Lundi 1er mars. Retour de Bordeaux, par une belle nuit claire –si claire, d’ailleurs, que je soupçonne la pleine lune de prolonger son règne, m’amusant à guetter sa lumière à travers les vitres, de pièce en pièce. Ce faisant, parcourant les étages, je découvre que la plupart des chandeliers des salons et des chambres n’ont plus de bougie, et m’attarde deux bonnes heures, à en recoller de toutes neuves. C’est une science. Science sans patience…
Au risque de me répéter, je vais derechef consacrer mon « ouverture » au dossier du prochain numéro du Conservateur, consacré aux délires de la modernité ( spécialement ceux du trans-humanisme), au grandiose piège co-vide sidéral dans lequel plongent une proportion alarmante de nos contemporains. A ceux qui répètent que le Gouvernement fait ce qu’il peut, ne peut faire autrement que tâtonner, etc, je demande : si nos maîtres voulaient combattre l’Epidémie, pourquoi diable interdisent-il de soigner ceux qui en sont atteints ? La question demeure, énorme depuis un an : pourquoi ces autorités, non seulement n’ont jamais entrepris de d’encourager les médications reconnues pour efficace (nous en publions la liste) mais les ont au contraire interdites les uns après les autres, poursuivant les praticiens qui les utilisent avec succès ? Je n’ai jamais trouvé un seul quidam pour répondre ; tous restent cois.
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Jeudi 4 mars. Frais beau temps, ce matin, sur la Charente périgourdine –je crois qu’il en va de même sur la Charente saintongeaise, du coté de Cognac, à l’ouest ; sans doute aussi sur sur la Charente girondine, au sud ; peut-être même, au Nord, sur la poitevine, dans les alentours de Ruffec, sans oublier la limousine, sur les contreforts de Confolens. En fait, la Charente est adorable, au moins comme rivière et comme vallée verdoyante, beaucoup moins repérable comme département, lequel fut littéralement fait de bric et de broc par ces pauvres Conventionnels. Ceux-là n’ont rien trouvé de mieux, pour lui donner un nom, que celui de la rivière qui ne fait que passer par là, dégringolant du Massif central pour aller se jeter dans l’Aunis, au sud de la Rochelle, et qui appartient donc à de toutes autres géographies… Un bout de Saintonge, un bout de Limousin, au autre de Poitou, un autre de Guyenne, un autre de Périgord –celui sur lequel est situé mon village, qui fut longtemps périgourdin. Ce département est bien artificiel, même si deux siècles ont fini par lui donner une patine –mais certains sont mieux ancrés dans une continuité historique : le Rouerge coïncide à peu près avec l’Aveyron, et le Quercy avec le Lot. Toujours des noms de rivière, auxquels se sont raccrochés les Révolutionnaires pour trouver, ayant récusé l’histoire, une épaisseur de secours.
