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Quand « l’Occident » se noie dans la mer des mensonges

par Paul-Marie Coûteaux

Quel contraste ! Apparemment, le progrès déploie toujours ses merveilles : les trains vont vite, la médecine accomplit d’étonnantes prouesses, auxquelles nul n’aurait songé voici trente ans encore, et bien de nos contemporains vivent dans une prospérité qui parait inouïe à ceux qui observent notre temps en gardant à l’esprit les échelles de l’histoire, surpris de voir tant d’individus vivre, consommer et jouir bien plus qu’ils n’inventent, ne régentent ou ne produisent, au point que, tels les oiseaux insouciants de la Bible, l’abondance leur paraît toute naturelle. En sourdine, cependant, nous savons bien que rien ne va plus, que ceux qui naissent aujourd’hui connaîtront une vie plus difficile et sans doute plus dramatique que la nôtre, que la grande machine du Progrès lancée voici plus de trois siècles s’est enrayée et que le centre du monde, le foyer de l’innovation et de l’initiative politique et, surtout, la matrice de l’expansion démographique, que nous crûmes fixés pour toujours dans ce (trop) petit cap d’Asie qui se nomme Europe, ont peu à peu glissé vers d’autres rivages. Tout porte autour de nous les stigmates d’une obscure dégradation générale, de nos paysages à nos villes, de nos services publics aux codes sociaux qui réglaient ou du moins arrondissaient autrefois les rapports humains et que voici partout oubliés, ou contestés, quand ils ne sont pas interdits : de ces stigmates du déclin, on n’aurait pas tôt fait de dresser la liste.

Commençons par la première question de tout praticien : quand apparurent les premiers symptômes ? Et commençons par la France, puisqu’elle est après tout notre principale (certes, pas la seule…) communauté politique. Depuis quand, ce déclin ? De Gaulle datait le déclin de la France de la retraite de Russie, soit 1812 ; d’autres du Code Civil, qui ruina pour un siècle et demi l’expansion démographique française. On peut aussi bien, à ce compte, le dater de l’assassinat du Roi Louis XVI dix-neuf ans plus tôt – c’est, de toute façon, la même génération révolutionnaire. On peut aussi le faire débuter un siècle plus tard (la France ayant connu au XIXe siècle quelques brillantes restaurations qui expliquent qu’elle ait si bien « tenu » pendant la Grande Guerre malgré la supériorité de l’agresseur allemand), c’est-à-dire dans les années 1920, quand sa diplomatie s’abandonna au pacifisme sous couvert de protection anglo-saxonne, britannique d’abord, américaine ensuite. Il y eut encore la restauration qui suivit le salutaire coup d’Etat de 1958, mais il est indéniable que le déclin s’amorça ensuite, au fil des années 1970, pour s’accentuer dans les années 1980, puis les décennies suivantes.

La réalité du déclin

En somme, voici près d’un demi-siècle que nous subissons, et laissons faire, un déclin plus profond que les précédents, au point qu’il pourrait bien être, pour celle qui fut jadis la plus grande puissance de l’univers, le coup de grâce. Ces cinquante années prétendues « grandes ouvertes sur le monde », comme on le dit des châteaux en ruines (hélas, elles furent grandes ouvertes en effet sur l’Atlantique et la Méditerranée, où se forma, puis se resserra la dialectique qu’un augure lucide, Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, nomma Islamérique) ; puis vint une combinaison ahurissante d’erreurs politiques, d’élites dédaigneuses de leur peuple au point de travailler ouvertement contre lui, de dirigeants toujours plus médiocres, et désormais pires que médiocres. Après quoi, il était fatal que vînt le temps où la France, d’étourderies en défaites, d’illusions en désastres, sorte finalement de l’Histoire, sous le couvert d’une équivoque « solidarité atlantique » et d’une prétendue « construction européenne », qui, de tous les mensonges qui la bercent, est l’un des plus mortels.

S’il ne fallait qu’un signe du spectaculaire effondrement de la France, retenons celui qui sera, qui est déjà le plus immédiatement sensible à nos contemporains. Alors qu’en 1969, en France, le PIB par habitant était le 5e du monde et le premier en Europe (avec celui du Luxembourg), il est aujourd’hui tombé, selon le FMI, à la 35e position, position qui ne va cesser de se détériorer à mesure que se perdent ses cartes maîtresses (une énergie à bon marché, de bonnes terres, des fleurons industriels enviables, des positions internationales et un dispositif militaire qui faisait d’elle, voici trente ans, notamment à l’ONU, l’une des deux premières puissances mondiales, sans oublier son atout francophone et notamment africain à haute valeur stratégique et notre extraordinaire patrimoine, culturel, agricole et, par-dessus tout, maritime, cartes maîtresses que nos oligarques jettent à la mer sous nos yeux. C’est au point que des millions de Français glissent vers la pauvreté, nombre d’entre eux ne se nourrissant déjà plus à leur faim, ou très mal, bien d’autres sautant des repas quand approche la fin du mois.

Le basculement du monde: impossible à voir?

