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LE JOURNAL DE PMC – NOVEMBRE 2021

Lundi 1er novembre. A Paris, malgré le projet de passer, comme chaque année la Toussaint à Bordeaux, projet abandonné parce que… je n’ai pu trouver une seule place libre dans le moindre train -bienheureux temps où, la SNCF n’était pas obsédée de commerce, on prenait son billet à la gare sans se soucier de réserver. Du moins ai-je ainsi le temps d’écrire à mon vieil ami Z, qui est pris dans bien des tourbillons dont je crains fort qu’il ne puisse se sortir, tant il y met de l’intrépidité, tant il prête le flanc aux bandes organisées qui veulent sa peau, tant me parait fragile l’esquif incertain sur lequel il s’est embarqué : beaucoup de monde, certes, sur tous les ponts, et chauffés à blanc -signe que le réflexe du salus patriae reste bien en vie ; de nombreux matelots dans les soutes et les gréements ; mais au moment d’appareiller, ce qu’il fera un jour ou l’autre (sa déclaration de candidature, je ne m’en mêle plus, mes conseils étant écartés les uns après les autres ), il serait bien avisé d’installer à son bord un bon capitaine et quelques marins expérimentés, qui connaissent la mer, le ciel, les hommes et le vent -faute de quoi il est à craindre qu’au premier coup de torchon le navire sombre, corps et biens -et illusions, et avec elles les dernières espérances de la France. Au lieu de quoi, on reste obstinément sur le ton C-News, comme si la politique, art et artifices n’était pas un tout autre métier… 

Pour tout dire je tremble tous les jours -et plus encore quand il me dit, avec sa désarmante sincérité  : « mais non, tout va très bien ! » ; le pire est qu’il le pense, et qu’il ne peut dissimuler ce qu’il pense.. ;

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Vendredi 12 novembre 21 – Paris. Dans un mois exactement, referendum en Nouvelle Calédonie. Si les indépendantistes, abondamment financés par la Chine, gagnent, la France perdra un porte-avions en plein Pacifique, le nouveau centre du monde, ainsi que des matériaux rares, 24% du Nickel mondial, 14% de son domaine maritime, tandis que la Polynésie française paraîtra bien isolée, et fragile. A Paris, indifférence totale.

            Les ravages du Covid : non des morts (il y en très peu désormais), mais des décérébrés -stupéfaction devant la servilité de mes contemporains. Où sont les Français, qu’on disait jadis rebelles, et que le techno-progressisme aura mis en plis en un tournemain ?  Depuis vingt mois, je fais de la désobéissance un art, persuadé que le Covid n’est qu’une gigantesque opération politique et consterné que la France soit tombée si bas que le simple esprit critique s’y nomme désormais « complotisme ». 

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20 novembre deux mil vingt et un. Je reviens d’un de ces jolis « dîners à B. » qui tournent au rite, rite dûment respecté lors de chacun de mes passages à Charmant -où je ne fais décidément plus que de courts passages. Le rite est bien en place : d’abord, l’indispensable mise en bouche, cette route d’une douzaine de kilomètres qui mène au hameau de B. en passant par le chemin des crêtes puis les sentes sinueuses de Charbonnières ; protégée des regards par un bois d’abord épais qui s’éclaircit peu à peu, puis un cours d’eau claire qu’on franchit par un pont dangereusement étroit, la bâtisse, pour discrète et simple qu’elle affecte d’être, se découvre à mesure qu’on approche, altière et tranquille -tranquille, c’est le mot du lieu, et finalement de cette Charente autrefois périgourdine dont on dirait, comme l’esclave de Cratyle, que rien n’en change jamais sinon le nom qu’on lui donne au fil des générations et des régimes  -comme toujours, en dépit de l’autoritaire nominalisme de rigueur, le nom change mais pas la chose. B. est d’ailleurs situé aux confins des deux départements, Charente et Dordogne, abusivement séparés par les tripatouillages de la prétendue République, dont leur majesté les arbres si contrefichent. Je me gare devant le pigeonnier où virevoltent des colombes, traverse la cour de sable blond parsemée de rudes fruitiers que l’on n’a pas encore rentrés, jusqu’à ce que la petite porte médiévale s’ouvre, et que s’ouvrent les bras. Le plaisir, ensuite, ne cesse pas : ces repas devant l’immense cheminée qu’on dirait féodale tant elle est haute et immenses les bûches qu’on y jette ( bien entendu, on n’imagine pas chauffer autrement ) sont toujours préparés « aux petits oignons », l’un et l’autre de mes hôtes aimant cuisiner, de sorte que l’on passe d’un régal de bouche à un autre ; surtout, j’admire de plus en plus l’espèce de perfection simple qu’atteint ici l’art de recevoir -ou tout bonnement l’art de vivre, à l’ancienne, à la provinciale, dans un univers où tout est poli et patiné, pour commencer tableaux, livres et meubles dont chacun, pour peu qu’on l’évoque devant l’hôte, est à lui seul une histoire.