Bref, je devrais reprendre le petit livre entrepris depuis des années (l’un des douze ou quinze qui dorment dans mes cartons…) sur le topos français, vieille passion, rappelant, après tant de grands anciens, Braudel inclus, l’immense part du topos dans la formation de notre politique, de notre civilisation, de notre manière d’être et de vivre –ce lien bienheureux qui privera toujours les immigrés, ces pauvres gens, du complet bonheur que donne « le mystère de la durée », comme dit de Gaulle au détour de la conversation des «Chênes »… En seconde partie du livre imaginaire (qui sans doute le restera) je reprendrais le vieux projet, qui déjà m’attirait les quolibets de mes congénères, sur le découpage administratif qu’inspire ou qu’impose le topos, comme Nature et comme Histoire. Nature devenue Histoire, Histoire si épaissie de Temps qu’elle devient Nature : magie du « fin tiret » qui fait « l’Histoire-Géo ». Tout de même, comme j’aimerais trouver le temps d’écrire ce livre -ce livre aussi…
Merveilleux langage que le topos -langue secrète mais si claire à qui dresse ses antennes. Qui voyage en France voit nettement que le vieux pagus romain, ce que l’on appelait jadis le « pays » et qui est à peu près le «canton», est l’unité première de l’appartenance enracinée –il me semble bien que la résurrection du « pays » fut l’un des projets de Charles Pasqua du temps qu’il fut ministre de l’intérieur –projet avorté, comme tant d’autres. Certes, entre l’Etat d’un côté et, de l’autre, le couple que doivent former l’ancestrale Commune et le vieux Canton, il y a un vide : le département, imparfait mais bien établi par sa permanence presque multiséculaire, peut le combler. Supprimer toute autre entité, pour commencer les régions, sans cesse redécoupées, mouvantes au point de se dévaluer sans cesse, et devenues artificielles jusqu’à l’absurde : notre région dite « Nouvelle Aquitaine », redécoupée comme toutes les autres sous le minable Hollande, comprend aussi bien Guéret que Biarritz, aussi bien Loudun, qui approche des bords de la Loire, que Sarlat qui, au milieu de son Périgord Noir n’a vraiment rien à voir. A la poubelle -et au diable ses ribambelles de fonctionnaires ! De même faut-il supprimer les nouvelles entités abstraites, communautés d’agglomération et autres «communautés de communes» qui compliquent tant la vie rurale –j’y reviendrai un jour.
Communes, Cantons, Départements : ces trois suffisent largement au bonheur bureaucratique ; il faut supprimer toutes les autres. Or, voilà que l’on en vient (c’est pourquoi j’écris ceci aujourd’hui) à tripatouiller aussi les départements, et déjà sont supprimés cette année les deux départements d’Alsace au bénéfice, un comble, d’une « euro-région », que l’Allemagne cherche à nous imposer depuis 1997 -y revenir aussi. A qui le tour ? Détruire, ils veulent tout détruire : au bout de cette révolution permanente que les Modernes imposent à toutes choses, il ne restera rien. L’idéal des Républicains, la « Table Rase » dont rêvait le jeune Saint-Just, triomphe deux cents vingt-six ans après sa mort. La « République » a mis le temps, mais touche au but : du Royaume de France, qu’il ne reste plus pierre sur pierre.
N’importe, dit le sage : ce matin, il fait beau ; et j’eus, dès l’aube, un grand bonheur : M., mieux rompu que moi aux épouvantables assauts du maquis administratif, vient de passer deux jours à Charmant, grâce à quoi je commence à (re)mettre un peu d’ordre dans mes paperasses, à l’ordinaire douloureusement entassées sur un coin de mon bureau. Cependant, il ne sait toujours pas conduire, et j’ai dû, dès 7h, le déposer à Montmoreau, d’où une adorable « micheline », ce qu’on appelle maintenant un TER, s’arrête pour lui seul dans ce qui n’est même pas une gare (une sorte de terre-plein de part et d‘autre des rails, surmonté d’un panneau « SNCF » -on dirait une scène de Tintin au Congo) et l’emmène en faisant teuf-teuf vers Bordeaux, où il donne ses cours. Grâce à quoi, rentrant ensuite à la maison par la route de Saint-Amand, adorable village qui sommeillait encore dans ses brumes comme une princesse dans ses draps de satin blanc, j’ai pu m’arrêter à l’abbaye des bénédictines de Momont et prendre en cours les Laudes, office du point du jour.
Une trentaine de moniales priaient et chantaient comme elles le font chaque jour, imperturbables, aux mêmes heures, dans leur nouvelle église en bois sur laquelle planait, à l’écart de tout, une paix indicible. L’une des plus jeunes de ces moniales, dont la psalmodie se détachait de temps en temps, frêle et solitaire comme au désert, avait une voix si cristalline qu’on l’imaginait lévitant dans la lumière de l’aube et monter bonnement au ciel, petite assomption quotidienne qui, à celui qui l’écoute, arrache incontinent toute inquiétude.
