Vers la fin de l’année 1991, tandis que j’étais commis à la préparation des discours et messages du Secrétaire Général de l’ONU, fonction qui, du sommet de la majestueuse tour de verre, embrassant New-York d’un regard et d’où s’apercevaient aussi tous les multiples tumultes des continents, me fit pour ainsi dire entrer de plein pied dans le monde, j’entrepris d’écrire un journal, que je m’attachais à tenir assidûment.
Ce journal, je l’ai repris à Paris, au fil des quelques années d’un autre service auprès du Président de l’Assemblée nationale, puis de deux années d’enseignement universitaire et de mes premiers engagements politiques, revenant sans cesse depuis lors à cet ami désormais vieux de trente ans qui garde près de moi, dans l’ombre massive des souvenirs, quelques moments, témoignages ou pensées demeurés grâce à lui plus clairs.
Je sais bien que, couchée sur des papiers épars, cette clarté fugitive est à son tour vouée à disparaître, à moins que je ne tire un jour de lui des mémoires qui restitueront tant soit peu les univers où se déroulèrent les suites contrastées de mes jours, au Parlement de Strasbourg et Bruxelles ainsi qu’en d’autres pays et d’autres lieux en France – retraçant ainsi ce que, de ces univers successifs, j’ai vu et compris du plus grand univers, dont les métamorphoses et les permanences m’inquiètent et me consolent tour à tour.
De milliers de pages ainsi noircies, parfois jetées à la diable, parfois plus écrites, conservées sous diverses formes selon l’aléa des jours, j’ai fait d’innombrables articles, qui désormais s’entassent par centaines, ainsi que l’un de mes livres qui n’en est qu’une suite plus ou moins continue, du temps où je vivais aux confins de la Bourgogne et du Berry et publié en 2003 chez Bartillat sous le titre Un petit séjour en France.
Toujours, ce journal fut ma base, matrice générale d’où sortirent de temps à autres d’autres livres, moins personnels d’apparence, mais toujours reliés silencieusement à lui, mais aussi des revues que je dirigeais tour à tour ( celle du RPR, Une Certaine Idée, de 1998 à 2000, puis Les Cahiers de l’Indépendance, dont les parutions s’échelonnèrent de 2007 à 2016 ) et finalement deux « blog-notes » : For Intérieur, tenu presque au jour le jour tandis que je vivais reclus dans un prieuré du Poitou, entre 2009 et 2011, puis Penser la France d’après le Chaos écrit principalement à Paris de 2013 à 2015, abandonné l’année suivante tandis que je m’installais en Charente, où j’ai derechef griffonné d’innombrables notes et pages dispersées, vivant toujours, comme il se dirait d’un guerrier « la plume à la main » sans autre mise en forme que la continuité de ce journal – lequel, au milieu de ses métamorphoses, est finalement la plus sûre continuité de mon existence.
Qu’importe dates et lieux : ayant lancé à la fin de l’été 2020, dans l’urgence qu’impose à nos réflexions la très rapide dégradation de la France, comme Etat et Nation, et la brutale déliquescence de la civilisation millénaire dont j’accepte et entend défendre l’héritage, une nouvelle revue, Le Nouveau Conservateur, dont l’audience dépasse ce qu’escomptait sa très petite équipe, j’entreprends ici un nouveau « blog-notes », qui est une autre façon de penser ce que pourrait être un jour la France après le chaos qui l’emporte – la France, l’Europe, et ce que je fus longtemps réticent à nommer la civilisation européenne, qui n’est sans doute que la civilisation chrétienne, elle-même nourrie des multiples héritages nés sur les rivages féconds et infiniment variés de notre continent.
Aujourd’hui, devant le vaste océan inconnu vers lequel, au moment d’appareiller, je sens bien qu’il ne se trouve nul meilleur esquif que notre langue et le témoignage qu’une vaste ordonnance de mots et de pages portera au loin dans les temps à venir – et qu’il ne s’y peut emporter nul meilleur bagage que ce journal, les souvenirs, les espérances et les détresses enfouies dans le secret des jours.
Ce journal sera publié ici chaque mois, et par la suite le sera peut-être chaque semaine. Simultanément sera mis en ligne, à titre d’archive, un mois du journal de l’année précédente, et nous remonterons ainsi le temps à mesure…