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Le testament du roi Louis XVI

Par Paul-Marie Coûteaux

Comme on le sait, S.M. le Roi Louis XVI fut assassiné sur la place dite aujourd’hui « de la Concorde » le 21 janvier 1793 ; il avait 38 ans. Depuis le mois d’août précédent, il était enfermé dans la tour du Temple, la plus ancienne tour du Paris médiéval, dans le Marais. Le 21 septembre, la Convention, galvanisée par les premiers massacres qui plongent la capitale et les environs dans une atmosphère électrique, et par la (fausse) victoire de Valmy, proclame la
République, le déchoit de tous ses titres, décide de le faire passer en jugement et le sépare de sa famille – sa femme la reine Marie-Antoinette sera mise à mort sur la même place quelques mois plus tard, et son fils, le Dauphin Louis XVII, sera jeté dans un cachot sans lumière où, peu
nourri, laissé sans soins malgré les maladies qui surviennent, il mourra quasiment à l’abandon, en juin 1795, à l’âge de 10 ans. Le 25 décembre, jour de Noël, pressentant que la Convention voulait à toute force sa mort (quelques jours plus tôt, Robespierre avait lancé sous les hourras : « Je conclus que la Convention nationale doit déclarer Louis traître à la Patrie, criminel envers l’humanité, et le faire punir comme tel. Louis doit mourir parce qu’il faut que la Patrie vive »), le roi destitué rédige dans la plus complète solitude son testament, qu’il nomme « mes dernières volontés et sentiments ». Si nous publions ce document quelques semaines après avoir commémoré ce sinistre anniversaire, en un temps où plus rien ne retient de constater que la Ve République connaît la fin calamiteuse qu’ont semblablement connue avant elle les quatre premières « républiques françaises » et, tandis que le débat public sombre de toutes parts, y compris au sein de l’« Assemblée nationale », dans le plus complet débraillé, c’est avant tout pour une question de langue – car cet aspect de la vie publique nous importe au plus haut point. Que ce texte simple rappelle à tous la hauteur de vues dans laquelle fut longtemps tenue la politique française et la noblesse de la langue dans laquelle elle s’exprimait alors. Nos lecteurs jugeront par eux-mêmes du sens et de la portée que peut avoir aujourd’hui ce document capital de notre Histoire, laquelle est largement plus monarchique qu’elle n’est républicaine.

Au nom de la très Sainte Trinité du Père du Fils et du Saint-Esprit. Aujourd’hui vingt-cinquième jour de décembre, mil sept cent quatre-vingt-douze. Moi Louis XVIe du nom Roy de France, etant depuis plus de quatre mois enfermé avec ma famille dans la Tour du Temple à Paris, par
ceux qui etoient mes sujets, et privé de toute communication quelconque, même depuis le onze du courant avec ma famille, de plus impliqué dans un procès, dont il est impossible de prévoir l’issue à cause des passions des hommes, et dont on ne trouve aucun prétexte ni moyen dans aucune loy existante, n’ayant que Dieu pour témoin de mes pensées et auquel je puisse m’adresser, je déclare ici en sa présence mes dernières volontés et mes sentiments.

Je laisse mon âme à Dieu mon créateur, je le prie de la recevoir dans sa miséricorde, de ne pas la juger d’après ses mérites, mais par ceux de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui s’est offert en sacrifice à Dieu son Père, pour nous autres hommes quels qu’indignes que nous en fussions, et moi le premier. Je meurs dans l’union de notre sainte Mère l’Église Catholique, Apostolique et Romaine, qui tient ses pouvoirs par une succession non interrompue de Saint Pierre auquel Jésus-Christ les avoit confiés. Je crois fermement et je confesse tout ce qui est contenu dans le Symbole et les commandements de Dieu et de l’Église, les Sacrements et les Mystères tels que l’Église Catholique les enseigne et les a toujours enseignés. Je n’ai jamais prétendu me rendre juge dans les différentes manières d’expliquer les dogmes qui déchirent l’Église de Jésus-Christ mais je m’en suis rapporté et rapporterai toujours si Dieu m’accorde vie, aux décisions que les supérieurs ecclésiastiques unis a la Sainte Église Catholique, donnent et donneront conformément à la discipline de l’Église suivie depuis Jésus-Christ. Je plains de tout mon coeur nos frères qui peuvent estre dans l’erreur, mais je ne prétends pas les juger, et je ne les aime pas moins tous en Jésus-Christ suivant ce que la charité chrétienne nous l’enseigne. Je prie Dieu de me pardonner tous mes péchés. J’ai cherché à les connoitre scrupuleusement, à les détester, et à m’humilier en sa présence, ne pouvant me servir du ministère d’un prêtre catholique. Je prie Dieu de recevoir la confession que je lui en ai faite et surtout le repentir profond que j’ai d’avoir mis mon nom (quoique cela fut contre ma volonté) à des actes qui peuvent estre contraires à la discipline et à la croyance de l’Église Catholique à laquelle je suis toujours reste sincèrement uni de coeur.

Je prie Dieu de recevoir la ferme résolution où je suis s’il m’accorde vie, de me servir aussistost que je le pourrai du ministère d’un prêtre catholique pour m’accuser de tous mes péchés, et recevoir le Sacrement de Pénitence. Je prie tous ceux que je pourrois avoir offensés par inadvertance, (car je ne me rappelle pas d’avoir fait sciemment aucune offense à personne) ou ceux à qui j’aurois put avoir donné de mauvais exemples ou des scandales de me pardonner le mal qu’ils croyent que je peux leur avoir fait.