Cependant, d’autres nations, pourtant loin de posséder nos atouts, deviennent des acteurs majeurs de la vie internationale, chaque année plus nombreux dans un monde de plus en plus décidé à mettre à profit les impasses politiques, les errances culturelles, son déracinement et, par-dessus tout, le grand désordre moral du bien nommé Occident (occidere veut dire en latin tomber, périr, ou se coucher, en parlant des astres qui s’abîment à l’horizon…). Si quelques occidentalistes forcenés doutaient encore de notre déréliction et, finalement, de notre très nouvelle solitude internationale, quatre évènements majeurs survenus ces trois derniers mois devraient les déciller.

En août, il apparut nettement qu’échouait la contre-offensive de l’armée Zelensky, tant annoncée et tant relayée, ce qui acheva de prouver que la Russie ne pouvait plus perdre, tandis qu’elle reconvertissait son dynamisme commercial (sa croissance est près de deux fois supérieure à la croissance moyenne de la zone euro) dans un plus vaste ensemble économique et géostratégique où elle est désormais bien insérée, avec ses alliés traditionnels arabes et indiens, mais aussi  plus conjoncturels comme l’Iran et la Chine. En somme, comme l’écrit ici très clairement SE. M. Alexeï Mechkov, Ambassadeur de Russie en France, « l’Occident a perdu la Russie », ce qui peut avoir à terme d’immenses conséquences pour nous. Il reste à espérer que l’Europe, elle, n’ait pas perdu la Russie pour toujours ; ou bien, elle sera définitivement engloutie, ce que semble commencer à comprendre l’Allemagne – nous y reviendrons un jour.

En août encore, les cinq pays fondateurs d’une nouvelle coalition, dite BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud ), qui est en passe de compter la majorité de la population mondiale et des sources d’énergie, s’adjoignait six autres Etats, soigneusement choisis parmi un grand concours d’autres candidats, et non des moindres (la Turquie, l’Algérie…), tous bien décidés à renverser l’hégémonie d’un « Occident » frileusement regroupé autour d’un l’Empire déclinant et d’ailleurs en voie de dislocation intérieure (il faut lire, après ceux d’un de nos précédents dossiers, « L’empire Impensé », celui de Guillaume de Thieulloy dénonçant la fin « melting pot américain – autre fameux mensonge…), bien décidés aussi à se doter d’instruments communs, allant peut-être jusqu’à une nouvelle ONU dont nous ne serions plus que des membres secondaires, bien décidés en somme à devenir la véritable « communauté internationale » : c’est le « basculement du monde » qu’a tôt perçu notre ami François Martin dans un livre éponyme dont nous avons rendu compte dans notre livraison de Printemps (LNC 10) et qui va bouleverser à peu près tous les rapports de force à travers le monde.

En septembre, c’est la France qui, en Afrique, où elle symbolise hélas un Occident dont, négligeant la Francophonie, elle est incapable de se détacher (voir plus loin l’article accablant d’Ilyès Zouari ), subit des revers honteux, au point que, après le Mali, la Guinée et le Burkina, c’est le stratégique Niger qui dénonce nos liens anciens – et encore sous les insultes. Gageons d’ailleurs que c’est l’ensemble des BRICS qui est ici à la manœuvre, Afrique du Sud, Chine et Chine en tête…

Et voici que, en octobre, tandis que nous bouclons ce numéro, un raid spectaculaire du Hamas en territoire israélien, assorti d’une odieuse prise d’otages, arrive pour ainsi dire à point nommé pour aggraver un conflit que l’Occident, bien trop sûr de lui et dominateur (sous la férule fanatique des fameux « faucons » de Washington et de Tel-Aviv, à moins que ce ne soit l’inverse…), ne cesse d’envenimer depuis des décennies, détruisant à l’entour plusieurs pays arabes et laissant faire la dangereuse colonisation de Palestine, tout cela bafouant ouvertement un Droit dont cependant l’Occident s’enorgueillit à tue-tête, ivre de ce qu’il croit être sa puissance. Il ne voit pas, hélas ! (à la seule exception de la France, du temps qu’elle était gouvernée), que, justement, le rapport de puissance pourrait tourner : nous naviguons ici entre mensonge, propagande et illusion, poisons qui nous perdent. C’est d’ailleurs sur ce terrain palestinien, où elle est en bonne position, que la communauté des BRICS, si avide de prendre ses revanches, pourrait bien montrer un jour à l’Occident, hélas aux dépens d’Israël, de quel bois elle se chauffe. Perspective dont la France et l’Europe (c’est, dans cette affaire comme en tout autre, leur intérêt à long terme qui nous importe au premier chef) feraient bien de regarder en face…

La suite de cette analyse est à retrouver dans le numéro XI du Nouveau Conservateur.

Voir aussi

  1. Bonjour, le fidèle abonné que je suis attend toujours l’arrivée du n° 11 de la revue dans sa boîte à lettres.
    François Renault

    • Cher Monsieur,

      Vous allez recevoir dans les prochains jours le numéro XI de votre revue. Croyez-bien que votre fidélité et votre patience – il est vrai, fort grande – vous sera récompensée par la qualité du contenu. Pour de plus amples explications, je vous invite à vous reporter à notre récent article Éloge des Revues, qui revient sur les raisons de notre retard. Nous allons d’ailleurs le rattraper.

      Avec nos respectueuses salutations,
      Très cordialement à vous,

      La rédaction du Nouveau Conservateur.

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