Par François Martin
Il peut sembler paradoxal de choisir un tel titre dans la situation présente de notre pays. Pourtant, le résultat des récentes élections, et l’abstention en particulier, tout autant que l’allocution d’Emmanuel Macron le 12 Juillet dernier, ou les supputations soudaines autour de la candidature d’Éric Zemmour, ont donné de précieuses indications sur l’évolution du paysage politique, et sur les stratégies possibles pour la prochaine élection présidentielle.
Emmanuel Macron a tiré, lui aussi, les leçons du dernier scrutin (*). Il n’a peut-être pas lu l’économiste et politologue américain d’origine turque, Timur Kuran(**), mais il comprend évidemment tout cela. Très mauvais leader, mais excellent manipulateur, il avait organisé les choses, nous l’avons vu, de telle sorte que les français, si possible, dorment jusqu’à la veille du premier tour de la prochaine Présidentielle. Il a fait en sorte, depuis le début de son quinquennat, reprenant à sa propre manière la recette de ses prédécesseurs, de cliver en même temps les choses, de désespérer non pas Billancourt, mais ses opposants, afin que, humiliés et radicalisés autant que faire se peut, ils aillent se réfugier chez Marine Le Pen.
Le jour venu, pensait-il, la reductio ad hitlerum de la « fachosphère », l’injonction « Moi ou le chaos », et le débat télévisé auraient réglé les choses. Le problème, c’est que Marine Le Pen n’a même pas été capable d’assumer ce rôle de « première opposante de France » si complaisamment réservé. Absente depuis le début de la crise, immobile, sans charisme, elle a cru « ramasser la mise » en laissant venir à elle les mécontents sans rien faire. Ce faisant, elle s’est statufiée. Quelle erreur ! Pensait-elle pouvoir gagner cette bataille sans manœuvrer, sans se donner au minimum l’apparence d’une intellectuelle, capable de séduire les bourgeoisies, et sans se construire une stature propre à rassembler une majorité de français ? Que fait-elle donc depuis un an et demi ? Ce que l’on a ressenti, lors des dernières élections, c’est que la confiance de ses soutiens recule.
Ceci ne fait pas du tout les affaires d’Emmanuel Macron, qui a basé toute sa stratégie sur ce schéma. Car l’affaiblissement de Marine Le Pen donne du crédit, par contrecoup, à de véritables alternatives conservatrices, comme celles présentées possiblement par Laurent Wauquiez, Éric Zemmour ou défendues actuellement par Jean-Frédéric Poisson. Comme Kuran l’explique, ces différentes alternatives conservatrices peuvent devenir d’un coup, majoritaires et, brutalement, « renverser la table ». D’une part, la presse sent aussi qu’il y a là une novation politique, et elle se jette dessus, trop contente de sortir de son rôle d’anesthésiste (d’où la brutale flambée médiatique à propos de la candidature d’Éric Zemmour). D’autre part, cela peut accélérer la mutation de l’opinion de l’offre « Canada Dry » actuelle vers de vraies offres conservatrices. Et portées par des hommes autrement plus talentueux que la présidente du RN… Tout cela est, pour le Président, très dangereux.
Brouiller les pistes
Il fallait qu’il bouge. Pour éviter que l’unité ne se fasse contre lui, il fallait, tout à la fois « brouiller les langues », comme Dieu le fait avec Babel, et aussi de créer autour de lui une « unité » de substitution protectrice. Raisonnant, comme il le fait systématiquement, selon un réflexe typique des pervers narcissiques, en se demandant quel pourrait être le bouc émissaire autour duquel resserrer « l’unité nationale », il n’a pas mis longtemps à trouver la réponse : créer une polémique (nullement nécessaire, car un retour aux « gestes sanitaires » du passé aurait suffi !) autour de l’obligation vaccinale était, en effet, très approprié. Ceci a eu deux effets : d’abord, alors qu’il faudrait parler, peut-être, du désastreux échec de LREM aux dernières élections, et du bilan du Président en fin de mandat, on ne parle plus que du vaccin. Rideau de fumée et gain de temps, deux constantes du macronisme… Ensuite, les Français se disputent : « boomers » contre actifs, « légalistes » contre « traîtres », protégés contre déprotégés, le clivage et la division, tant recherchés, se reconstituent, ce qui permet de conjurer le risque, mortel, que l’unité se fasse contre le Président. Comme le célèbre Tullius Detritus dans « La zizanie » d’Astérix, Emmanuel Macron regarde le spectacle en se frottant les mains.
Les Gilets Jaunes ont été, pour Emmanuel Macron, à la fois son enfer et son paradis. Son enfer, parce qu’il n’avait pas vu venir la crise, et qu’elle a failli l’emporter. Son paradis, parce qu’il a trouvé la recette pour la juguler et, mieux encore, s’en servir : enfoncer le coin entre le mouvement et les bourgeoisies, en utilisant, au besoin, quelques black blocs supplétifs pour brûler quelques devantures ou casser quelques vitrines. Monter la « violence » en épingle, avec l’appui zélé de la presse, pour diaboliser le mouvement.
Rapprocher de lui, par contrecoup, des bourgeoisies terrorisées. C’est ce qu’il tente ici, mais cette fois-ci, c’est lui qui a la main. Les imbéciles, ou ceux qui font semblant, regardent le doigt (pour ou contre la vaccination ?) sans regarder la lune (l’intention du Président : la division des Français). Les opposants jouent une partie très fine : si les Français, en fin de compte, se rallient à la vaccination, le Président gagne. Si la violence monte, ce sont les opposants qui perdent. La différence avec les GJ, c’est que cette fois-ci, c’est Florian Philippot qui est à la manœuvre. On peut penser qu’il ne se laissera pas berner aussi facilement.
Derrière la zizanie, malgré tout, les stratégies, et surtout celle du Président, se clarifient.
Ses adversaires en tireront d’utiles enseignements. En attendant, le débat de fond (progressisme ou conservatisme ?) est escamoté. Les péripéties vaccinales, quelle que soit leur importance, ne doivent pas le faire oublier. On peut penser qu’il ressurgira. Il faudra bien que s’exprime, à un moment donné, la frustration profonde des Français, que les masques tombent, et que les préférences véritables gagnent la surface.
François Martin
(*) Cf « Les choses se clarifient (1) : les leçons des Régionales »