aussi parce que j’avais appris quelques jours plus tôt mon admission à l’ENA, puis mon départ, dès le mois suivant, pour mon premier poste, l’ambassade de France au Caire. 

Cette ambassade, je l’avais demandée pour une raison précise : j’imaginais, comme un soldat renifle l’arme qui lui vaudra les champs de bataille les plus prestigieux, donc les plus grands honneurs, que l’avenir du monde allait se jouer dans ce monde arabe dont Le Caire était la capitale. L’année précédente, tandis que, tout en préparant l’ENA, j’achevais un DEA de Relations internationales, j’avais suivi avec passion les événements d’Iran – événements sur lesquels j’avais de bonnes informations par un étudiant iranien devenu mon ami. Contrairement à ce que claironnaient les trompettes officielles, le renversement du Shah fut d’abord la conséquence, non point de l’agitation islamiste, venue par la suite, mais d’une patiente déstabilisation de son régime par l’administration américaine alors dirigée par le démocrate Jimmy Carter. Autour de cet ancien quaker qui, comme tous les démocrates de comédie, ne font que cacher, derrière les simagrées du pacifisme, les combinaisons les plus dangereuses, grouillait une noria de conseillers acharnés à créer, déjà, un « nouvel ordre mondial » jailli d’un « conflit de civilisations » qui supposait l’échec des puissances plus ou moins « laïques » dont la puissance et l’indépendance s’esquissaient dans la région : l’Iran du Shah, avant l’Irak de Saddam, après quoi ce serait au tour de la Libye de Khadafi, puis de la Syrie d’Assad – lequel fut seul à tenir, avec l’aide de la Russie, à défaut de la nôtre. Dans tous ces cas cette pauvre France (qui est pourtant, comme la Russie, protectrice des Chrétiens d’Orient, donc d’un minimal garant de laïcité dans ces terres où s’instruit le « totalitarisme islamique », comme disait Fillon ) avait un rôle à jouer, qui eut été magistral et qu’elle a totalement raté. C’était à elle, en partenariat avec la Russie (comme l’avait voulu Fillon, ce qui fut peut-être l’une des causes de sa chute) d’empêcher, non «la guerre des civilisations», laquelle est une évidence depuis des siècles ( Rome et Carthage, l’invasion arabe du VIIIème siècle puis les Croisades, la colonisation des Indiens d’Amérique puis leur extermination par l’Espagne et les jeunes Etats-Unis, la mise sous tutelle de la Chine par les Occidentaux, etc.) mais son exacerbation, par une très traditionnelle politique d’équilibre qui seule aurait pu la contenir…

             J’avais bien compris, tout minuscule étudiant bordelais que j’étais, que Washington voulait la disparition du Shah (lequel, entre autres crimes, s’appuyait de moins en moins sur les Etats-Unis et de plus en plus sur la France – à l’instar, d’ailleurs, de l’Irak), poussant les élites de la vieille Perse à lui opposer les gloires de la démocratie, du pluralisme et autres bienheureuses ouvertures dont il ne fallait pas être grand clerc pour savoir que les bénéficiaires en seraient la principale forme d’opposition du pays qui n’était ni laïque, ni libérale, ni marxiste, mais bel et bien chiite, installée sur la grande masse populaire quadrillée par l’islamisme. Le Shah, renversé par ces agitations, avait fini par quitter son pays au début de l’année 79 et voilà que j’apprenais en ce petit matin pluvieux, que dans l’Afghanistan voisin, lui-aussi mis en ébullition par l’islamisme et ses milices populaires, le faible gouvernement communiste de Kaboul jetait sa dernière carte et en appelait à l’armée rouge. Une fois encore, il était aisé de deviner que la Russie dont le vieil appareil était en bout de course se perdrait tôt ou tard dans le bourbier afghan, et que les États-Unis trouveraient un facile intérêt à soutenir face à lui les Moudjahidin, mettant dans leur jeu une nouvelle carte islamiste par laquelle, pour leur plus grand profit et celui de leurs partenaires (les dynasties pétrolières et Israël), ils pourraient sans peine, mais non sans guerres, plonger le monde arabo-persique dans le chaos. 