Je prie tous ceux qui ont de la Charite d’unir leurs prières aux miennes, pour obtenir de Dieu le pardon de mes péchés.

Je pardonne de tout mon coeur à ceux qui se sont fait mes ennemis sans que je leur en aie donné aucun sujet et je prie Dieu de leur pardonner, de mesme que ceux qui par un faux zèle, ou par un zèle mal entendu m’ont fait beaucoup de mal.

Je recommande à Dieu ma femme, mes enfants, ma soeur, mes tantes, mes frères, et tous ceux qui me sont attachés par les liens du sang ou par quelqu’autre manière que ce puisse estre. Je prie Dieu particulièrement de jeter des yeux de miséricorde sur ma femme, mes enfants et ma soeur qui souffrent depuis longtemps avec moi, de les soutenir par sa grâce s’ils viennent à me perdre, et tant qu’ils resteront dans ce monde périssable.

Je recommande mes enfants à ma femme, je n’ai jamais douté de sa tendresse maternelle pour eux, je lui recommande surtout d’en faire de bons chrétiens et d’honnestes hommes, de leur faire regarder les grandeurs de ce monde-ci (s’ils sont comdamnés à les éprouver) que comme des biens dangereux et perissables et de tourner leurs regards vers la seule gloire solide et durable de l’Éternité. Je prie ma soeur de vouloir bien continuer sa tendresse à mes enfants et de leur tenir lieu de mère, s’ils avoient le malheur de perdre la leur.

Je prie ma femme de me pardonner tous les maux qu’elle souffre pour moi, et les chagrins que je pourrois lui avoir donnés dans le cours de notre union, comme elle peut estre sûre que je ne garde rien contre elle, si elle croioit avoir quelque chose à se reprocher.

Je recommande bien vivement à mes enfants, après ce qu’ils doivent à Dieu qui doit marcher avant tout, de rester toujours unis entre eux, soumis et obéissants à leur mère, et reconnoissants de tous les soins et les peines qu’elle se donne pour eux, et en mémoire de moi, je les prie de regarder ma soeur comme une seconde mère. Je recommande à mon fils s’il avoit le malheur de devenir Roy, de songer qu’il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens, qu’il doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément tout ce qui a rapport aux malheurs et aux chagrins que j’éprouve, qu’il ne peut faire le bonheur des Peuples qu’en régnant suivant les Lois, mais en mesme temps qu’un Roy ne peut les faire respecter, et faire le bien qui est dans son coeur, qu’autant qu’il a l’autorité nécessaire, et qu’autrement étant lié dans ses opérations et n’inspirant point de respect, il est plus nuisible qu’utile.

Je recommande à mon fils d’avoir soin de toutes les personnes qui m’étoient attachées, autant que les circonstances où il se trouvera lui en donneront les facultés, de songer que c’est une dette sacrée qui j’ai contractée envers les enfants ou les parents de ceux qui ont péri pour moi, et ensuite de ceux qui sont malheureux pour moi. Je scais qu’il y a plusieurs personnes de celles qui m’étoient attachées qui ne se sont pas conduites envers moi comme elles le devoient, et qui ont mesme montré de l’ingratitude, mais je leur pardonne, (souvent dans les moments de troubles et d’effervescence, on n’est pas le maître de soi), et je prie mon fils s’il en trouve l’occasion de ne songer qu’à leur malheur.

Je voudrois pouvoir témoigner ici ma reconnoissance à ceux qui m’ont montré un véritable attachement et désintéressé. D’un côté, si j’étois sensiblement touché de l’ingratitude et de la déloyauté de gens à qui je n’avois jamais témoigné que des bontés, à eux, à leurs parents ou amis, de l’autre j’ai eu de la consolation à voir l’attachement et l’intérêt gratuit que beaucoup de personnes m’ont montrés. Je les prie d’en recevoir tous mes remerciements, dans la situation où sont encore les choses, je craindrois de les compromettre, si je parlois plus explicitement mais je recommande spécialement à mon fils de chercher les occasions de pouvoir les reconnoître.

Je croirois calomnier cependant les sentiments de la Nation si je ne recommandois ouvertement à mon fils MM de Chamilly et Hue, que leur véritable attachement pour moi, avoit porté à s’enfermer avec moi dans ce triste séjour, et qui ont pensé en estre les malheureuses victimes. Je lui recommande aussi Clery des soins duquel j’ai eu tout lieu de me louer depuis qu’il est avec moi comme c’est lui qui est resté avec moi jusqu’à la fin, je prie M. de la Commune de lui remettre mes hardes, mes livres, ma montre, ma bourse, et les autres petits effets qui ont estés déposés au Conseil de la Commune.

Je pardonne encore très volontiers à ceux qui me gardoient, les mauvais traitements et les gènes dont ils ont cru devoir user envers moi. J’ai trouvé quelques âmes sensibles et compatissantes, que celles-là jouissent dans leur coeur de la tranquillité que doit leur donner leur façon de penser.

Je prie MM. de Malesherbes, Tronchet et de Seze, de recevoir ici tous mes remerciements et l’expression de ma sensibilité, pour tous les soins et les peines qu’ils se sont donnés pour moi. Je finis en déclarant devant Dieu et prêt a paroître devant lui que je ne me reproche aucun des crimes qui sont avancés contre moi.

Fait double à la tour du Temple le 25 décembre 1792.

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