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La foudre et les cendres (de Louis Hausalter)

Par Francis Jubert

Il arrive, rarement, qu’un journaliste politique écrive autre chose qu’une chronique de circonstance. Louis Hausalter, plume discrète du Figaro, vient de signer l’un de ces livres qui dépassent la simple saison électorale : La Foudre et les cendres. Un titre d’orage et de ruines, pour un règne qui s’effondre sous son propre éclat. Ce n’est pas un pamphlet, ni une hagiographie : c’est une autopsie élégante. Celle d’un ­pouvoir dont la verticalité n’aura servi qu’à mieux ­précipiter la chute.

Louis Hausalter raconte le quinquennat finissant d’Emmanuel Macron comme une tragédie en trois temps : l’illusion de la réélection, l’orgueil de la dissolution, l’impossible succession. L’ensemble compose un théâtre d’ombres où les protagonistes — Attal, Darmanin, Le Maire, Philippe — s’avancent, l’un après l’autre, dans le silence du crépuscule. Le journaliste observe, sans juger, mais l’ironie perce entre les lignes : le macronisme n’est pas mort d’une attaque venue de l’extérieur ; il s’est consumé à petit feu, victime de sa propre lumière.

Le livre débute sur la réélection de 2022, victoire sans joie, où le président retrouve le pouvoir comme un acteur fatigué retrouve son rôle. La campagne fut brève, la ferveur absente, et le second mandat commença sous le signe du soupir. Puis vint l’année 2024 : la dissolution. Louis Hausalter la décrit comme un moment presque shakespearien — un roi qui, las de régner, provoque lui-même la tempête. L’auteur cite les témoins, les ministres abasourdis, les conseillers en exil : nul n’avait compris ce geste. Sauf peut-être le président, persuadé qu’en détruisant son parti il sauverait sa légende. « Un président qui veut rester seul sur la scène du chaos », écrit Louis Hausalter. Le mot est juste, et cruel : seul.

Une comédie du pouvoir sans spectateurs

Louis Hausalter a l’art de capter le moment où le pouvoir se transforme en décor. Il décrit un Élysée vidé de sa substance, où l’on continue de parler de « réformes » comme on parle d’une maison déjà vendue. Ce qui l’intéresse n’est pas la politique au sens noble, mais sa mise en scène : la communication devenue Gouvernement, le storytelling érigé en doctrine. En cela, son enquête rejoint ce que Philippe Murray appelait la « Société du spectacle démocratique ». Mais là où Murray s’amusait, Hausalter compatit. Il voit dans ce théâtre une fatigue du pays tout entier, un épuisement collectif : la France n’y croit plus, et le président non plus. L’auteur excelle dans l’art de la petite phrase révélatrice. Ici, un conseiller murmure que « le chef de l’État ne supporte pas l’idée d’un successeur ». Là, un ministre confie : « Il nous a tous renvoyés à notre néant ». Ces éclats de confidence donnent à l’ensemble la texture d’une tragédie vécue à huis clos. Et pourtant, la lecture reste fluide, presque romanesque. On pense parfois à La Chute de Camus, parfois à L’Étrange Défaite de Marc Bloch : le même mélange de lucidité et d’impuissance.

Le talent discret
d’un chroniqueur lucide

Ce qui distingue La Foudre et les cendres du flot d’essais politiques saisonniers, c’est sa tenue. Pas de phrases vengeresses, pas d’hyperbole journalistique : Louis Hausalter écrit comme un témoin civilisé. Sa phrase, brève et claire, refuse le spectaculaire ; elle préfère la netteté. Et c’est précisément ce ton mesuré qui rend le constat accablant : le macronisme, réduit à son noyau, n’était qu’une illusion d’ordre. Le livre démontre comment un système bâti sur la maîtrise des horloges s’est effondré pour avoir oublié le temps politique.

Louis Hausalter ne s’en cache pas : il a eu accès à plus de cinquante témoins. Mais la véritable source du livre, c’est la perspicacité du regard. L’auteur observe le président comme un entomologiste observe une fourmi reine dans un bocal de verre : fascination et pitié mêlées. Il note les rituels, les silences, les gestes d’autorité qui tournent au tic. L’Élysée apparaît comme un palais fatigué, traversé de vents contraires, où chacun s’épie en attendant la foudre.

Une lecture politique pour temps orphelins

Sous le style, une idée politique affleure : celle d’un pouvoir sans succession. Hausalter ne fait pas de théorie, mais il en dresse le constat le plus sévère : un régime qui n’organise pas sa transmission prépare sa disparition. En ce sens, La Foudre et les cendres n’est pas seulement le récit d’une fin de règne ; c’est une méditation sur la vacance de l’État. Le « président-chef de tout » a fini par gouverner sans peuple, sans parti, sans héritiers : figure vide d’une monarchie sans royaume. Cette vacance, l’auteur la perçoit avec la précision d’un baromètre. Ce n’est pas la violence de la rue ni la montée des oppositions qui menace Macron : c’est l’indifférence. La France, écrit-il, regarde ailleurs. Et c’est peut-être là le plus grand séisme du livre : le désintérêt du peuple pour ceux qui prétendent encore le diriger. On lit ces pages comme on regarde un feu d’artifice s’éteindre : un peu de beauté, beaucoup de cendres.

Louis Hausalter appartient à cette génération de journalistes politiques qui ont compris qu’un pouvoir n’est pas une structure, mais un climat. Là où d’autres accumulent les confidences anonymes, il cherche la cohérence d’un récit. Son livre ne vaut pas seulement par ce qu’il raconte — les intrigues, les rivalités, les petites haines de couloir — mais par ce qu’il suggère : la fin d’un cycle. On sent qu’il aime la politique, mais qu’il la voudrait plus grande. Il ne s’en amuse pas ; il s’en inquiète.

De là vient la réussite du livre : sous la chronique se glisse une mélancolie française. Celle d’un pays qui a voulu la modernité et découvre qu’elle n’a pas de descendance. La dissolution de 2024 apparaît alors comme le symbole d’une dissolution plus vaste : celle du sens. Dans cette perspective, La Foudre et les cendres rejoint les meilleurs ouvrages de la littérature politique contemporaine : ni satire ni enquête, mais méditation sur la fragilité du pouvoir.

Leçon pour les temps qui viennent

Que reste-t-il après la foudre ? Des cendres, certes, mais aussi la possibilité du recommencement. Hausalter ne le dit pas explicitement, mais son livre invite la droite française — et plus largement tous ceux qui croient encore à la continuité de l’État — à penser la relève autrement : non comme une guerre de succession, mais comme une renaissance de l’autorité. Dans le vide laissé par la présidence finissante, il y a place pour une politique plus enracinée, plus responsable, plus incarnée.

On referme le livre avec un sentiment paradoxal : une admiration pour la clarté du journaliste, une inquiétude pour la France. Si la foudre a frappé, c’est peut-être parce que le ciel était déjà vide. Ainsi s’achève ce récit d’un crépuscule. Dans ces pages sobres et lucides, Hausalter aura su faire ce que peu de journalistes osent : écrire sur le pouvoir comme on écrit sur la vanité des choses humaines. En cela, La Foudre et les cendres est bien plus qu’un livre politique : c’est un tombeau pour un règne, et une prière pour ce qui pourrait lui succéder.

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