Je me suis revu tout à l’heure, fatigué au fond de ce taxi qui se traînait le long du quai, insistant auprès du chauffeur qui voulait changer de radio pour écouter et réécouter les nouvelles sensationnelles venues de Kaboul, regardant intensément par la fenêtre couverte de pluie l’ombre majestueuse de Notre-Dame que j’adoptais plus ou moins confusément pour talisman. Qu’elle me protège, grande force multiséculaire, souriante et tranquille, imprenable symbole de l’imprenable France au nom de laquelle partant peu à peu pour l’Égypte, et pour qui sait quelques grands postes où je déroulerais ma carrière à son seul service : qu’elle veille sur moi et sur les grandes choses que j’entendais faire et dont elle serait – je le jurais – l’inspiratrice secrète. Il se passa bien des choses au cours des quarante-deux années qui suivirent, l’implacable plan qui déchaîna le monde musulman se déroula au-delà de ce que j’avais imaginé, je ne fus certes pas diplomate, hormis trois épisodes bienheureux qui ne font cependant pas une carrière, et je n’imaginais pas alors, dans ce matin froid et pluvieux du 27 décembre 1979 qu’un jour lointain je reverrais d’un autre taxi la même Notre-Dame bien moins altière qu’elle ne l’était alors et que du déchaînement que j’apercevais dans mes incertaines conjectures géopolitiques, elle serait elle-aussi, un jour une des victimes. Et c’est à présent l’Europe qui plonge dans le chaos…

(Bien des développements à ajouter ; mais on m’appelle à table : à suivre… )

*

Mercredi 29 septembre – Paris. L’Opération Covid repart de plus belle. Plusieurs pays (Grande Bretagne, Etats-Unis, pays scandinaves, toujours cette foi aveugle des pays protestants pour le « progrès » technique), envisagent d’autoriser la « vaccination » des enfants, et dès l’âge de dix ans. Vaccin n’est d’ailleurs pas le mot puisqu’il ne s’agit que d’un produit expérimental, non encore homologué nulle part – il s’agit en fait d’une OGE, Injection Génique Expérimentale. Tel est le vrai nom du faux vaccin. Et voici que pointe déjà la menace d’une troisième injection, dose qui deviendrait indispensable pour l’efficacité de doses dont on signale partout des « effets indésirables », souvent graves, quelquefois mortels

Devant cette folie, tout le monde devrait descendre dans la rue. Mais non. Même, les manifestations de Philippot semblent faiblir. Au contraire, chacun court vers son passeport politique. Depuis quarante ans, les pédagos sacrifient les enseignements classiques et la transmission des connaissances à la « libre expression » des bambins, au « développement de l’esprit critique », etc. Et voilà que, après quarante ans de ce régime, nous n’avons plus qu’un troupeau de veaux incultes courant en bêlant vers leurs injections.  Je résiste, bien entendu, aussi compliquée que la vie me devienne, mais que puis-je face à la force de la propagande qui submerge les esprits impressionnables, les irréfléchis, et la vaste flopée des lâches, avec une facilité sidérante.  

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Jeudi 30 septembre deux mil vingt et un. Paris. Ne laissons pas ce petit journal en suspens : il attend la suite de ce que je ne faisais qu’esquisser avant-hier sur l’Afghanistan, quand un repas interrompit le souvenir du jour lointain, mais si clair, ce pluvieux matin de 1979, où, du fond d’un taxi opportunément pris dans un embouteillage devant Notre-Dame, j’appris l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée Rouge : elle ouvrait le terrible cycle de destructions et de défaites que je pressentais aussitôt, et qui dépassa jusqu’à mes pires désespérances. Regardant l’altière Notre Dame, je me vouais littéralement à elle, n’imaginant pas qu’elle en serait elle aussi, victime, et que, face à l’islamisme, nous perdrions toutes les batailles,  jusqu’à, le mois dernier, la débandade de Kaboul, dont toutes les leçons sont loin d’être tirées.