Courte conversation, en sortant de l’église, avec une jeune femme qui me dit achever là une retraite d’une semaine ; je ne sais pourquoi, j’eus furtivement l’impression que la retraite en question avait pour elle un objet précis : décider si elle entrerai à son tour dans l’ordre. Et moi, je me demande une fois de plus pourquoi je n’ai jamais eu le courage de rejoindre mon cher Fongombault et, cette fois, d’y rester. Trouver seulement la force de couper mes basses branches. Comme j’écrirais bien, en de tels lieux ! (ritournelle).
Ai marché ensuite sur le chemin bordé de grand platanes qui entoure l’abbaye, jusqu’au point où se dévoile au plus large le panorama surplombant d’assez haut les champs et les vallons ; déjà le soleil, dissipant lentement les brumes, faisait monter sur cette splendeur calme les degrés d’une lumière si douce, si bienheureuse qu’on se demande ce qui a pris les hommes de croire qu’elle pouvait être autre chose que divine.
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Lundi 8 mars. Il faut en revenir à la politique –mais qu’est ce que la politique, quand elle n’est pas plongée dans le cours de la vie, la vie de tous le jours ? Jours obsédés par le bouclage, dans huit ou, speriamo, dix jours, du numéro trois du Nouveau Conservateur, comme d’habitude dans les transes de la « dernière minute », reportée de jour en jour, de sorte que nous allons envoyer nos 160 pages à l’imprimeur avec, cette fois, bien du retard. Heureusement, selon Huguette, toujours aussi inaltérable de dévouement, le flux des nouveaux abonnements reste régulier…
Ce qui m’aura le plus amusé, dans ce numéro, est le petit couplet par lequel j’introduis les pages économiques –que nous mêlons à celles qui sont consacrées à la sauvegarde de l’environnement et à celle du patrimoine -de sorte que les affaires économiques sont à leur place, et rien de plus. Le reproche de « délaisser l’économie » est si récurrent que l’aveu est délicieux à formuler : les affaires économiques qui passionnent tant nos contemporains viennent à l’aval de toutes les autres, en quoi elles sont, sinon secondaires, du moins infiniment seconde… Expliquons !
On connait la phrase du baron Louis, « faites moi une bonne politique je vous ferai de bonnes finances ». Sage logique à laquelle il manque d’élargir ses enchainements : pour faire une bonne politique il faut aussi un préalable : un Etat assez organisé et rationnel pour mener «une bonne politique ». or, pour qu’il y ai un Etat, il faut d’abord une Nation, assez unie et sûre d’elle même pour accepter un Etat. Et, pour qu’il y ait une Nation, il faut qu’elle soit nourrie par une civilisation elle-même fière de ses valeurs et principes, et transmise de génération en génération. On voit combien il faut d’amonts pour arriver à l’extrême aval économique…
En second lieu, les économicologues oublient que toute activité économique a une condition : un environnement propice. De l’eau, des mers et des rivières ; un territoire, un sol, un sous-sol, des ressources naturelles… Point d’économie quand l’eau manque, quand les mers sont stériles, les terres bétonnées ou polluées, l’air irrespirable jusque dans les montagnes : en bref l’écologie, économie de la maison, qui prend d’abord en compte les ressources afin d’optimiser leur utilisation est, elle aussi, première par rapport à l’économie au sens moderne, celle qui ne répond qu’à l’impératif de maximisation qui finit par l’étouffer. C’est pourquoi, nous autres Conservateurs sommes délibérément écologistes, soucieux des ressources naturelles, de l’environnement, de la Nature -pour commencer de la Nature humaine à l’exact opposé, d’ailleurs, de l’imposture écologiste.