Il y avait cependant, aujourd’hui, un bouleversement de taille : se retirant définitivement sur leurs terres, les L. ont mis en vente leur appartement des Chartrons. Or, il se trouve que les agences chargées de l’opération ont exigé que tout  meuble ou boiserie, et jusqu’aux trumeaux qui rehaussaient les cheminées XVIIIè des salons de réception, fussent enlevés : tant de vieilles choses pourraient gêner les visiteurs, jugent les agents des agences, qui préfèrent repeindre les murs en blanc -en blanc !, comme si les vastes appartements du grand siècle bordelais tout ouverts sur les quais de la Garonne étaient des cliniques, ou de tristes cages du genre F2 de banlieues ! Tout enlever ! O. en tombe à la renverse, détaillant la provenance, le facteur, l’histoire de ces merveilles rapatriées en hâte et qui encombrent à présent les vestibules, paliers et salons de B., et se lamentant : « voilà bien la fin de la civilisation : tous ces petits chefs d’œuvres d’art et d’artisanat pieusement entretenus au long de trois siècles, et que l’on aurait pu laisser aux acquéreurs si se trouvait encore quelques choses le goût des belles choses, ne disent donc plus rien à personne ? C’est incroyable, incroyable ! ». Certes, les petits trésors du monde ancien trouveront aisément leur place à B. ; mes hôtes sont cependant inconsolables : que l’on puisse préférer des murs blancs, une telle une telle une telle insolence, rupture de leur monde, et de notre civilisation les retourne. J’avance, pour apaiser leur tristesse qu’ils ne sont certes pas les seules victimes de l’espèce de révolution culturelle qui a saisi le monde entier dans les décennies qui suivirent la Grande Guerre et qui est pour ainsi dire la marque de fabrique, la grande affaire et l’irréparable péché de tout le XXè siècle. 

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21 novembre deux mil vingt et un ; à Charmant, dès la mi-novembre et pour au moins trois ou quatre mois d’hiver ( ce matin, 3 degrés devant la porte), je prends mes quartiers dans l’aumônerie, bien plus facile à chauffer -et moins chèrement… Chaque année, je m’émerveille que le petit poêle installé dans la cheminée, et qui ronronne haut et fort pour peu qu’on l’alimente régulièrement en bonnes bûches, réussisse à chauffer à lui seul les soixante-dix mètres carrés de la petite maison. J’ai bien fait, vers 2016 ou 2017, en rénovant entièrement cette pauvre chaumière dont le sol était en terre battue, et qui servit longtemps d’entrepôt, d’équiper toutes ses ouvertures en doubles vitres ; elle est maintenant très confortable et suffirait, s’il le fallait encore, à me persuader qu’il est toujours possible de retaper une maison, si du moins ses fondations sont bonnes, quelles que soient les blessures que lui ont infligées les siècles et les hommes. Retaper, réhabiliter, restaurer, rénover, ressusciter, etc. : il y a tant de mots en « re » pour dire, de cent façons possibles, le retour, le regain, la renaissance -en somme, à mi-voix, qu’il n’est nul abandon, nulle disgrâce, nulle décadence tout à fait irréversibles, et qu’il est souvent possible de reprendre ce que l’on croyait détruit, défait, dépassé… Initialement, cette maison aujourd’hui chaleureuse et confortable avait été (ici, le plus que parfait est délicieux) construite au XIIIè siècle, entre l’église édifiée sans doute en même temps, et qu’elle jouxte presque, et le château templier, celui de la première manière, haute mais étroite, et qui fut lui aussi repris, refait, réaménagé au XVIème ; elle servit d’abord à ses premiers maîtres Templiers d’aumônerie, où l’on accueillait les pauvres, vagabonds et pérégrins (d’où son nom, qui est resté) avant, ceux-ci disparus, d’être annexée par la ferme voisine pour abriter des animaux, puis, si j’ai bien compris le récit de mon prédécesseur, de la paille, du grain et finalement des rebuts ; enfin ( mais ce n’est sans doute pas la fin), je l’ai réhabilitée et rénovée en lui donnant de beaux sols en pierre de travertin et tomettes rouges, un étage qui n’existait pas et, à défaut d’autres ouvertures, des doubles vitres qui maintiennent une bonne température, hiver comme été, et la rendent infiniment aimable à vivre.  Le petit « re » de réhabiliter, rénover, restaurer, renaître, c’est le bienheureux suffixe de la lecture cyclique du monde -la non linéaire, la non progressiste, en somme la conservatrice : à lui seul, il rend discrètement compte de cette vielle vérité, odieuse aux Modernes, aux bazardeurs, aux consommateurs compulsifs toujours prêts à jeter, à acheter sans racheter, qu’il n’est nul abandon, nulle disgrâce, nulle décadence irréversible, et qu’il est toujours, avec un peu d’effort, de fidélité et de piété,  de possibles restaurations et des renaissances.