Peu avant l’affaire afghane, il y avait eu, en cette même année 1979, le bouleversement iranien, inscrit dans la même politique islamisante des Etats-Unis, période noire jalonnée de noirs desseins  qui s’est refermé cet sur le chaos de afghan,  Contrairement à ce que claironnaient les trompettes officielles, le renversement du Shah fut d’abord le fait non point tant de l’agitation islamiste, venue après, que d’une lente opération de déstabilisation de son régime par l’administration américaine, alors dirigée par le démocrate Jimmy Carter. Derrière cet ancien quaker qui cachait sous les simagrées des droits de l’homme les combinaisons guerrières les plus dangereuses, grouillaient des norias de conseillers qui se montrèrent, avec Reagan, puis les Bush et le Clinton, acharnés à créer un nouvel ordre mondial autour d’un conflit de civilisation qui supposait de mettre au pas, ou de détruire, les puissances régionales laïques de la région : Iran, Irak, Libye, Syrie (flanquée du Liban ), sans oublier la Turquie, alors elle aussi laïque. Dans les années 70, ces puissances neuves se multipliaient dans la région, elles se développaient (souvent en coopération avec l’Europe, et plus souvent encore avec la France), au grand dam des firmes américaines, notamment des pétroliers qui trouvaient en face d’eux des gouvernements plus puissants et plus raides, mais aussi d’Israël, lequel se trouvait comme encerclé par des Etats dont Tel-Aviv pouvait craindre la croissance, démographique d’abord, économique et militaire ensuite. Pour Israël comme pour Washington, danger maximal  – je n’invente rien, de grands stratèges états-uniens, Brzezinski ou Wolfowitz l’ont écrit en termes plus ou moins voilés, chose d’autant notable qu’ils inspiraient, comme d’ailleurs les Pétroliers (dont le vice-président Cheney) le Pentagone, la Maison Blanche et cet Etat dans l’Etat qu’est la CIA – sans doute, avec le Pentagone et leur commune victoire sur  le FBI de Hoover, le seul véritable Etat des Etats-Unis, tout le reste n’étant qu’une palette d‘administrations. 

 Tel est l’empire – si différent de la nation états-unienne profonde, celle de Trump. Pour l’Empire, il faut détruire et détruire encore, détruire sa nation et les autres nations du monde, tout détruire avant soi. Détruire fut décidément le mot de la génération… Mais ce que « l’Etat profond » de Washington ( pour commencer la CIA, quelques « think tanks » plus ou moins connus et quelques politiques tenaces tel le pétrolier Dick Chenais) ont d’abord voulu et ont réussi à détruire, c’est le proche Orient, Afghanistan compris.

Il se passa bien des choses au cours des quarante années qui suivirent : bientôt aux mains des Faucons, l’administration états-unienne mena, sans compter drames et morts, l’implacable plan qui déchaîna le monde musulman, allant bien au-delà de ce que j’avais imaginé : destruction du Liban, apothéose islamiste en Iran, puis quelques années plus tard en Afghanistan (ce dont se réjouit ouvertement la secrétaire d’Etat Madeleine Albright), en passant par la curieuse guerre entre l’Iran et l’Irak qui les affaiblirent tous deux, puis le piège du Koweit et la destruction de l’Irak, suivie de la guerre à outrance contre la Syrie (seule à résister victorieusement) enfin la Libye, elle aussi détruire et désormais aux mains de bandes islamistes. Entre temps, Erdogan prit en mains la Turquie dont il pulvérisa l’éphémère laïcité et les islamistes firent main basse sur le Liban -à l’exception de misérables réduits chrétiens qui aujourd’hui se meurent dans la plus noire misère. Hélas, cette politique incendiaire, qui vient de se conclure par la débandade de Kaboul, la diplomatie française l’a suivie aveuglement et, mis à part le coup de menton de Chirac brandissant en 2003 notre véto, elle y prêta la main, si docilement que, dans ce chaos tant voulu par Washington et Tel-Aviv, elle finit par disparaître elle aussi, ne signifiant plus rien nulle part. Je ne fus pas diplomate -heureusement, car Notre-Dame ne nous a protégé de rien, et je n’eusse pas aimé prêter la main, comme tant de mes amis, à cette servilité honteuse.

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