Nous nous penchons cette fois sur la politique agricole, qui montre combien la logique de maximisation, celle de l’agriculture intensive, conduit à notre perte -absurdité d’autant plus accablante que les terres françaises, parmi les meilleures du monde, doivent justement être, optimisées, ce qui suppose une reconversion générale dans le bio, et pour commencer la conservation des sols : une agriculture « conservatrice »…
Troisième raison : les économistes raisonnent toujours en termes de flux (croissance des dépenses, des recettes ; écoulement des stocks ; courants des échanges etc.), oubliant toujours le principal, le capital. Non-seulement c’est à lui que se mesure tout flux (une croissance sera différente selon qu’elle s’applique à un PIB de 10, 100 ou 1000…), mais surtout ils oublient le substrat de toutes activité économique qu’est le patrimoine, lequel, pour secret qu’il soit, est la condition de tout. Tant il est vrai qu’ « un arbre sans racines ne porte jamais de fruits » ; c’est d’ailleurs bien ce qui pourrait nous arriver …
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Samedi 13 mars. Dans le train pour Paris.Branle-bas de combat. Les derniers chiffres, s’il faut décidément croire les chiffres, de l’épidémie (à force de pousser le virus par tous les moyens on va finir par pouvoir parler d’épidémie) révélerait que la France est désormais le pays d’Europe qui, ses dernières 48 heures, à compté le plus de contaminations. Grave échec pour un gouvernement qui a accumulé depuis que l’épidémie est apparue il y a presque quinze mois de vertigineux amoncellements de décisions. Comme toujours, on conclut souvent que ces décisions sont contradictoires, révélant impéritie et tâtonnement au plus haut sommet de l’État. Je crois plutôt que, comme toujours, ce sont les premières décisions qui parlent le mieux -et même la toute première : le 11 mars 2020, la ministre Buzyn, prenait une décision alors tenue pour mystérieuse, mais qui apparaît de plus en plus comme spectaculaire en interdisant la chloroquine.
Il m’es d’avis que cette décision dit tout. Si la France, à la vue des statistiques, est le pays qui aligne les moins bonnes performances sanitaires face au Covid, et si à la fois, c’est celui qui a pris le plus de mesures et parmi les plus draconiennes c’est qu’il est certainement de tous celui qui a poussé le plus loin l’interdiction de soigner, d’en tirer la suspension de la chloroquine étant à la fois la première de ces interdictions et la plus symbolique. Petit à petit les gouvernements sans doute égarés par des informations fausses (sans doute l’un des grands sujets de la crise est justement celui-ci : qui maîtrise l’information des gouvernants? – qui a déclenché l’an dernier ces hystéries?).
Peu à peu les gouvernements découvrent que la meilleure façon de faire face au virus c’est tout bonnement de le soigner à quoi on leur a fait croire par des voies mystérieuses qu’il fallait renoncer dans l’attente du Vaccin sacré. Les premiers à s’en apercevoir furent les Chinois puis les peuples asiatiques, lesquels ont massivement eu recours dès janvier et février 2020 à la chloroquine, à l’azithromycine, aux vitamines et sans doute à d’autres traitements – de sorte qu’ils se sont très vite mis à l’abri. Peu à peu les pays européens, notamment l’Allemagne, la Hongrie, l’Europe centrale, ont découvert qu’on pouvait ne pas s’interdire de soigner la maladie. Bien d’autres eurent recours à la médication que prône non seulement le Pr. Raoult mais bien d’autres médecins dans l’univers ; ils ont exhorté leurs populations à fortifier leur immunité grâce aux vitamines, au zinc…
En France, on en est resté à l’étrange, au stupéfiant, au criminel réflexe initial : on suspend les médicaments utiles, puis on les interdit, puis l’on poursuit les médecins qui s’obstinent à soigner. Résultat : nous sommes en route pour le pompon. Le pompon des dégâts économiques et de la décroissance, le pompon des décisions, interdictions, exhortations contradictoires et enchevêtrées ; et bientôt sans doute le pompon des malades. Si les choses étaient ce qu’elles sont et les Français ce que nous en savions jadis, la ribambelle des rigolos de l’Elysée et de Matignon (Macron & Castex) seraient sous les verrous dans les mois qui suivent.