            Tout à l’heure, donc, près du petit poêle rougeoyant sur lequel grillaient mes morceaux de pain, je prenais un long petit déjeuner en écoutant France Musique, suivant d’’une oreille un blanc bec mélomane, genre jeune chef d’orchestre à la mode, sans doute la coqueluche d’un jour, expliquait son dégout des musiques qu’il nommait « anciennes », finissant par comprendre qu’il nommait ainsi toutes celles dont les compositeurs avaient disparu ! J’avais bien entendu, il répétait de diverses façons son antienne : seules l’intéressaient les compositeurs avec lesquels ils pouvait converser au téléphone, dont il attendait les compositions nouvelles pour s’y plonger, tout le reste (Mozart, Beethoven, Schubert -ses références, assez banales, étaient toutes allemandes…) lui paraissant « porter la mort » -sic ! Je ne sais pourquoi je fus tant surpris : il fallait bien que la détestation du monde ancien, tant répandue désormais chez les « jeunes », qui croient souvent (pas toujours, certes ! ) que le monde ne valait rien avant qu’ils n’arrivent sur terre, finisse par profaner de telles horreurs. Je pensais aussitôt aux beaux meubles dont il fallait dépouiller les vieux immeubles Chartrons pour pouvoir les vendre par appartements repeints en blanc ; je pensais à l’arrogance soixante-huitarde avec laquelle gauchistes, antifas, et par-dessus tout, technos en tous genres poursuivent les derniers Mohicans qui se soucient de conserver en douce le vieux monde ; je pensais aux jeunes Gardes Rouges, souvent des enfants, de la Révolution culturelle chinoise qui dévastaient les maisons à la recherche de tout vestige de l’ancienne Chine que des familles auraient pu tenter de protéger contre leur acharnement à tout en détruire, et qui, si ils en découvraient, alignaient les coupables (coupables du délit de conservation ) devant la porte de leurs demeures et les fusillaient pour l’exemple. Je pensais que la révolution culturelle chinoise ne fut qu’une malheureuse caricature, et que tout le XXème siècle, sa modernité sauvage et ses Modernes féroces ne fut, et n’est encore, qu’une longue, immense et insatiable révolution culturelle.

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Mercredi 24 novembre – Songeais tout à l’heure, dans le train qui me ramenait à Paris et ses rebondissements ( Zemmour, aujourd’hui, après tant d’autres qui ont joué avec nos trop faciles espoirs et que le monde ne cesse de décevoir tour à tour -en fait de politique, je n’aurai fait que labourer la mer…), dans le train, donc, perdant mon regard dans les derniers paysages impassibles avant que n’arrivent les inévitables abords de la ville, je me disais que l’envahissante question du Temps, ou de la Durée, est à peu près, au milieu des mille chagrins et perditions du jour, le seul sujet qui m’intéresse vraiment, le seul qui soit inépuisable -et finalement bienheureux. La France fut souvent la figure fixe dont les permanences transcendent la fuite du temps, raccrochent la vie et ses fuites à ce qui la dépasse et l’installe dans la durée ; mais à présent, de l’avenir de la France je doute, et doute affreusement, et le spectacle de ce qu’elle est devenue, la faiblesse de cette pauvre grande chose à la dérive dont Philippe de Villers dit même, dans l’entretien qu’il a donné au Nouveau Conservateur de l’automne, qu’elle est au bord de l’abîme, me plonge dans une perplexité morose : et si ce n’était pas elle, Notre Dame la France, qui reflétait  la grâce divine sur cette terre -et si c’était les arbres, les grands arbres sans cesse renaissants ?  

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