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Lundi 15 mars. Paris. Hélas, on voit plus consternant encore que la déroute des prétendus « pouvoirs publics » : j’ai entendu tout à l’heure dans une file d’attente une phrase qui m’a glacée : « Heureusement, ils nous autorisent maintenant à rester dehors jusqu’à 19 heures ». Qu’est-il arrivé à la France pour que les citoyens se réjouissent comme des enfants de pouvoir ne rentrer qu’à 19 heures. Phrase inquiétante entre toutes tant elle révèle de docilité, tant elle nous plonge dans les mystères de la servitude et de la peur et pour tout dire du lavage de cerveau général.
Me fait penser à une phrase d’Asselineau que j’ai toujours aimé depuis que je l’ai rencontré il y a vingt-cinq ans dans les jupons de Pasqua et qui a toujours eu à mes yeux quelque chose de touchant, même le jour où, en 2007 et 2008, tandis que je l’avais nommé je ne sais pourquoi vice-président de mon petit – tout petit – Rassemblement pour l’Indépendance de la France, il avait tenté lors d’un congrès qui se tenait à Toulouse, de me dégommer par un putsch qui avait tourné court – l’actuel mystère de la situation d’aujourd’hui me fait penser donc à l’une de ses phrases, d’un grand bon sens : « quand il y a quelque chose que je ne comprend pas, c’est qu’il y a quelque chose à comprendre » : phrase assez sage.
Ce vieux François finalement je l’aime bien. Ce qu’il y faut comprendre est d’ailleurs assez simple : comme la déraison socialiste ou la déraison nazie,, la déraison progressiste tourne au totalitarisme –accouché par un virus. Mais, avec ou sans virus, il n’en était pas loin, tout concourant depuis des années à sa radicalité noire. Ce monde qui se grippait tout seul, il suffisait d’une grippe pour qu’il s’enfièvre et délire.
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Samedi 20 mars, Paris. La ressemblance entre le Président de la République et le peuple Français dans l’état où il se trouve actuellement va encore plus loin que je ne le pensais. Non seulement Macron est un enfant narcissique inculte et capricieux comme le sont un nombre croissant de Français dont il n’est en somme que l’image mais il y a pire encore : il est aussi l’image de plus en plus caricaturée de leur état psychique tel que l’interminable feuilleton covidien qui a déjà bien plus qu’une année l’a progressivement érodé. Elle était latente, elle est désormais attente, évidente, inquiétante : mes contemporains à des degrés certes divers font montre d’une vulnérabilité psychique que je n’avais encore jamais vue nulle part : nervosité, agressivité devant la moindre adversité, incapacité à tenir sa parole, malaise au travail et souvent dans la famille, absentéisme, plainte continuelle dont l’abcès de fixation général est l’insomnie.
A propos de l’insomnie, on note ces derniers mois un recours croissant aux somnifères et aux tranquillisants et parallèlement un nombre croissant de surdoses médicamenteuses, des suicides etc : si nous continuons ainsi la plus exacte manière de qualifier l’état de la société française est sans doute de parler de »société dépressive ». Ce mot ne qualifie d’ailleurs pas à titre principal le peuple français mais pour commencer ses élites, celles qui répandent dans Paris une ambiance souvent électrique et par dessus tout ses dirigeants. L’autre jour le Premier ministre paraissait hâve, à la fois fébrile et épuisé, lunaire pour tout dire.
A mesure qu’il égrainait des dispositions où le commun des mortels, dont moi-même, finissait par ne plus rien comprendre au point que toute cette affaire ne paraissait plus qu’une farce saumâtre. Mais il semble bien que le pompon pour conclure là où j’avais commencé soit le Président de la République dont bien des indices montrent que l’état psychique se dégrade : plus que tout autre français plongé à des degrés divers dans la nervosité ou le découragement il me paraît très vraisemblable que le premier d’entre eux commence tout simplement à perdre les pédales.
En tous les cas, nous sommes en pilotage automatique. Matignon pas plus que l’Elysée ne semble plus piloter quoi que ce soit avec tant soit peu de cohérence. L’affaire Zeneca est la plus éclatante de toutes : vendredi dernier le ministre de la Santé faisait »pleine confiance » à ce vaccin dont plusieurs pays suspendaient l’utilisation. Mais l’Union Européenne l’avait trouvé conforme et l’on suivait. Dimanche, le gouvernement par la voix de son chef, confirmait son choix qui n’était d’ailleurs que celui de l’Union Européenne : on suivait toujours. Patatras ! Voici que lundi à quinze heures l’Allemagne suspendit Astra & Zeneca. Il n’a pas fallu une demie-heure pour que le pilotage automatique fonctionne au doigt et à l’œil. Quelques minutes plus tard, la France, suivant toujours, suspendit le terrible vaccin.
Branle-bas dans les dispensaires : on arrête tout. Chose bien embêtante puisque les autres vaccins commandés aux Amériques n’arrivant qu’au compte-goutte la majorité des injections se faisait à l’Astra-Zeneca. Que faire ? On attend. On attend le Président de la République qui attend un contre-ordre. Trois jours après, l’Agence Européenne autorise de nouveau : nouveau revirement le doigt sur la couture du pantalon. Et pour faire bonne mesure, le Premier ministre désigne l’agence européenne en question de son acronyme anglo-américain : E.M.A. (European Medical Adgency). Les médias continuent à parler de Gouvernement ; une fois de plus, selon la règle de Montherlant : c’est quand la chose manque qu’il faut mettre le mot.
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Dimanche 21 mars . Paris. Voici le premier jour du printemps, mais l’on ne voit plus du tout ce que voulait dire le Président de la République quand il invitait les braves Français, voici quatre ans à « penser Printemps » tant sont moroses les esprits, qui croyaient épisodique l’affaire covid et n’en voient pas la fin, tant est morose l’ambiance générale, jusque dans les rues et les magasins, où chacun masque son désarroi sous sa muselière, et se tait.
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Jeudi 25 mars. Paris, marécage lugubre dont je vais m’extraire sans tarder pour aller faire mes Pâques en Province.
Macron archi grillé. J’ai rarement vu un dirigeant politique dont le peuple se gausse aussi bruyamment – quand il n’exhale pas une froide colère qui tourne en haine. Voici trois semaines, il demandait aux Français de ‘’tenir encore quatre semaines’’. Hier, il déléguait son Premier ministre, un Castex transformé en hibou lunaire, pour annoncer que nous étions de nouveau enfermés -un enfermement à la Macron c’est à dire que ‘’en même temps’’ nous pouvons sortir s’il nous chante dans les rues, les vallons et les forêts, tant notre maître est bon. Quant aux conditions de cette demi-libération, Ubu triomphe : faut-il nous donner à nous-même, pour sortir de chez nous, une autorisation, en forme règlementaire ?
Quant aux commerçants ils ne savent pas s’ils sont de nouveau suspendus, lesquels le sont, lesquels sont autorités à ouvrir demain matin. De combien de kilomètres sommes-nous autorisés à nous éloigner de notre domicile – quelle est la longueur de notre chaîne autour du piquet ? Ainsi de suite : depuis deux jours ordres et contre-ordres se succèdent sous le regard éberlué du bon peuple enfin consterné de s’être donné des dirigeants qui non seulement ne savent pas diriger mais pas même administrer, le dénommé Castex trônant au milieu de cirque comme le roi de la pantalonnade. Depuis la débandade de juin 40, ou la panade de l’hiver 57-58, on ne vit jamais gouvernement si empêtré ; ne règne plus qu’une consternation absolument générale
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Lundi 29 mars. Charmant. S’il fallait un coup de grâce pour achever la gôche française, Audrey Pulvar vient de le lui asséner de belle manière : cette dame, ancienne présentatrice de télévision du service public (très à gôche elle-même, mais tous les journalistes le sont, sur le service public), et fille d’une grande fortune des îles ( les journalistes sont souvent d’extraction bonne bourgeoise, et, si ils ne le sont pas, le deviennent vite) trouve normal, et le dit haut et fort, qu’un syndicat étudiant, l’UNEF, organise des réunions interdites aux Blancs.
Puis, voyant les protestations se multiplier, et voulant éviter le naufrage, elle se noie : qu’ils participent, mais alors qu’ils se taisent. Et pourquoi se taire ? En raison de la couleur de leur peau, tout bonnement. Episode adorable : adieu la Gauche universaliste, anti-raciste, égalitariste et tout le Trafalgar. Ouf, fini et bien fini –comme cohérence intellectuelle, s’entend. Restent, bien sûr, les clientèles ; mais, les échafaudages intellectuels étant par terre, nous en viendrons à bout.
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Jeudi saint, 1er avril deux mil vingt et un. Sur mon prie-Dieu, courte prière : « Mon Dieu, donne à chacun sa propre mort » (Rilke). Très beau temps, qui va mal à la semaine sainte. Avons acheté force pots et planté, A. et moi, une vingtaine de Futunia pour compléter et égayer la haie, assez misérable pour l’instant, qui longe l’allée cavalière et la sépare, fort mal, du terrain de mon frère.
Suis tombé tout à l’heure sur un entretien qu’a accordé au Figaro, je ne sais plus quand (mais qu’importe) le mirobolant Jean-Michel Delacomptée, agrégé de Lettres dans la version idéale de l’agrégé, et du lettré, que j’ai connu quand il préparait son « La Bruyère, portrait de nous-mêmes » paru chez Laffont en 2016 : j’en recopie ce morceau, à mettre en bonne place dans une anthologie de la pensée conservatrice : « Dire que le cœur de l’homme reste identique à lui-même en tous lieux, en tous temps, revient à prendre acte de motivations, de réactions, d’attitudes en tous points semblables aujourd’hui à ce qu’elles étaient à l’époque de Théophraste, personnage de l’antiquité, comme de La Bruyère, personnage du XVIIe siècle.
Mais revient aussi à condamner les tentatives prométhéennes visant à changer l’homme. Les exemples monstrueux que nous offre l’histoire du XXe siècle valent enseignement définitif. Les comportements peuvent s’améliorer, pas le fond. «Qui a vécu un seul jour, a vécu un siècle, même soleil, même terre, même monde, mêmes sensations, rien ne ressemble mieux aujourd’hui que demain», écrit La Bruyère. À travers le temps, les corps restent les mêmes, comme le soleil et les cœurs. Voici encore, à titre d’illustration, ces lignes de Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien: «La substance, la structure humaine ne changent guère. Rien de plus stable que la courbe d’une cheville, la place d’un tendon, ou la forme d’un orteil. Mais il y a des époques où la chaussure déforme moins». Cette moindre déformation, appelons-la le progrès possible. Les mœurs peuvent tantôt régresser, tantôt s’améliorer. Mais la structure, elle, ne bouge pas ». Ce « progrès possible ne se faufile que dans d’étroites marges », et c’est bien la seule chose que l’on peut attendre du progrès.
J’ajoute cette notation, un peu plus loin dans le même entretien (quelle bêtise que de n’en avoir pas noté la date ! ), qu’il faudrait recopier dans son entier : « «Dans cent ans, écrit La Bruyère, le monde subsistera encore en son entier : ce sera le même théâtre et les mêmes décorations, ce ne seront plus les mêmes acteurs.»
C’est assez exactement le raisonnement qu’oppose Parménide à ce pauvre Héraclite qui se croyait malin d’induire du fait « qu’on ne baigne jamais dans la même eau » » cette observation universelle que, du monde et de l’univers tout change toujours. Voilà vingt cinq siècles que cette idée de poche, simple au point d’être simplette sert de viatique à la longue marche des Modernes.
A ce plat « tout change toujours », Parménide opposait que, si l’eau changeait, c’était toujours le même fleuve, de sorte que la permanence, ou bien la « longue durée » l’emportait à plates coutures sur l’idéologie du changement qui tant plait aux esprits simples. La Bruyère, décidément, il faut, avec Parménide, (et Delacomptée) les installer au sommet du grand mausolée des Conservateurs…
PMC